Entre l’unité de coordination du Programme de développement intégré de la vallée de Samandéni et les populations locales, c’est carrément le désamour. En décidant de mettre fin aux négociations, les populations locales disent n’attendre que le PDIS répare les irrégularités constatées dans le processus d’indemnisation de leurs terres et autres propriétés détruites dans le cadre de la réalisation du projet. Aussi, réunies au sein d’un cadre de concertation, ces populations délocalisées pour la réalisation du barrage de Samandéni ont enclenché une lutte opiniâtre à l’issue de laquelle elles espèrent voir leurs préjudices réparés. C’est ainsi que le lundi 23 mars 2015, le cadre de concertation dirigé par Abdramane Sidiki Ouattara a organisé une grande assemblée générale à laquelle des représentants d’une quinzaine de villages ont participé ; avec par ailleurs, la bénédiction de leurs différents chefs de village, présents également.
Lundi 23 mars 2015. Sous des manguiers à Diofoloma, un village dans la commune rurale de Bama, à environ 50 km de Bobo-Dioulasso, des centaines de personnes issues de 15 villages dans les provinces du Houet et du Kénédougou, attendaient, depuis même le matin, Abdramane Sidiki Ouattara, le président du cadre de concertation des populations délocalisées dans le cadre de la construction du barrage hydroélectrique et agricole de Samandéni. Un gigantesque projet d’un milliard 50 millions de m3 d’eau auquel devrait être jouxtée une plaine irriguée de 1 500 ha initié par le gouvernement burkinabè. La mise en œuvre du Programme de développement intégré de la vallée de Samandéni (PDIS) vise notamment à promouvoir la sécurité alimentaire durable et la production énergétique à travers une centrale hydroélectrique de 16,8 Gwh.
Si également l’un des objectifs visés par le programme est la lutte contre la pauvreté dans le secteur rural, les populations des villages touchés et qui devront déguerpir se sentent cependant brimées par les responsables du PDIS, ce depuis le processus de recensement enclenché en 2007. Notamment dans le volet gestion environnementale et sociale du projet. D’où leur révolte. Aussi ce sont-elles constituées au sein d’un cadre de concertation à travers laquelle elles ont du reste élaboré une plateforme revendicative adressée aux autorités régionales et au coordonnateur du PDIS. Mais, les responsables du PDIS jugeant irréaliste la plateforme revendicative du cadre de concertation qu’ils ne reconnaissent d’ailleurs pas, parce que non reconnu officiellement, n’ont pas pris au sérieux ces complaintes et dans un premier temps, ils n’ont pas voulu accéder à la demande d’audience que le cadre leur a adressée. Néanmoins, le coordonnateur du PDIS, Tamoussi Bonzi, s’en est remis au gouverneur des Hauts-Bassins, lequel préside le comité régional de réinstallation et d’indemnisation (CRRI) des populations délocalisées. Celui-ci a, à son tour, convoqué les chefs des différents villages concernés (12 au total) ainsi que les présidents des comités villageois de développement (CVD) pour des échanges le 5 mars dernier à Bobo-Dioulasso. Mais ces derniers ont tout simplement décidé de boycotter la rencontre. Comme pour dire qu’entre le PDIS et les villageois établis dans l’aire du barrage de Samandéni, le dialogue est désormais rompu. C’est aussi ce qui a été décidé lors de l’assemblée générale tenue à Diofoloma dans la matinée du lundi. Après une longue liste de témoignages, les villageois ont décidé de ne point écouter le PDIS, ou du moins que s’il s’agit de parler de la satisfaction de leur plateforme. Ils ont réaffirmé leur ferme solidarité avec le président de leur cadre de concertation, Abdramane Sidiki Ouattara qui, d’après ses propres dires, est l’objet d’intimidations et de menaces divers.
