Au pays des hommes intègres, le mariage est encore conçu comme une affaire de famille, malgré l’existence d’un code des personnes et de la famille(CPF) depuis 1989, qui prohibe à la fois la dot et le mariage forcé. Au quotidien, l’on continue d’accorder de l’importance à certaines coutumes qui sont à contre-courant des droits de l’Homme en général, et de ceux de la femme en particulier.
Dans certains royaumes Mossi du nord Burkina, des femmes vivent en silence ce qu’il convient de nommer « l’esclavage ». Lorsqu’une jeune fille d’une famille royale tombe enceinte en dehors des liens du mariage coutumier, sa famille l’expulse. Cette expulsion peut souvent durer des décennies, voire toute une vie. Certaines traditions familiales veulent en effet que la jeune fille « Sên saamé » (fautive en langue mooré), puisse attendre de toucher le cadavre du chef de son village, pour pouvoir obtenir le Sèega( pardon familial). Tout dépend donc de la longévité de ce chef. Dans l’espoir d’être un jour pardonnée, la « fautive » n’entretient absolument aucun lien avec les membres mâles de sa famille. Pire, elle peut être contrainte d’épouser un Naaba (chef traditionnel) ami de sa famille et qui est, dans la plupart des cas, vieux et marié à une dizaine de femmes. Au décès de son mari, la jeune femme sera léguée au successeur de son mari initial, par le mécanisme du lévirat.
« Nous sommes d’une famille royale, et l’honneur nous est une valeur capitale. La sévérité de la sanction a une fonction dissuasive », nous a expliqué un notable. Cet homme a ajouté que si la sanction n’est pas rapide ou conforme à la tradition, les « Kiimsé » (mânes des ancêtres) déverseront leur colère sur toute la famille, à commencer par le Naaba.
De nos jours, la pratique persiste mais sous d’autres formes. En effet, avec la cherté de la vie et la prolifération des maladies sexuellement transmissibles(MST), les Naaba n’ont que véritablement deux ou trois femmes. Les autres malheureuses élues devraient vivre d’espoir, et s’adonner corps et âme aux travaux champêtres. Toutefois, cet oubli ne s’interprète pas comme un accord tacite du divorce : Les sanctions contre la femme deviennent plus sévères si jamais elle réussissait à s’enfuir. Une dame du nom de Tengana nous a retracé son histoire, une histoire qui met à nue la cruauté de certaines traditions.
Les parents de Tengana ont divorcé depuis qu’elle avait six ans. Maltraitée par sa marâtre, elle a dû abandonner les études en classe de CM2. Trois ans après, elle est tombée enceinte d’un homme de sa génération qu’elle dit aimer. Mais étant d’une famille royale, la jeune fille n’a pu épouser l’homme de son choix. Elle a été forcée de se marier à un Naaba ami de la famille. Après sept longues années passées au palais, au milieu d’une vingtaine d’autres « reines » et sans réel contact avec le chef, elle a fini par fuir afin d’épouser un autre homme du nom de Hamidou. Les voies du pardon se sont alors rétrécies. La pauvre femme n’a pas pu supporter les injures de sa coépouse qui l’apostrophait « Ned sên Ka buudu » (Celle qui n’a pas de famille). Elle a fini par plier bagage pour rejoindre son premier homme, celui avec qui elle a eu un enfant. Tengana vit désormais un calvaire moral, à l’instar de plusieurs de ses tantes qui ont franchi l’âge de soixante ans ou qui sont tout simplement décédées sans obtenir l’absolution de leurs « pêchés ».
Les yeux fermés de nos dirigeants
De ce qui précède, l’on peut pertinemment se poser certaines questions : Nos dirigeants sont-ils au courant de ces pratiques ? Ont-ils les moyens efficaces de les faire cesser ? Il faut dire que de plus en plus, les « Bonnets rouges » sont des intellectuels qui, de surcroît, sont engagés en politique. La chefferie traditionnelle avait donc grandement besoin d’être institutionnalisée car ce lobby a une influence sur les citoyens (pour la plupart ruraux), et partant, sur les politiciens qui sont obligés de coopérer pour des raisons évidentes. Cette coopération implique que chacun fasse une concession. Et la concession des dirigeants est certainement un minimum de critiques sur les traditions. Vers les années 2000, une louable campagne contre le mariage forcé a été initiée. Mais cette campagne n’aura pas fait long feu. L’Etat néglige t-il à présent l’ampleur du mariage forcé ? En toute hypothèse, les dirigeants doivent se rappeler que ce fait social n’est pas un moindre mal.
Un conservatisme meurtrier
Nombre de burkinabè sont davantage attachés aux normes traditionnelles qu’aux lois. D’ailleurs, bien que le CPF l’interdise clairement, le « Pog-Poussom »(dote), le célèbre « PPS », demeure une pratique « normale ». Sur le plan purement culturel, cela n’est pas condamnable. Mais sur le plan juridique, la non-application des textes traduit une insuffisance institutionnelle.
En 2006, lors d’une cérémonie d’intronisation d’une reine en pays Mossi, l’ancienne ministre de la promotion des droits humains, Monique Ilboudo, a fait savoir en substance que nous pouvons faire évoluer nos traditions dans le sens positif. Les femmes rurales burkinabè, déjà éprouvées par la pauvreté, l’excision, les violences conjugales et la discrimination, doivent au moins avoir la liberté de choisir leurs conjoints et le droit d’appartenir à une famille.
Michel KONKOBO