Les dirigeants africains se rassembleront le 30 juin prochain à Malabo, en Guinée équatoriale, à l’occasion du sommet de l’Union africaine (UA), au cours duquel ils discuteront des nombreux défis auxquels le continent est aujourd’hui confronté. Nul doute que les enjeux économiques et sociaux occuperont une place centrale dans les discussions. Cependant, la justice internationale se retrouvera aussi probablement sous les projecteurs. Plus de 125 organisations basées en Afrique et provenant de 25 pays ont uni leurs voix pour appeler les dirigeants africains à saisir l’opportunité de démontrer leur soutien à la Cour pénale internationale (CPI) et encourager la coopération avec cette institution. Je suis fier de participer à cet effort.
Suite à la délivrance par la CPI de mandats d’arrêts contre le président du Soudan, Omar El-Béchir – pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis au Darfour – les relations entre la CPI avec l’UA se sont tendues. L’UA a exprimé sa profonde préoccupation au sujet des mandats d’arrêt, et pris des initiatives portant atteinte à la Cour, notamment en appelant à la non-coopération des Etats membres de l’UA dans l’arrestation du président El-Béchir. Le président de l’UA a également soutenu, à plusieurs reprises, que la CPI prend les Africains pour cible.
En participant à la création de la CPI et en ratifiant le Statut de Rome établissant la Cour, les Etats-parties africains ont effectué un pas de géant dans la lutte contre la culture de l’impunité régnant sur le continent. Nous ne pouvons nous permettre de perdre les gains jusqu’ici réalisés en retirant notre appui à la CPI.
Il est vrai que toutes les situations sous enquête devant la CPI sont en Afrique, ce qui a été une source d’inquiétude chez certains observateurs. Cependant, le nombre d’affaires africaines est aussi le reflet de l’engagement croissant de l’Afrique envers la justice pour les crimes les plus graves. En outre, la justice internationale n’a pas encore été appliquée de façon uniforme à travers le monde. Toutefois, les organisations de la société civile considèrent que l’Afrique devrait renforcer son soutien à l’obligation de rendre des comptes au lieu de revoir son engagement à la baisse, au motif que d’autres n’ont pas démontré la même volonté ou ont jusqu’ici réussi à échapper au regard de la justice.
Au cours de la dernière décennie, les gouvernements de Sierra Leone, du Nigeria, du Libera, parmi d’autres, ont fait preuve d’un véritable engagement envers la promotion de la justice pénale internationale.
Le peuple et le gouvernement de Sierra Leone ont demandé aux Nations unies de créer un tribunal spécial pour juger les responsables des crimes odieux commis durant la guerre civile qui a fait rage en Sierra Leone pendant une décennie. Ce faisant, ils ont rejoint leurs homologues du Rwanda dans leur appel à la fin de l’impunité sur le continent.
Le Nigeria ne fut pas seulement parmi les 13 premiers pays dont la contribution financière volontaire a permis la mise sur pied du Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Le Nigeria a aussi extradé Charles Taylor, alors fugitif sur son territoire, à la demande de la présidente du Libéria, Ellen Johnson-Sirleaf.
Ces contributions sont certes très significatives, mais les gouvernements d’Afrique de l’Ouest doivent continuer à se montrer déterminés à réclamer justice pour les victimes de crimes graves. En prévision du sommet de l’Union africaine, des organisations de la société civile à travers le continent ont publié un rapport enjoignant les Etats africains, parties à la CPI, à entreprendre une série d’actions afin de s’assurer que justice soit rendue pour les crimes graves.
Plus précisément, nous exhortons les Etats africains de demander à l’UA d’étendre la portée de la justice internationale et non de la réduire. Nous demandons à l’UA d’adresser ses préoccupations relatives à la suspension d’affaires au Conseil de sécurité et non à la Cour, qui n’a pas le pouvoir d’approuver des requêtes de sursis. Nous encourageons l’UA à tenir des consultations sur les défis soulevés par l’élargissement de la compétence de la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme pour inclure les poursuites de crimes graves. L’UA doit veiller à ce que l’expansion proposée ne nuise pas au rôle crucial de la CPI en tant que tribunal de dernier recours.
Des préoccupations ont aussi été exprimées relativement à la résolution du Conseil de sécurité sur la Libye. Nous espérons cependant que l’Union africaine saura faire une distinction entre l’usage de la force en Lybie et le processus judiciaire amorcé devant la CPI suite à sa saisine par le Conseil de sécurité. Enfin, nous invitons les Etats africains à assurer la sélection du candidat le plus qualifié – ou de la candidate la plus qualifiée – pour devenir le prochain procureur de la CPI par le biais d’un processus équitable et fondé sur le mérite.
Les citoyens africains estiment qu’une coopération continue avec la CPI consolidera les efforts régionaux de promotion de la paix et de la justice et d’aide au développement économique et institutionnel. Les dirigeants africains doivent prendre la bonne décision en se rangeant aux côtés de leur peuple lors du sommet de la semaine prochaine !
Ibrahim Tommy, directeur exécutif, Centre pour la responsabilité et l’Etat de droit (Center for Accountability and Rule of Law, CARL), Sierra Leone.