Arrêté et incarcéré durant 4 jours, libéré, expulsé et déclaré persona non grata en République démocratique du Congo, l’activiste burkinabè du mouvement le Balai citoyen a regagné son pays natal, le 19 mars dernier, tard dans la nuit. Accueilli en héros à l’aéroport international de Ouagadougou, Sibiri Ouédraogo alias Oscibi Johann, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a donné une conférence de presse le vendredi 20 mars pour expliquer son périple en terre congolaise de Joseph Kabila. A l’issue de cette conférence, il a bien voulu nous accorder une interview dans laquelle il est revenu sur son séjour en République démocratique du Congo. Lisez !
Le Pays : Comment as-tu été choisi parmi les autres membres du Balai citoyen pour aller en République démocratique du Congo ?
Oscibi : Il faut dire que c’est au nom du Balai citoyen que je suis allé à Kinshasa pour répondre à l’invitation du mouvement congolais Filimbi qui regroupe plusieurs organisations de la société civile. Nous avons été invités pour partager le thème « Jeunesse et citoyenneté (civisme) » avec le groupe sénégalais Y ‘en a marre. J’ai été choisi au niveau du Balai citoyen pour le séminaire parce que je maîtrise le sujet de la citoyenneté. En plus, il y avait au programme de cette activité, c’est-à-dire le deuxième jour, un concert auquel je devais participer.
Il semble que vous devriez être 3 représentants du Balai citoyen à y aller. Pourquoi les 2 autres ne sont-ils pas partis ?
Nous devions en effet, être 3 à nous rendre au Congo Kinshasa comme les membres du groupe « Y en a marre » du Sénégal. C’était Smokey, Sams’K Le Jah et moi-même. Il s’est trouvé que Sams’K Le Jah n’était pas là et Smockey avait un programme très chargé. Après la sortie de son album, il est en train de préparer une tournée ; si fait que je me suis retrouvé seul à me rendre au Congo.
Quand exactement avez-vous quitté le Burkina Faso pour le Congo ?
J’ai quitté le Burkina le jeudi 12 mars et je suis arrivé à Kinshasa le vendredi 13 aux environs de 22h. Et le 14 mars, nous avons commencé les travaux qui se sont très bien passés. Après l’atelier qui a pris toute la journée du 14, nous nous sommes retrouvés le 15 mars aux environs de 14h pour une conférence de presse, avant de clore les activités en beauté, avec un concert à 17h. Un concert qui n’a jamais eu lieu, parce que c’est au cours de la conférence de presse que nous avons été arrêtés.
Expliquez-nous comment s’est passée votre arrestation.
Après la conférence de presse qui a duré une trentaine de minutes, nous nous sommes retrouvés pour faire une photo de famille. C’est à ce moment que la police est venue, armée de kalachs et a dit : « Personne ne sort, restez où vous êtes ». Les gens étaient un peu paniqués parce qu’ils ne savaient pas ce qu’ils avaient fait pour que la police vienne les arrêter. Elle nous a enlevés et emmenés à bord d’un pick-up dans un lieu qu’on appelle ANR, qui signifie Agence nationale de renseignements où nous avons été photographiés de profil et de face.
Il semble qu’on voulait vous arrêter bien avant le jour de la conférence de presse ?
Oui, exactement. Nous avons failli être arrêtés dans notre hôtel le 14 mars. Ce jour, tard dans la nuit, nos tuteurs sont venus nous dire de quitter les lieux parce que nous n’y étions pas en sécurité. Nous nous sommes tout de suite exécutés, tout en prenant le soin d’emporter les clefs de nos chambres et nous sommes allés dormir dans la villa du responsable du mouvement Filimbi. Le lendemain dimanche, nous sommes repartis à l’hôtel pour ramasser nos bagages et résilier le contrat qui nous liait aux responsables de l’hôtel.
Et ce sont les responsables qui vous ont dit que la police était venue vous chercher ?
Non, les responsables ne nous ont rien dit. Nous avons su cela le jour de notre audition au cours de laquelle on nous a demandé pourquoi nous avions quitté l’hôtel. En nous posant cette question, nous avons immédiatement su qu’ils étaient passés à l’hôtel. S’ils nous avaient trouvés, les choses allaient se passer autrement parce la nuit, il n y avait pas trop d’yeux pour voir et les allégations du porte-parole du gouvernement allaient trouver un fondement.
