Comme bon nombre de Ouagalais, le Directeur général de l’Urbanisme et des Travaux fonciers, Léonce Paul Toé, a eu des inquiétudes avec les récentes et incessantes pluies sur Ouaga ; en tête naturellement, les inondations du 1er septembre 2009 qui avaient fait en son temps de nombreux dégâts dans la ville. Mais, qu’est-ce qui a été fait depuis lors pour parer à d’éventuelles catastrophes de la même ampleur, notamment en matière d’habitat et d’urbanisme ? La question a constitué l’essentiel de l’entretien que le Directeur général Toé nous a accordé ce 8 août 2012.
Si des efforts importants ont été faits dans la capitale en matière d’évacuations pluviales, beaucoup reste encore à faire. Mais, tout ne dépend pas que de l’Etat, les populations ayant aussi une responsabilité à assumer, notamment en ce qui concerne la libération des zones identifiées comme inondables ou submersibles que des citoyens continuent abusivement d’occuper, en dépit de l’existence d’un décret y relatif et les risques évidents d’insécurité. Mais, que faire face à cette situation ? Là-dessus, Toé préfère ménager la chèvre et le chou, même s’il n’hésite pas à qualifier les comportements d’incivisme. Interview exclusive.
Lefaso.net : Globalement, qu’est-ce qui a été fait dans le domaine de l’habitat et de l’urbanisme depuis les événements du 1er septembre 2009 ?
Léonce Paul Toé : Depuis les événements du 1er septembre 2009, il y a eu en matière d’habitat des actions d’urgence qui ont concerné l’aménagement de sites pour tous les sinistrés de la ville de Ouagadougou. On a une trame aménagée à Yagma où on a pu attribuer des parcelles aux sinistrés. Il y a eu un accompagnement sur ce site pour aider les gens à construire notamment en intégrant la problématique justement d’un habitat durable, une technique de constructive qui était à l’initiative aussi d’ONU-Habitat. Avec l’ONG Helvetas dans un programme de l’Union européenne on a réalisé des caniveaux sur le site parce que c’est un site qui est sujet à inondations pour éviter des inondations futures. Vous trouverez à Yagma un site où il y a des canalisations en Haute intensité de main d’œuvre (HIMO). Ces actions ont été menées dans l’urgence.
Maintenant par rapport à la ville de Ouagadougou, on a considéré les causes réelles des inondations qui tiennent principalement au fait que l’essentiel des eaux de la ville traversent le parc Bangr Weogo et sont drainées au niveau de Kossodo par le pont Ana Yélé. Il n’y avait pas d’aménagement pour assurer l’évacuation des eaux. L’action prioritaire, c’était de travailler à assurer une sortie des eaux pluviales de Ouagadougou. C’est dans ce cadre qu’on a pu avec un accompagnement de la BOAD réaliser l’exécutoire dans le parc urbain Bangr Weogo. Ce projet est d’un montant de six milliards et exécuté par l’entreprise COGEB. Ce canal qui est réalisé aujourd’hui contribue considérément à réduire les risques d’inondations parce que l’évacuation des eaux de la ville est maintenant assurée. Mais, il faut encore un traitement plus affiné puis que l’arrivée des eaux dans le parc par les canaux de Zogona et de Wemtenga n’est pas encore totalement assurée. C’est une action majeure qui reste aujourd’hui et qu’il faut traiter pour que la sortie des eaux de la ville soit pleinement assurée, c’est-à-dire que même s’il y a beaucoup d’eau qu’il y ait au moins un passage clair pour que les eaux puissent se retirer de la ville.
Qu’est-ce qui bloque l’arrivée des eaux dans le parc ?
Ce qui bloque, c’est qu’il n’y a pas de traitement dans le parc. Parce que jusque-là les eaux y arrivent en vagues sans dispositif aménagé pour les drainer vers le nouveau canal. Il s’agit justement de réaliser un canal à l’intérieur du parc qui va collecter les eaux et les acheminer dans l’exécutoire aménagé à la périphérique de Bangr Weogo.
