En annonçant sa démission de sa lourde charge pontificale, le Pape a surpris tout le monde, à commencer par son plus proche entourage. Et, pour une partie non négligeable de la communauté catholique mondiale, cette décision papale constitue un scandale. Car, dit-elle, le Pape tient directement son autorité de Dieu : son pouvoir est donc d’essence intemporelle. Par conséquent, une telle décision, rarissime dans les annales de la curie romaine, est vite jugée blasphématoire par rapport à la doctrine du Christ.
Mais en vérité, ne pourront s’en étonner ou s’en scandaliser que ceux qui, depuis la nuit des temps, se sont toujours mépris sur la visée profonde de l’expérience religieuse, spirituelle : elle reste d’abord et avant tout une expérience intérieure, profonde et éclairante. Cette décision revêt une gravité sereine qui se change en méditation, laquelle conduit l’être aux portes de la Lumière divine. Ici, on voit bien que le corps et l’esprit, aux dires du Pape lui-même, ne peuvent être dissociés, tout comme le vital et le spirituel. Sans oublier l’élan du cœur qui sous-tend cette décision inédite, et dont les enseignements sont multiples et riches pour le continent africain, dans tous les domaines. Rappelons que, depuis son installation au Vatican, succédant au très charismatique Jean-Paul II, le premier Pape allemand a effectué deux visites en terre africaine. En mars 2009, Benoît XVI s’est rendu au Cameroun et en Angola. Souvenons-nous qu’avant d’atterrir à Yaoundé, le Pape avait déclenché de vives polémiques au sujet de l’usage des préservatifs face à la pandémie du Sida qui ravage les sociétés africaines. En prônant l’abstinence et en condamnant l’immoralité sexuelle, le Pape n’a pas réussi à se faire comprendre. Mais comment le pouvait-il ? Evidemment, face aux dérives galopantes d’une certaine modernité liée à la mondialisation, le Pape n’est que dans son rôle de chef de l’Eglise, lorsqu’il rappelle les valeurs fondatrices du catholicisme : l’idée du salut, le respect de la vie, l’amour en tant que puissance évangélique, etc. Ce Pape qui a longtemps dirigé la « Congrégation pour la doctrine de la Foi », colonne vertébrale de la politique vaticanienne, est aussi le Pape de la transition. Son prédécesseur Jean-Paul II a su gérer, avec courage, intelligence et sagesse la question du communisme avec ses goulags intérieurs sur la planète, ainsi que cette révolution intérieure née au sein de l’Eglise elle-même, appelée théologie de la libération. Jusqu’à ce jour, on n’a pas encore pu mesurer, à sa juste valeur, la force morale de Jean-Paul II et qui a fini par avoir définitivement raison du communisme. Il fut le Pape de la liberté des peuples. Pape de la transition, Benoît XVI, c’est d’abord et avant tout le Pape de la mondialisation et son vertige de malheurs tels que le terrorisme islamiste. En condamnant la notion brumeuse de progrès issue des lumières occidentales, Benoît XVI a pleinement raison de s’élever contre ce que le grand philosophe chrétien, Gabriel Marcel, a appelé « une pragmatisation générale de l’homme et des rapports humains ». Et l’un des traits les plus révoltants de cette mondialisation, n’est-ce pas qu’on assiste, avec les NTIC, à une violation généralisée de l’intimité humaine ? Malgré toutes les promesses qu’elle porte, la mondialisation actuelle reste, surtout pour l’Afrique, une immense entreprise de déshumanisation. Avec sa rationalité dévitalisante qui a transformé l’Homme en esclave des machines électroniques et médiatiques, la mondialisation a montré son vrai visage : c’est une logique monstrueusement inhumaine. Et face à la déspiritualisation totale qui a accompagné la déchristianisation des sociétés occidentales, avec le culte d’idôles chatoyantes, Benoît XVI a raison de sonner la mobilisation des forces spirituelles pour barrer la route à de telles dérives. Au sein de l’Occident, le statut de la famille, avec la généralisation des mariages de « couples » homosexuels, se retrouve contesté, voire se retrouve mis en danger. Ce ne sont que les conséquences de la prolifération, à notre époque, d’un anthropocentrisme pratique, c’est-à-dire une civilisation d’Hommes qui bannit la figure de l’humain. Sans oublier, en Occident, la dévaluation complète de la vieillesse. Bref, face à un Occident qui renie sciemment ses héritages spirituels et religieux, Benoît XVI fait l’apologie de la fidélité chrétienne, active et non figée.
En septembre 2006, à Ratisbonne, le Pape avait prononcé un brillant discours sur les rapports entre la religion et la violence. Mal comprise au sujet de certaines citations maladroites extraites du Coran, la démarche du Pape retrouve paradoxalement une étonnante actualité avec la crise malienne. Au Mali, des fanatiques veulent nous faire adhérer à leur satanisme païen : pour eux, Dieu n’apprécie que le sang des innocents. Certes, aucun lien ontologique ne peut être établi entre la religion musulmane et la violence terroriste pratiquée au nom de cette même religion. Il faut bien insister sur ce point, afin de faire avancer et de consolider le nécessaire et fécond dialogue islamo-chrétien. Mais ne nous y trompons pas : le Pape reste un personnage théologico-politique. Et c’est là que sa décision reste source d’inépuisables interrogations pour l’Afrique. L’amour chrétien est une puissance : il doit donc s’incarner. En Afrique, les christianismes ne doivent pas percevoir la modernité comme foncièrement démoniaque. Il faut adapter la foi chrétienne à l’univers historique et culturel de notre continent. Tel est le défi permanent pour les Eglises catholiques d’Afrique, ainsi que les Ecoles théologiques qui prolifèrent ici et là. Ce problème reste donc crucial. Car, pour l’Afrique, le Christ n’est pas un risque, mais une chance inouïe pour reconstruire, politiquement et socialement, ce continent à la lumière de l’Evangile : une Afrique de paix, d’amour, de justice et de solidarité. L’Eglise de Benoît XVI ne doit pas s’abandonner à la nostalgie pseudo-romantique d’un paradis perdu ; elle est condamnée à s’adapter, donc éviter à tout prix le piège solipsiste. Un dogmatisme strict, refermé sur lui-même, engendre un double manquement : manquement à la vérité et manquement à la charité. Benoît XVI se veut, au fond, un sage et non un saint. Rarement un Pape aura été si conscient du caractère infiniment tragique de la situation spirituelle du monde contemporain. La mondialisation a créé une situation proprement babélienne, avec ses délires et contre-délires fondamentalistes et intégristes. Décidément, ce Pape ne voulait pas être ce faux témoin qui trahira le Christ, puisqu’il nous a bien dit que son corps et son esprit ne lui permettaient plus de répandre la foi et l’amour, la pratique du bien. Et le christianisme de Benoît XVI ne nous demande rien qui soit contraire à la raison. La doctrine du Christ est une vie et un chemin… Un chemin qui passe par la Croix. Benoît XVI a su porter la sienne, avec élégance et sagesse. Oui, il a été et restera, malgré les apparences et controverses, un Pape résolument moderne.
« Le Pays »
Vatican: Le pape Benoît XVI a annoncé lundi sa démission à partir du 28 février Publié le: 11/2/2013 |