Du contenu de la plateforme
Le contenu de la plateforme revendicative adressée au PDIS révèle que le cadre de concertation des populations délocalisés pour la construction du barrage de Samandéni qui comporte les populations de 15 villages, veut : la suspension pure et simple des travaux de construction de l’ouvrage de barrage pour différer sa mise en eau afin de permettre que le processus de délocalisation et de réinsertion soit réexaminé dans un climat plus serein ; la communication des critères d’évaluation et d’indemnisation des investissements immobiliers des populations déplacées et la mise en place de mesures d’accompagnement adéquates (octroi de matériel de construction) pour la réalisation des immobilisations sur les sites d’accueil ; l’indemnisation de l’ensemble des champs évalués dans la cuvette du barrage depuis l’année 2007 à raison de 200 mille F CFA pour les superficies emblavées et 50 mille F CFA pour les superficies en jachère. Les villageois réclament l’octroi d’une indemnité forfaitaire de 3 millions de F CFA compensatrice des préjudices de délocalisation pour chaque ménage recensé et qui doit se déplacer ; la construction sur chaque site d’accueil des villages déplacés des infrastructures économiques, sociales, et culturelles selon les normes prescrites et en fonction de la taille des populations déplacées. Il s’agit de marchés, d’écoles primaires avec logements des enseignants, de CSPS, de mosquées pour les musulmans, d’églises pour les chrétiens, de plateaux omnisports de divertissement pour la jeunesse. Par ailleurs, ils souhaitent la réalisation effective d’un minimum de huit forages positifs sur chaque site d’accueil des populations déplacées. La réalisation pour chaque site d’accueil de mini-adductions d’eau potable (AEP) simplifiés (forage, château d’eau et réseau de distribution). La construction de pistes rurales pour le désenclavement total des sites d’accueil des villages déplacés et conformément au circuit actuel de circulation des populations, le paiement dans les meilleurs délais de tous les protocoles déjà signés pour l’indemnisation des investissements notamment dans les villages de Kokoro et de Sokorola, ainsi que la mise en place d’un fonds pour le financement de projets au profit des jeunes et des femmes afin d’insuffler une dynamique de relance des activités économiques de la zone et de favoriser une meilleure réinsertion socioéconomique des populations sont, aussi entre autres, éléments de la plateforme adressée au PDIS.
Tout compte fait, pour la satisfaction de leurs revendications, les populations locales n’entendent pas rester sans rien faire. D’abord, il était surtout prévu un sit-in sur le chantier du barrage. Mais, les responsables du cadre de concertation voulant éviter tout débordement, ont simplement décidé de transformer le sit-in en assemblée générale. Ce qui a eu lieu lundi donc. De son côté, le PDIS qui se dit préoccupé par la situation des populations, selon son coordonnateur, ne comprend pas pour autant pourquoi celles-ci se sont rétractées lorsqu’elles ont été convoquées par le gouverneur Alfred Gouba. D’ailleurs, tablant sur des données « erronées » qu’Abdramane Sidiki Ouattara présenterait aux villageois pour avoir leur adhésion à ses « manœuvres politiciennes, sans doute », le coordonnateur du PDIS, d’après ses propres propos, « ne cède pas à l’anarchie » mais insiste néanmoins sur la nécessité du dialogue et les rassure de son soutien pour plaider en leur faveur auprès du gouvernement. Du reste, le PDIS aurait prévu une deuxième phase dans la mise en œuvre de son programme de gestion environnementale et sociale. Celle-ci, d’après lui, prend en compte la plupart des revendications ci-dessus exprimées.
Dans nos prochaines éditions, nous vous proposons un dossier spécial sur les difficultés autour du barrage de Samandéni, avec le contenu des différents témoignages recueillis lors de nos nombreuses sorties sur le terrain, ainsi que le mémoire en défense du coordonnateur, Tamoussi Bonzi, et du chef du service environnemental et social du PDIS, Fanny Kaboré. Notre dossier comporte également un entretien entre le président du cadre de concertation des populations délocalisées, Abdramane Sidiki Ouattara, et deux agents de la Cour des comptes qui également suit le dossier de près.
Notons pour finir, que l’assemblée générale des populations du barrage fait suite à la visite du président Michel Kafando et de l’ensemble du gouvernement de la Transition intervenue dans le mois de février dernier.
Par Lassina Fabrice SANOU