Rarement calendrier judiciaire aura été aussi parfaitement synchronisé. C’est aujourd’hui en principe que doivent respectivement s’ouvrir le procès Obouf devant le tribunal correctionnel et les assises des états généraux de la justice.
Une tribune où tous les problèmes inhérents au monde judiciaire devront être courageusement mis sur la table et cela, à quelques jours du mouvement d’humeur des greffiers qui, à travers leurs revendications, ont reposé la question des statuts particuliers.
Il y a aussi l’éternel problème de l’indépendance de la Justice, les problèmes de moyens, de sécurité des personnels, bon nombre de tribunaux ne disposant même pas d’une clôture.
En tout cas, en haut lieu on assure qu’il y aura vraiment une remise à plat du système pour ce qui est considéré comme l’un des grands chantiers de la Transition. Avec le risque, néanmoins, que le débat se transforme en véritable foire d’empoigne.
Avec quelque 700 participants réunis dans un chaudron, il y aura immanquablement ceux qui s’écouteront parler tandis que d’autres, porteurs de propositions pertinentes, auront du mal à faire entendre leur voix.
Mais le risque le plus grand, c’est que les dossiers pendants qui restent des cas particuliers viennent prendre en otage ces états généraux qui, comme leur nom l’indique, sont censés rester, quoi qu’on en dise, de portée générale.
En tout cas, pendant que ces assises sont lancées, la Justice est sur le point de tester ses bonnes résolutions dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’affaire Obouf. En effet, il y a quelques semaines de cela, une unité de falsification de dates de péremption a été découverte dans un entrepôt appartenant à Ouédraogo Boureima, P-DG du groupe Obouf.
Quelque 1300 tonnes de boissons gazeuses impropres à la consommation depuis belle lurette et attendant quand même d’être intégrées dans les circuits commerciaux. Il n’en fallait pas plus pour que pour certains l’acronyme Obouf rime avec malbouffe.
Etant donné les hectolitres de ces sucreries ingurgitées chaque jour, nombreux sont ceux qui estiment qu’il s’agit d’un empoisonnement de masse. Il a eu beau se défendre dans une interview, et ses avocats ont eu beau argumenter et se confondre en explications, rien n’y fait.
Dans l’imagerie populaire, Obouf reste le prototype de cette race d’opérateurs économiques qui avaient pignon sur rue sous l’ancien régime et qui, de ce fait, se permettaient tout et n’importe quoi.
Ne serait-ce que pour ce qui précède, on en connaît qui seraient prêts à le pendre à un croc de boucher sans autre forme de procès. Et si ça se trouve, il n’est peut-être pas le seul à avoir usé ou à user encore de méthodes frauduleuses pour s’enrichir chaque jour un peu plus.
A l’heure qu’il est, l’homme d’affaires et ses 12 acolytes croupissent à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou dans l’attente du procès, initialement prévu pour le 17 mars au tribunal de grande instance et reporté au 24, grève des greffiers oblige.
Ils devront répondre, dans ce premier volet de l’affaire, du chef de «tromperie de consommateurs, provocation de l’emploi d’appareils propres à la falsification» ainsi que de complicité. Et pour ne rien arranger, voilà que le géant d’Atlanta, jaloux de son image, a porté plainte dans ce qui s’annonce comme un marathon judiciaire avec l’instruction en cours cette fois pour « administration de substances nuisibles à la santé ».
On ne sait pas si son nouvel avocat, Me Antoinette Ouédraogo, trouvera la combinaison qui par miracle permettra à son client de limiter les dégâts, à défaut de se tirer d’affaire, car sans qu’on en vienne à présumer de sa culpabilité, on se demande quels pourraient bien être les arguments de la défense dans ce cas de flagrant délit.
Il y a encore quelques mois, l’homme d’affaires aurait eu peu de chances d’être inquiété, vu ses accointances supposées ou réelles avec le régime déchu, mais comme désormais rien ne sera plus comme avant, l’institution judiciaire tient là une occasion en or de démontrer dans le domaine qui est le sien et dans le plus pur respect de la procédure et des droits sacrés de la défense que ce slogan-là n’est pas pris à la légère.
Marie Ouédraogo