Quand deux Maliens se rencontrent, quelle est leur salutation préférée ? Hêrè hêrè doron. Ce qui signifie : la paix, la paix seulement. Et dans la tradition bambara, on ne peut se faire une bonne renommée sans adhérer aux principes du dambé, c’est-à-dire la décence et la dignité. A l’heure actuelle, à Bamako, tout règne sauf la paix. Entre bérets rouges et bérets verts, deux corps de ce qui reste de l’armée malienne, les limites de la décence ont été totalement bafouées. Au moment où les soldats français et tchadiens viennent de libérer Tessalit, au moment où les premiers formateurs européens foulent le sol malien en vue de restructurer l’armée, au moment où le pays est confronté à ses premières attaques-suicides, la population de Bamako vient d’assister en spectatrice au règlement de comptes violent entre militaires proches de l’ancien président ATT, et ceux de Sanogo, le capitaine de tous les mystères. Ces militaires qui se livrent à leur « guerre de bérets » savent-ils ce qui se passe vraiment dans leur pays ? Comment osent-ils faire cela ? Quelle pagaille ! Il est vrai, depuis la chute surprenante d’ATT, que ces deux corps de l’armée malienne qui ne se sont jamais appréciés ont choisi, désormais, d’étaler leur haine, leurs divisions à la face du monde entier. C’est une honte. Avec de tels militaires, le Mali semble condamné à une damnation éternelle. Car, depuis le début des opérations militaires française et africaine, ces fameux bérets, constitués majoritairement d’une bande de jouisseurs, refusent de mourir pour leur patrie. Comme si le déshonneur était leur seul titre de gloire.
Le désastre actuel que vit le Mali n’est-il pas la faute à son armée qui s’est révélée incapable de défendre la terre de Soundiata Kéita contre des envahisseurs djihadistes ? Sanogo et sa petite clique qui font la loi à Bamako sont la cause de l’état actuel du pays : il faut les neutraliser une bonne fois pour toutes. Bien sûr, c’est facile à dire qu’à faire. Ici, il y a longtemps que le militaire, la force, s’est toujours substitué au politique, au droit. Pourtant, il y a urgence à ramener cette fraction indigne de l’armée à la raison. C’est la seule façon de la rendre à elle-même et surtout de la refonder, de manière radicale. Nous disons bien : refondation et non réforme et restructuration. D’ailleurs, à l’intérieur de Bamako, ces fameux bérets, rouges ou verts, ne jouissent plus d’aucun prestige. Et tout le monde sait que ces gens n’aiment pas la vraie guerre. C’est pourquoi ils inspirent au peuple malien un sentiment de honte et de dégoût sans bornes, de surcroît, en étalant au grand jour leur dilettantisme sauvage. Personne ne sait vraiment pourquoi ils agissent ainsi. Il faut avoir une imagination dégénérée pour faire de telles choses. Désormais, à l’intérieur du Mali, nous faisons face à deux fronts : le front du Nord et le front de Bamako.
Mais qu’on le veuille ou non, ces deux fronts sont intimement liés. Les Maliens ne doivent pas se leurrer : une fois l’intégrité territoriale de leur pays restaurée, soldats français et africains partiront. De nouveau, le Mali se retrouvera seul face à ses problèmes sécuritaires. Sans une armée complètement refondée, il faut craindre, très sérieusement, un effondrement de l’Etat malien. Et pour que l’unification du Mali impose respect et considération au monde entier, il faut travailler à doter ce pays d’un Etat solide, crédible et fort. Les choses sérieuses commenceront donc avec le départ de leurs hôtes européens et africains. Que sera donc l’armée malienne de demain ? Elle sera ce que les Maliens eux-mêmes voudront qu’elle soit.
Seule une armée républicaine peut protéger et servir les intérêts du peuple et de l’Etat maliens. Le peuple malien aime son armée. Celle-ci doit, en retour, se montrer digne d’une telle confiance. Sans une armée forte, aucune grande tâche politique ne peut être accomplie dans le Mali libéré. Il faudra bien dissocier ici le politique du militaire. A Bamako, on a le sentiment que le militaire n’obéit qu’à lui-même et qu’il est livré à lui-même comme une machine folle. Le politique doit retrouver toute sa primauté sur le militaire. Et c’est sur ce volet essentiel que l’on attend beaucoup de l’Union africaine et de la CEDEAO.
Sinon, l’armée malienne actuelle fera toujours échec demain à toute solution politique durable, condition sine qua non d’un bien vivre commun entre Maliens. Et l’on continuera à assister, de manière répétitive, à des affrontements anachroniques entre militaires sans foi ni loi. La paix la plus durable est celle qui a pour fondement la démocratie, l’Etat de droit. En effet, la démocratie permet d’éviter la guerre entre Etats et surtout au sein de sociétés démocratiques. Les soldats d’Etats démocratiques, avec courage et détermination, défendent de nobles idéaux : un idéal d’humanité, de justice, de fraternité et de liberté. Au Mali comme ailleurs, il ne faut donc pas voir que les symptômes extérieurs et superficiels des conflits : en dernière analyse, ils ont leur source dans les profondeurs des âmes des nations en guerre. La guerre que le Mali mène sur ses propres terres dépasse le cadre strict du commandement militaire. Alors, évitons de faire ce que le célèbre philosophe polonais, Kalakowski, avait dénommé « l’éloge de l’inconséquence ».