Maintenant à l’intérieur de la ville, il y a le curage normal de tout ce qui est réseaux de drainage des eaux. A Ouagadougou, il y a quand même quelques réseaux réalisés. On a les canaux primaires comme le canal de Moro qui se jette dans le barrage de Dapoa. Ces canaux ont également besoin d’être curés, nettoyés au vu de tous les déchets urbains que ces réseaux drainent. Parce qu’à la sortie c’est tout un tas d’immondices qui bloquent l’écoulement normal des eaux. Pour la ville de Ouagadougou, il y a un schéma de drainage des eaux pluviales qui existe. On est en phase d’exécution et il y a des projets engagés dans ce sens. La commune de Ouagadougou a un projet avec la BAD pour traiter le canal de Moro en amont et qui traverse le quartier Cissin. Nous-mêmes nous avons réalisé des études pour le traitement du canal de Ouaga 2000. Vous avez en effet un canal qui traverse le site de Ouaga 2000 pour rejoindre à peu près la route de Pô et qui se déverse après cette route. Nous avons réalisé des études de traitement de ces canaux primaires pour faciliter l’évacuation des eaux de pluie. C’est ce qui limite les inondations c’est-à-dire qu’en cas de forte pluie, cela aide les eaux à se retirer rapidement da la ville. Cela ne supprime pas les risques d’inondations, contrairement à ce que les gens imaginent souvent.
Vous avez parlé de l’exécutoire à la périphérie de Bangr Weogo. Quand avez-vous réalisé ce canal ?
Les travaux de l’exécutoire ont été lancés le 14 octobre 2011 par le Premier ministre Luc Adolphe Tiao et la fin des travaux est attendue pour octobre 2012. Au jour d’aujourd’hui on est à 90% du taux d’exécution des travaux. C’est parce que ce canal a été réalisé que même avec les dernières fortes pluies qu’on a connues, les eaux se sont assez rapidement retirées de la ville. Si vous voulez le vérifier en cas de forte pluie, allez jeter un coup dans ce canal pour voir ce qu’il y a comme eau.
Pouvez-vous nous situer davantage l’exécutoire ?
Le canal est situé à la fin de Bangr Weogo. C’est le prolongement du canal de Wemtenga qui arrive après la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Après la MACO, continuez jusqu’au pont Anna- Yélé à Kossodo. Un fameux pont qu’on appelle ‘’Ana Yélé’’ parce qu’à l’époque beaucoup de gens en voulant le traverser dans des conditions difficiles y ont péri. Le canal passe sous la connexion de l’échangeur de l’est et de la route de Kaya et finit donc après le pont Anna Yélé. Normalement, les eaux sont conduites jusqu’au Massili. Les actions complémentaires, ce serait même de prolonger la sortie parce que dans le projet actuel on est à 300-400m pour la sortie des eaux. C’est insuffisant. Il faut le faire pratiquement sur 1 km pour s’assurer que la sortie des eaux n’est pas gênée.
Avez-vous un délai ou un projet pour la réalisation des travaux complémentaires ?
Oui, le gouvernement vient de signer une convention avec la BOAD pour des travaux confortatifs sur l’exécutoire qui va concerner le traitement du fond. Parce qu’aujourd’hui le canal est creusé, les côtés sont bétonnés mais le fond est nu. Il y a donc un financement complémentaire pour cimenter le fond. Cela va accélérer l’écoulement des eaux et sécuriser le canal pendant longtemps.
Combien vont coûter ces travaux confortatifs de l’exécutoire ?
C’est autour de cinq milliards francs CFA.
Y-a-t-il un délai pour l’exécution de ces travaux ?
Ce sera à la suite de la réalisation du canal puisque la BOAD est d’accord pour le financement. On va poursuivre immédiatement pour sécuriser une bonne fois l’exécutoire.
Pour le traitement des eaux qui arrivent au parc Bangr Weogo, quelque chose est-il prévu ?
Le traitement est pensé mais on a encore besoin de financement pour que cela soit exécuté. Après les inondations du 1er septembre 2009, on avait identifié des zones et l’on avait demandé aux habitants de ces zones de déguerpir.
A ce jour, ces zones sont-elles libérées ?
Non. Les gens n’ont pas libéré ces zones. On a implanté des bornes pour montrer aux gens où se trouvent les limites des zones inondables en fonction du décret y relatif. Mais, les gens n’ont pas libéré les zones.
Mais, qu’envisagez-vous pour que ces zones inondables soient respectées dans l’occupation de l’espace ?