De quelles allégations parlez-vous ?
Le porte-parole du gouvernement congolais avait dit que nous étions venus avec des armes, du canabis pour les donner aux jeunes congolais afin qu’ils fassent la même chose que ce qui s’est passé au Burkina Faso, c’est-à-dire, brûler l’Assemblée nationale et chasser Kabila du pouvoir.
Pourtant, vous n’étiez pas allé pour cela ?
Non. Nous étions allés pour sensibiliser les jeunes congolais sur la citoyenneté. Nous étions allés leur dire qu’ils peuvent manifester, marcher sans casser, sans violence, parce que nos mouvements, je veux parler du Balai Citoyen et de « Y en a marre », sont des mouvements non violents. Plus on marche sans casser, plus les autorités ont peur.
Revenons sur votre arrestation ; vous avez dit qu’on vous a envoyés après votre arrestation à l’ANR et qu’on vous a photographié ; Combien étiez-vous au total ?
Nous étions 4 étrangers à savoir, les 3 membres du mouvement « Y en a marre » et moi, plus un activiste de Goma et une quizaine de jeunes de Kinshasa composés d’artistes chanteurs, de slameurs, de rapeurs et des badauds qui étaient là, à la balance.
Après avoir été photographiés à l’ANR, quelle a été la suite ?
Au moment des photos, il y avait des injures qui fusaient de partout du genre « le Congo n’est pas le Burkina, vous êtes des terroristes ». Nous ne comprenions rien parce que jusque-là, ils ne nous avaient pas dit pour quelle raison ils nous avaient arrêtés. Je me demandais si c’est parce que la manifestation était peut être illégale. Mais j’ai immédiatement balayé cette raison parce que pendant l’atelier, il y avait des éléments de la police nationale qui nous surveillaient. Nous avons été gardés dans ces lieux jusqu’à dimanche 23 h et ils ont décidé de nous incarcérer. Ils ont séparé le Burkinabè que je suis des Sénégalais qui avaient leur cellule à part. J’ai été envoyé dans une cellule où se trouvaient des prisonniers congolais.
Comment était la cellule ?
Elle était propre. C’était une cellule de 2 chambres-salon, carrelée avec de la lumière et de l’eau courante. Le salon était très grand, de même que les chambres avec de grands matelas sur lesquels on pouvait dormir à deux.
Il y avait à manger aussi ?
Oui, il y avait à manger pour tout le monde. Les camarades avec lesquels j’étais dans la cellule me disaient, « Rasta, il faut manger, ça va aller ». Même les agents de l’ANR me disaient « Ne t’inquiète pas, ça va aller ; ce sont des épreuves de la vie qui peuvent arriver à tout le monde ». Ce sont des gens de l’ANR, le service de renseignement, qui savaient que notre arrestation était illégale, donc, ils nous encourageaient, nous donnaient à manger et nous disaient de garder espoir.
Quelle a été la suite ?
Toute la journée de lundi, nous ne sommes pas sortis ; les agents sont venus faire des fichiers de renseignement dans les chambres. C’est aux environs de 22h, toujours dans la journée de lundi, qu’ils sont venus me faire sortir pour m’emmener dans le bureau du grand boss. Là, j’ai retrouvé les 3 Sénégalais. Nous nous sommes salués et avons pris place. Dans le bureau, il y avait deux hommes. Le grand boss nous a dit que c’est le consul du Sénégal qui les a envoyés. Lorsque j’ai appris cette nouvelle, j’ai poussé un ouf de soulagement car je savais maintenant qu’au niveau de nos pays, les autorités étaient au courant de notre arrestation. Les représentants du consul du Sénégal nous ont dit de ne pas nous inquiéter, parce que le Burkina Faso et le Sénégal travaillent pour que nous soyons libres.
Et après ?
Après, nous sommes repartis dans nos cellules avec un grand espoir. Le lendemain, c’est-à-dire le mardi 17 mars aux environs de 10h, ils sont venus me faire sortir pour les auditions. Des auditions qui ont duré de 10h à 16h.
Quelles sont les questions qui t’ont été posées?
On me posait toutes sortes de questions de bas niveau : « Vous êtes venus faire quoi au Congo ? Qu’est-ce que Kabila vous a fait pour que vous cherchiez à le déstabiliser ? Pourquoi le sifflet ? Pourquoi le balai ? Vous êtes venus balayer qui au Congo ? »
Et quelles sont les réponses que vous leur avez données ?
