Députée Saran Séré/Sérémé « Aucun projet de développement ne pourra réussir s’il ne tient compte de la réalisation d’une société de justice et d’une équité sociale »
La capitale burkinabè s’apprête à devenir celle de la femme. Du au 15 septembre 2012 se tient le Forum national des Femmes sous le thème « Prise en compte de la femme dans la mise en œuvre de la stratégie de croissance accélérée et du développement durable SCADD ». Nous avons rencontré la députée Saran Séré/Sérémé, présidente du « caucus genre » à l’Assemblée Nationale. Elle apprécie le thème, aborde la loi sur le quota genre et insiste sur une équité sociale au Burkina.
Que pensez-vous du thème de la présente édition du forum national des femmes ?
Je trouve que le thème est pertinent. A tel point que nous, au niveau du Caucus genre, l’avons traité depuis mai, pour permettre d’appréhender d’abord ce référentiel qui sera le référentiel des politiques de développement, de la croissance économique et sociale. Actuellement, la femme est considérée comme étant non seulement l’être le plus vulnérable mais surtout, elle représente 52% de la population. Nous ne pouvons pas élaborer un référentiel sans mettre au centre des préoccupations la question de l’équité genre. Je dis bien équité genre en sachant qu’il faut actionner du coté de la femme pour pouvoir atteindre cet équilibre. Aucun projet de développement ne pourra réussir s’il ne tient compte de la réalisation d’une société de justice et d’une équité sociale. Donc je pense que le thème est très pertinent.
Quelle est votre participation à cette stratégie de croissance accélérée en tant que femme, en tant qu’élue, présidente du Caucus genre ?
Je pense que l’élaboration de la stratégie est partie depuis la base. On a demandé l’apport de tous, il y a eu un processus participatif qui a été mis en œuvre. En tant que femme, c’est dans le cadre des tournées dans les régions, que nous avons pu participer. Notre constitution qui est évidement constituée de nos fondamentaux, précise que toutes les grandes reformes qui doivent avoir lieu doivent passer par l’AN. Je pense que le gouvernement a agit dans ce sens et nous avons pu apporter notre contribution. En tant qu’élue nous avons eu également droit à des exposés à l’Assemblée Nationale sur la SCADD afin que nous puissions également apporter nos préoccupations. En tant que caucus genre, nous avons mené notre réflexion spécifique surtout sur le volet genre, « la SCADD et le genre », et nous avons fait transmettre nos préoccupations à qui de droit.
Comment la législation va-t-elle accompagner la SCADD ?
C’est l’exécutif qui met en œuvre la SCADD. Le législatif va jouer son rôle mais l’élaboration réelle des politiques revient à l’exécutif. Le législatif accompagne à travers la sensibilisation, à travers le contrôle de ce qui aura été édicté à pour la SCADD comme politique de développement. Les Partenaires Techniques et Financiers (PTF) agissent en référence à ce cadre. Pour voir la mise en œuvre des politiques réelles de développement, le législatif sensibilise les PTF.
En tant qu’élue nous allons jouer notre rôle constitutionnel mais également notre rôle social parce que nous avons ce devoir de rendre compte aux populations mais aussi de transmettre leurs préoccupations. Nous jouerons donc notre rôle d’accompagnement, notre rôle de contrôle, notre rôle d’interpellation sur certains volets.
Nous sommes en train d’atteindre 2015, le « dead line » des OMD et nous savons qu’il y a plusieurs lignes qui ne seront pas atteintes. Ce n’était pas une utopie. Les OMD ont créé des opportunités pour que tous les pays se battent pour atteindre un certain objectif. En faisant cette comparaison, en analysant avec toutes les politiques qui auront été définies dans la SCADD, je pense qu’en tant que caucus, nous allons vraiment travailler à la prise en compte réelle de l’équité genre dans toutes les politiques de développement. Cela est essentiel, cela est prioritaire.
Aucun pays qui espère le développement ne peut continuer à négliger plus de la moitié de son potentiel et espérer le développement. Quelles que soient les stratégies que nous allons développer, quelque soit les appellations que nous allons donner à ces stratégies, ce qui est essentiel c’est que ce ne soit pas des stratégies édictées de l’extérieur. Donc nous avons foi en la SCADD et nous avons foi en ce que cela tiendra compte de nos réalités dont la première préoccupation est l’équité genre et la société de justice.
Quelles sont les préoccupations spécifiques liées à votre statut que vous aimeriez voir prendre en compte à ce rendez-vous ?
