Les chants, mythes, légendes et récits fondateurs, voire toutes les cosmogonies du Mali, tournent autour de la guerre, de l’héroïsme et de la bravoure militaires. Or, de nos jours, c’est en vain qu’on cherchait une doctrine stratégique malienne sur la guerre. Pour tout dire, elle reste introuvable. Généralement, quand une guerre commence, tout le monde se dit qu’elle ne va pas durer. Et pourtant, la guerre finit par se prolonger et par durer, jusqu’à la victoire totale d’une des parties en conflit. Il n’ y a donc jamais de guerre courte. Au Nord-Mali, on s’y attendait. Les djihadistes mettent en application leur stratégie contre–insurrectionnelle. Ils ont choisi de prendre les populations civiles comme objet et finalité de leur combat : créer au sein de celles-ci un climat d’insécurité psychologique totale. Les obus qui frappent des cibles civiles, tirés par les djihadistes, montrent à l’évidence que les zones dites libérées par les soldats français et africains sont loin d’être sécurisées. L’enjeu de cette nouvelle guerre qui commence, c’est le contrôle des populations. Or, les djihadistes savent très bien que les populations du Nord-Mali n’adhèrent pas et n’adhèreront jamais, de manière majoritaire, à leur dessein satanique. Alors, ils misent sur une stratégie, la peur généralisée. Ce qui complique les choses, c’est qu’à Tombouctou, Gao et Kidal, on ne peut pas parler de véritables batailles militaires entre troupes françaises, africaines et les djihadistes. Ici, on entre bien dans le registre de la guerre secrète ou guerre de l’ombre ; en d’autres termes, la guerre imprécise, irrégulière. On l’a bien vu avec les Talibans afghans, la supériorité technologique et militaire des Américains et de leurs alliés s’est révélée ici, totalement inadaptée et impuissante. La guerre contre le terrorisme djihadiste est une guerre périphérique, contrairement aux guerres frontalières et révolutionnaires du XXe siècle.
C’est donc un nouveau mode de confrontation auquel tous les Etats de la planète, y compris la puissante Amérique sont, en vérité, mal préparés. Et tout cela, rares sont les stratèges mondiaux à l’avoir anticipé. Partout règne ce qu’il faut bien nommer, face au terrorisme djihadiste, une impasse, voire un vide stratégique. Ici, il n’ y a ni temps de la guerre, ni temps de la politique, ni temps de la diplomatie : tout se tient de manière organique. Et les acteurs périphériques de sociétés dites sous-développées sont devenus les nouveaux centres de gravité dans les conflits du XXIe siècle. La nouvelle guerre qui commence au Nord-Mali est aussi et surtout une « guerre de cognition » : connaissons-nous vraiment ces djihadistes ? Si non, comment interpréter avec justesse la guerre actuelle au Nord-Mali ? Elle est encore trop chargée d’incertitudes et d’épaisses zones d’ombre pour que le peuple malien puisse se livrer entièrement à la joie. D’ailleurs, l’incapacité de l’Afrique à s’adapter à cette nouvelle forme de guerre est sidérante. A l’indolence politique de la CEDEAO, se jouxte l’indolence militaire de nos armées. Face aux djihadistes, on ne sortira pas de cette guerre par des traités de paix ou par des compromis durables. Français, Maliens et soldats africains rêvent d’une guerre limitée ; les djihadistes, eux, rêvent d’une guerre totale. Par conséquent, une victoire totale sur les fanatiques de l’apocalypse ne surviendra pas en un laps de temps. Tous les Etats, surtout démocratiques, doivent le comprendre. C’est la seule façon de ne pas perdre les guerres actuelles et surtout celles de demain. Au XXIe siècle, on assiste donc à une véritable mutation de la guerre. Le penseur et stratège Philippe Baumard a pleinement raison quand il nous prévient que « la stratégie, c’est la capacité de définir un dessein qui assure la pérennité de ce qui est et de qui sera ». Evitons donc de nous tromper, afin que les illusions de la guerre éclair au Nord-Mali ne nous conduisent dans un vaste enclos d’auto-aveuglement collectif et suicidaire.