A chacune de ces questions, je donnais des réponses bien précises. Je leur ai fait comprendre que je ne suis pas venu pour balayer quelqu’un. Je leur ai dit que le balai, ce n’est pas forcément pour balayer le président. Le balai, c’est pour balayer les ordures qui peuvent être la corruption, la fraude qui peuvent être aussi bien dans l’opposition qu’au pouvoir, etc. Ils m’ont donc posé des questions sur tout ce qui les arrangeait, jusqu’à ce qu’ils aient 7 pages d’interrogatoire.
C’était un interrogatoire groupé avec les Sénégalais ?
Non, les Sénégalais ont été auditionnés à part. C’était des interrogatoires séparés. Je tiens à préciser qu’à l’ANR, il n’y a pas d’avocat qui accompagne les auditions, ni de verdict. Ce sont eux qui décident, après audition, s’il faut te libérer ou t’incarcérer.
Et ils ont décidé de vous libérer ?
Oui. Après les auditions, nous sommes repartis dans nos cellules. Et le lendemain mercredi matin, ils sont venus m’appeler de façon polie et respectueuse. Ils m’ont dit, « Monsieur Oscibi, vous êtes demandé». Et lorsqu’on m’a appelé ainsi, je pensais que c’était pour me libérer. Mais je me suis rendu compte que c’était pour me dire de venir prendre mes affaires et de me changer, parce que mes habits deviennent sales. Je suis donc allé dans ma cellule me changer. Après, ils sont venus m’appeler dans l’après-midi aux environs de 14h. Je suis allé sans mes effets et ils m’ont dit d’aller les chercher. C’est là que j’ai compris que nous étions libres. Ils nous ont fait signer des décharges et nous ont emmenés dans une grande salle dans laquelle nous attendait le consul du Sénégal qui est venu nous donner à manger. Après le repas, ils nous ont donné nos téléphones portables et nous ont dit que nous pouvions appeler qui nous voulons. Je vous confie qu’au Congo, on ne vous dit jamais que vous êtes libres, de même, on ne vous dit jamais que vous êtes emprisonné ; c’est l’intéressé qui constate cela à travers les agissements des services de renseignements.
Est-ce le consul du Sénégal qui vous a conduits à l’aéroport ?
Non, ce sont les services de renseignements qui nous ont emmenés à l’agence de migration. Là, ils ont encore fouillé toutes nos affaires.
Il semble que vous avez perdu de l’argent ?
Oui, j’ai perdu plus de 100 000 F CFA, de même qu’un des Sénégalais. En plus, certains de nos habits et effets personnels ont disparu.
L’argent et les effets ont-ils été volés ou confisqués ?
Vraiment, je ne saurai vous le dire.
A quel moment était-ce ?
C’était au moment de mon arrestation et en chemin, lors de notre convoyage au service de renseignement.
Est-ce que vous avez signalé cela ?
Oui, mais nous avons eu peur de dire qu’on a été volé. Nous avons juste dit que nous ne voyons pas certains de nos effets.
Et quelle a été leur réponse ?
Ils nous ont dit qu’ils vont chercher. Jusqu’à l’heure où je vous parle, ils sont toujours en train de chercher. Peut-être que c’est dans 200 ans qu’ils vont les retrouver et nous les ramener (Rires). Il faut dire qu’en plus de nos habits et de nos sous, ils ont récupéré nos documents et nos ordinateurs. Pour revenir à ce que je disais plus haut, lorsque nous sommes arrivés à l’agence de migration, on nous a, une fois de plus, photographiés. Puis on nous a mis dans un car avec pour destination l’aéroport. Chemin faisant, ils ont fait escale. Les vols disponibles étaient Kinshasa-Bruxelles-Dakar et ils ont dit que si les Sénégalais voulaient, ils pouvaient rester et partir le lendemain avec un vol plus court. Et pendant qu’ils sont allés pour se renseigner, on m’a descendu du car pour me mettre dans le coffre d’un véhicule avec mes bagages.
Qui vous a mis dans le coffre ?
Ce sont les agents de la police. J’ai eu peur parce que si les Sénégalais partaient sans moi, je n’allais pas m’en sortir. Dieu merci, j’ai fait du bruit et les Sénégalais m’ont entendu de même que l’agent du service de renseignements qui nous accompagnait. Ils sont venus me sortir du coffre de la voiture et me remettre dans le car. Et nous avons pris la direction de l’aéroport. C’est là que j’ai eu le plus peur.