Qu’est-ce qu’on envisage ? (rires et petit silence)
Parce qu’après les inondations, le gouvernement semblait en tout cas déterminé à faire respecter ces zones inondables par les populations…
Il faut reconnaître que si les gens étaient responsables, l’on ne devrait pas être confronté à une telle situation. Tout le monde a vu des maisons s’écrouler dans ces zones et on a indiqué que c’était dangereux d’y habiter. Mais, les gens malgré tout y sont toujours. Vous allez à Dapoa, là où les maisons ont commencé à s’écrouler en premier le 1er septembre 2009, vous trouverez des gens qui sont en train d’y construire ou y ont construit des maisons. Et même des sinistrés qui ont reçu des parcelles à Yagma sont revenus dans leurs anciens quartiers pour y bâtir des maisons.
Il y a donc comme une sorte d’incivisme…
Ce n’est pas comme une sorte d’incivisme ; c’est de l’incivisme. Mais les gens doivent comprendre que l’Etat n’est pas là pour agir contre les populations. L’Etat est là pour sécuriser les populations en milieu urbain. Et les actions de sécurisation, c’est déjà de réaliser le drainage des eaux de la ville pour éviter que les zones d’habitation ne soient pas inondées. C’est également indiquer aux gens les zones les plus dangereuses. Maintenant le respect de ces normes relève aussi de la responsabilité des populations. Que l’Etat soit encore obligé de faire la force aux gens pour les mettre en sécurité, ce n’est pas intéressant. Que l’on soit obligé de faire le bonheur de quelqu’un contre sa volonté, ce n’est pas du tout facile.
Le gouvernement n’a-t-il pas lâché un peu la pression sur ces populations pour les amener à quitter ces zones ?
Pourquoi voulez-vous que les choses se passent sous pression ? On a affaire à des hommes. On n’a pas affaire à des animaux. Les gens sont quand même conscients des dangers qu’ils encourent. Pourquoi faut-il leur faire pression pour qu’ils comprennent qu’ils sont dans des zones d’insécurité. Mais, il faut que les gens prennent conscience qu’ils sont en ville et qu’il y a des normes à respecter en matière d’occupation des espaces.
Personnellement, j’ai assisté en 2010 à une visite des zones inondables au cours de laquelle les autorités avaient affirmé leur ferme volonté à faire respecter la délimitation des zones inondables. Deux ans après, l’on a l’impression d’être pratiquement à la case sur ce point. Est-ce que la crise de 2011 a eu un impact sur le relâchement de la pression sur les habitants de ces zones à risques ?
C’est ce que je vous dis. Le gouvernement n’a pas à agir contre les gens pour leur propre bien. Il n’y a aucun gouvernement qui ambitionne d’agir ainsi. Ce qui est fait, c’est pour protéger les gens, c’est pour effectivement qu’en cas d’inondations qu’on n’ait pas encore à enregistrer des pertes en vies humaines. Maintenant, si les gens ne veulent pas partager les options du gouvernement, l’on se retrouve dans un environnement difficile. Même indépendamment de la crise de 2011, on n’aménage pas la ville contre le gré des populations. C’est parce qu’il y a des incompréhensions qu’on en arrive là. Sinon, le gouvernement ne fait qu’agir dans le sens du bien public.
Mais, pour la suite, qu’est-ce qu’il faudrait faire pour gérer ce problème ?
Il faut la sensibilisation. Mais, il faudra aussi de la fermeté. On fait recours à la fermeté parce que la sensibilisation, la conscientisation n’a pas pris. C’est tout. Mais, ce n’est pas la première formule qu’un gouvernement utilise pour gérer les populations. C’est le recours ultime. Si la fermeté est nécessaire pour régler la question, il faut qu’on y arrive. Parce qu’en dernier ressort, s’il y a des catastrophes demain c’est le gouvernement qui sera tenu pour responsable de ce qui est arrivé aux populations.
Pouvez-vous nous rappeler les zones inondables de la ville de Ouagadougou ?
C’est tout ce qui est marigots et cours d’eau dans la commune de Ouagadougou qui sont d’une certaine importance. Il y a des servitudes qui sont données et qui sont indiquées comme des zones où il ne faut pas construire. Il y a des servitudes qu’on dit zones submersibles c’est-à-dire les endroits susceptibles d’être envahis par les eaux en cas d’inondations et où il faudrait des contraintes spécifiques pour sécuriser toute construction dans ces zones-là. De manière pratique, vous avez les zones des 3 barrages : Dapoa, Paspanga, Kologh Naba, Boulmiougou, Nonsin. Ce sont les zones d’urgence, là où le danger est toujours pressant. Il y a d’autres zones comme Lanoa Yiri sur la route de Pô. En 2009 on a vu comment les maisons sont tombées comme des châteaux de sable dans cette zone. Il y a également le canal de Moro Naba dans sa partie non aménagée, notamment à partir du pont de Cissin en remontant. Ce sont là autant de zones dangereuses.