La SCADD est générale. Elle a trait à plusieurs politiques, nos préoccupations spécifiques, cependant ce sont la SCADD et le genre. Maintenant dans le genre, nous espérons que le « genre and budgeting » sera une réalité c’est-à-dire que les budgets qui devraient être élaborés tiendront compte du genre pour pouvoir amoindrir, annihiler le déséquilibre et les inégalités socioculturelles qui existent. Nous espérons avec la constitutionnalisation du genre qui a été adopté que des mesures spécifiques pourront être adoptées dans tous les ministères, sans qu’on ne dise que nous sommes en train de faire une discrimination positive. Mais maintenant que c’est consacré par la constitution, que des mesures spécifiques peuvent être développées, nous espérons que dans toutes les politiques de développement, dans toutes les politiques sectorielles, la question préoccupante du genre sera abordée.
Le genre ce ne sont pas les femmes seulement. C’est aussi les couches marginalisées, les personnes vulnérables comme les vieilles personnes, les personnes handicapées, la jeunesse. L’équité genre est plus large. Ce sont donc des politiques spécifiques qui devront être menées vers les couches vulnérables pour que nous puissions espérer le développement réel. Nous ne pouvons pas continuer à mener des politiques qui ne tiennent pas compte de nos réalités et c’est en cela que la SCADD est louable.
Où en est-on avec la loi sur le quota genre à quelques mois des prochaines élections ?
Le quota genre suit son cours normal. Mais ce n’est qu’après les élections que nous saurons exactement l’impact qu’a eu cette loi. Nous avons toujours dit qu’au delà de la loi, au delà du nombre, c’est l’impact sur toutes les mesures de développement qui est important. C’est pourquoi nous avons estimé dès l’adoption du quota genre qu’il faut des mesures d’accompagnement. Sur le plan éducatif, il faut renforcer la scolarisation des filles, l’alphabétisation des femmes, la formation professionnelle des filles qui ont été alphabétisées ou scolarisées. Un appui spécifique aux filles qui vont vouloir continuer leur études pour un niveau supérieur les domaines scientifiques par exemple ou l’octroi de bourses a des filles pour qu’elles puissent continuer. Il ne sert à rien de pousser les élèves jusqu’à avoir le CEP et qu’ensuite elles ne puissent pas continuer pour occuper des postes de responsabilités. Donc il faut que l’Etat accompagne.
Au-delà des politiques éducatives, il y a les politiques sanitaires, il faut permettre aux femmes d’accoucher sans encourir la mort. Nous espérons un jour à « un village, un CSPS » pour que le rayon d’action qui est de 7Km puisse revenir à zéro. Nous espérons vraiment qu’il y ait des mises en place de fonds spécifiques au-delà du FARF qui prête à un taux zéro, qu’il ait des subventions comme ce qui est fait aux jeunes. Pour pouvoir s’assumer et être responsable, il faut qu’elles soient financièrement fortes et indépendantes. On ne fait pas la politique les mains vides, on est tenté de le dire.
Avec cette loi, ne serait ce que parce que la vision des partis politiques va changer et devra changer pas seulement parce qu’il y a le risque de perdre de l’argent mais à la longue, il y aura le risque de perdre l’électorat. Les femmes ne vont pas continuer de voter pour des partis ou les dirigeants ne veulent se positionner qu’eux-mêmes et faire fi des femmes. Elles ne sont pas nombreuses à oser, cela se comprend. Elles ont été suffisamment brimées, elles sont limitées. Il y a trop de barrières psychologiques réelles conjoncturelles ou structurelles qui existent dans la société qui les limitent.
Nous espérons voir une différence de représentation féminine aux postes électifs. Nous sommes également sur une proposition de loi sur les postes nominatifs parce qu’à ce niveau, il faut reconnaitre que quand une femme est promue, elle est taxée de tous les noms. Parfois elles refusent certaines promotions pour ne pas perdre leur foyer. Mais si elles savent qu’il y a un cadre qui les protège, ce serait déjà un atout.
L’un dans l’autre nous avons besoin de mesures spécifiques. Quand vous voyez les notations par exemple au parti majoritaire, il n’y a que quelques rares femmes qui émergent comme tête de listes dans les nominations. La plupart du temps, celles qui sont 5e sont applaudies alors que si elles sont 5 e au niveau du parti, elles ne passeront pas. On va jusqu’aux 10 premiers à Ouagadougou, on ne trouve qu’une seule femme. Pourtant, en général, ce sont elles qui mobilisent pour les élections. Mais le système est fait de telle sorte qu’elles ont moins d’emprise et arrivent à moins influencer l’électorat pour que ce soit elles qui soient les leaders.