Pourquoi ?
Parce qu’avec tout ce qui s’est dit sur nous, j’ai eu peur qu’on nous attaque et nous abatte. Le porte-parole du gouvernement a dit que nous étions des terroristes qui étaient venus avec des kalachs pour déstabiliser le Congo. Avec cette information, on pouvait nous attaquer sur la route de l’aéroport qui était loin de la ville et nous abattre. Nous avons eu tellement peur que personne n’a pipé mot durant le voyage. Nous avons poussé un ouf de soulagement lorsque nous avons aperçu le mur de l’aéroport. Ils ont eu le temps de rédiger un papier judiciaire dans lequel ils ont mis nos passeports. Avec ce papier, nous étions les derniers à monter et à descendre. Et ç’a a été ainsi jusqu’à Ouagadougou.
De Kinshasa, vous êtes passé par où avant d’atterrir à Ouagadougou?
De Kinshasa, je suis allé à Istanbul en Turquie. De là, nous devions faire escale au Niger avant de rejoindre Ouagadougou. Mais avec le temps qui était menaçant au Niger où nous avons tenté plus de 3 fois d’atterrir sans succès, nous avons continué à Ouagadougou, aux environs de 23h30.
Et vous avez été accueilli en héros ?
Oui, en effet. J’ai été très content de voir une grande foule à l’aéroport pour accueillir Oscibi. Je les remercie et demande à Dieu de le leur rendre au centuple.
Avec cette mauvaise aventure, es-tu toujours prêt à représenter encore le Balai citoyen dans un autre pays ?
Le combat continue. C’est comme si on me demandait si je vais continuer à faire le reggae qui est ma musique de prédilection. Je suis comme un militaire qui est allé au front et qui a été capturé et libéré. Tant qu’il ne démissionne pas de l’armée, il doit aller défendre les couleurs de son pays si le besoin se fait sentir. C’est pour dire que je suis prêt à aller dans n’importe quel pays pour enseigner la philosophie du Balai citoyen. Seulement, il faut qu’on prenne beaucoup plus de précautions.
Lesquelles par exemple ?
Par exemple appeler les autorités des pays dans lesquels nous devons nous rendre pour voir leur réaction avant d’y aller. Nous avons été très surpris par le comportement du gouvernement de la RDC, peut être parce que nous ne les avons pas appelés avant de nous y rendre.
Mais votre activité était légale, donc normalement, il ne devait pas se poser de problème. Pourquoi, selon vous, les autorités vous ont-elles arrêtés ?
Jusqu’à présent, moi-même je me pose la même question. Tout a été autorisé par les autorités du Congo. Nous avons eu nos passeports ; l’espace public sur lequel devait se tenir le concert a été autorisé par l’Etat et pendant l’atelier, il y avait des policiers qui surveillaient. Je pense que ce qui les a touchés, ce sont nos slogans et la provenance des animateurs. Ils voient les Burkinabè comme des incitateurs et les Sénégalais comme des fauteurs de troubles. Et lorsqu’ils voient le balai, ils ne voient pas le fait que le balai peut balayer les ordures de la colonisation, de la corruption, de la jeunesse qui dort et qui ne veut rien faire, mais plutôt les ordures du pouvoir. C’est ça qui les a choqués et effrayés. Ils nous ont jugés sans nous entendre, ils nous ont arrêtés sans nous écouter.
Pour terminer, je dirai que c’est vrai que les éléments du mouvement « Y en a marre » et du Balai citoyen sont dehors, mais il y a toujours des milliers de personnes qui croupissent dans les prisons de Kinshasa, sans jugement. Ils ont seulement été auditionnés et incarcérés et ils ne savent pas s’ils sortiront ou pas. J’interpelle les uns et les autres, les mouvements des droits de l’Homme, les défenseurs de la démocratie, les associations et organisations non gouvernementales qui luttent contre la torture humaine et les injustices, afin qu’ils fassent quelque chose pour ces personnes. Sinon, beaucoup risquent de mourir sans même savoir ce qu’on leur reproche. Je remercie les autorités de mon pays, particulièrement le président Michel Kafando et le président du Sénégal pour leur implication dans notre libération.
Propos recueillis par Yannick SANKARA