Au-delà de ces zones submersibles ou inondables, ne faudra t-il pas revoir les modes de construction ?
Surtout les habitats précaires parce que ce sont ces types de constructions qui ont été concernées par les inondations. Prenez l’exemple de grandes villes dans le monde. En cas d’inondations dans ces villes, les eaux se retirent après et les maisons restent. Mais, ce qui ne reste pas, c’est ce qui n’a pas été construit justement dans les normes, dans la durabilité. Chez nous, c’est ce qu’on a vu dans les zones non loties où les gens construisent même sans fondation. Même avec une bonne pluie, ces maisons ne peuvent pas tenir débout, à plus forte raison en cas d’inondations. C’est ce qui était principalement en cause en 2009.C’est pour toutes ces raisons que la construction est réglementée au Burkina Faso aujourd’hui. Il y a des règles pour construire, il faut avoir un permis. Et quand vous faites la demande du permis de construire, le technicien a la possibilité de vérifier les différents paramètres de la construction.
Les constructions à Yagma respectent-elles ces normes ?
A Yagma, il y a eu un accompagnement spécifique. Les gens ont réfléchi sur la manière de faire les fondations même quand on construit en banco. Le problème, ce n’est pas les matériaux de construction, mais les techniques de construction. Dans nos non loties, les gens ne respectent pas ces techniques. Ils ne font même pas de la construction. Même au village où l’on utilise le banco depuis longtemps, les gens ne construisent pas de cette façon. Ils se contentent de poser les briques pratiquement à même le sol sans fondation et pensent que les constructions peuvent tenir. Ce n’est pas possible. Mais, à Yagma, il y a eu justement un accompagnement pour dire aux gens qu’ils ont au moins la possibilité de sécuriser leurs maisons même s’ils construisent en banco. Et cette technique a été largement expliquée. Le ministère de l’habitat a même réalisé des prospectus pour vulgariser la technique. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas les moyens qu’on ne peut pas réaliser une maison sûre, qui ne va pas s’écrouler sur vous en cas de grande pluie. Avez-vous l’impression que les gens suivent vraiment cette technique ?
Oui. A Yagma, les gens suivent.
Donc, à ce niveau pas de risques d’écroulement de maisons…
Non, si les gens respectent un minimum de règles, s’ils sécurisent leurs fondations, ils seront quand même protégés dans une certaine mesure contre les effondrements de maisons. Cela dit, on n’est jamais totalement à l’abri des catastrophes naturelles.
Vous avez évoqué un certain nombre de mesures qui ont été prises depuis les événements du 1er septembre pour limiter les effets d’éventuelle catastrophe. Mais, n’avez-vous pas eu quelques inquiétudes avec les dernières fortes pluies de ces dernières semaines ?
Bien sûr. Puisque je vous ai qu’on n’a pas encore fini avec les actions prioritaires pour assurer l’évacuation des eaux de la ville. Il reste encore beaucoup à faire. Et puis Ouagadougou a tellement grandi que ce n’est aussi facile de drainer les eaux d’un site aussi énorme, parce que le drainage est également fonction de la superficie de la ville. Ouagadougou étant grande, il y aura toujours des poches d’insécurité tant qu’on n’aura pas fini complètement d’exécuter le schéma de drainage global pensé pour la ville de Ouagadougou.
A combien estimez-vous la superficie de la ville de Ouagadougou ?
Je n’ai pas un chiffre exact en tête, mais c’est quand même énorme. Au jour d’aujourd’hui, Ouaga a pratiquement un rayon de 20-25 km.
Pensez-vous véritablement que le Burkina Faso est aujourd’hui mieux préparé pour affronter une catastrophe de la taille des inondations du 1er septembre 2009 qu’il ne l’était il y a quelques années ?
S’il y a une catastrophe de la même ampleur, les dégâts ne seront pas pareils. Aujourd’hui, on a quand même traité la sortie des eaux, c’est-à-dire qu’en cas de fortes pluies l’eau se retire plus rapidement des zones d’habitat. En outre, les zones inondables ne sont plus fortement habitées comme par le passé. C’est déjà une frange importante de la population qui est à l’abri des zones d’insécurité. On n’aura donc pas les mêmes dégâts. Il y a quand même eu un progrès depuis lors. On peut l’affirmer.