Tous les leaders du monde entier l’ont compris. Même en France Il y a eu une parité qui a été adopté. Nous ne sommes pas plus démocratiques qu’eux. Qu’on ne nous dise pas alors qu’on veut développer la médiocrité. Nous espérons à une saine émulation au fur et à mesure de l’application du quota jusqu’à ce que le quota disparaisse parce que quand on va dépasser le quota, il n’aura plus sa raison d’être. C’est comme aujourd’hui au Rwanda, le quota qui était adopté était de 30% mais à la première application ils étaient à 48% et actuellement ils sont à 56%. Le quota n’est pas une loi qui doit rester, c’est une mesure transitoire pour juste rectifier une inégalité.
Nous espérons que les partis feront des efforts. Ceux qui estiment qu’ils n’ont pas suffisamment de femmes, qu’ils fassent des coalitions pour pouvoir avoir des listes vraiment gagnantes. Le parti majoritaire a décidé d’appliquer la loi. Nous espérons qu’il fera le maximum pour que nous ayons des femmes qui vont apporter leurs compétences dans un esprit de complémentarité. Nous avons envie d’apporter notre spécificité, nos compétences en tant que femmes et nous espérons que la loi de quotas va changer les choses. Tout en se disant que la loi de quota n’est pas une panacée. Ce n’est pas elle seule qui pourra faire changer les choses. C’est un ensemble de mesures d’accompagnement qui pourront faire changer les choses et ses mesures d’accompagnement justement s’appliqueront aujourd’hui avec la SCADD. C’est pour cela que la SCADD est essentielle pour nous, pour tenir compte de l’équité genre.
Quelles recommandations ou propositions pourriez-vous faire ?
En général, au cours de ces rendez vous, les inscriptions se font plus par province que par association. Maintenant s’il y a une possibilité que le Caucus puisse prendre la parole pour faire des recommandations, ce sera toujours dans le sens que nous avons dit : que la SCADD qui va traiter des politiques sectorielles puisse, à travers celles-ci, travailler à corriger les inégalités.
Les lois ont leurs limites. Les lois s’imposent à tous mais nous avons vu toujours des lois qui ont été contournées et qui ne sont pas appliquées. Par la grâce de Dieu, les lois spécifiques comme le quota seront appliquées. Mais, elles ne sont pas très fermes. Par exemple, les listes ne sont pas rejetables à cause du non respect des quotas, on perd seulement des financements. C’est une des mesures qui tend à amener un changement de comportement auprès des populations, qui tendra à impacter la société à force de voir les femmes occuper les postes de responsabilité avec brio.
Donc nous aurons des recommandations qui tendront justement à renforcer ce qui existe déjà, pour renforcer la présence des femmes dans l’occupation des postes de responsabilité. Pas seulement pour colorer mais pour que cela soit un impact et pour qu’elles amènent leur vision. Donc je pense que nous serons complémentaires avec l’exécutif. Nous espérons qu’à travers nos recommandations, on puisse toujours se remettre en cause parce que c’est cela l’individu. Une société n’est jamais parfaite, un individu n’est jamais parfait, un système n’est jamais parfait. C’est une remise en question perpétuelle mais qui ne renie pas le passé. Donc nous allons en tout cas en tant que Caucus agir dans ce sens.
Quel message adressez-vous aux femmes ?
D’abord, un message d’encouragement pour une participation massive aux débats. Non de manière téléguidée, afin de pouvoir répertorier les problématiques et les exposer au chef de l’Etat, toujours sensible aux préoccupations des femmes, qui sera présent. L’occasion ne se présente pas tous les jours, donc il faudra en profiter. Ce qui va être demandé, généralement au cours de l’année, tout est mis en œuvre pour que cela soit exécuté. C’est une opportunité que nous devons saisir pour vraiment transformer les différentes limites, les différentes barrières à nous exposer afin atteindre un changement de mentalité de manière générale. Que les femmes ne se limitent aucunement, qu’elles osent prendre la parole de manière organisée certes mais que leurs réelles préoccupations ressortent devant le chef de l’Etat. Qu’elles continuent de rester mobilisées pour leur promotion mais également pour préparer l’avenir de nos petites sœurs et de nos filles.
Nous espérons que les hommes vont nous accompagner pour que ce ne soit pas toujours comme si c’était du féminisme. Mais j’aime le rappeler, l’homme qui a des enfants, filles et garçons, ne se dit pas que sa fille n’a pas les mêmes droits que le garçon ; il ne s’imagine pas que sa fille occupera moins de responsabilité. Au contraire, le complexe d’Oedipe l’attache davantage à sa fille ; alors qu’ils nous aident, pour qu’ensemble, nous préparions l’avenir de nos filles. Qu’ensemble nous amenions ce changement de comportement, d’action, de vision envers la Femme.