Le Programme socioéconomique d’urgence de la Transition (PSUT) va coûter 25 milliards de FCFA et cette somme sera générée par la réduction du train de vie de l’Etat. Il vise à créer 10 000 unités économiques, à améliorer l’offre éducative et sanitaire par la construction d’infrastructures. Dans cet entretien, le ministre de l’Economie et des Finances, Jean Gustave Sanon, situe le contexte de son élaboration et son bien-fondé.
Sidwaya (S.) : Comment le programme socioéconomique d’urgence de la Transition sera mis en œuvre?
Jean Gustave Sanon (J.G.S.) : Il y a des conditions très précises qui seront édictées. Le décret d’exécution du programme indique qu’un certain nombre d’orientations seront prises. Le programme a un caractère national. Son accessibilité aux bénéficiaires sera équitable. Pour cela, il y aura une large communication nationale dans les différentes langues sur les différentes conditions d’accessibilité et sur ses modalités. Sur la création d’emploi et l’entreprenariat des femmes, ce sont des microprojets qui vont être financés. Ils seront des projets de taille réduite et ne concerneront que ceux n’ayant pas accès au crédit classique. Ce sont des jeunes qui ont une formation professionnelle. Nous allons faire un traitement privilégié de ceux qui ont suivi des formations, notamment par l’Agence nationale pour l’emploi, sur l’agriculture, le maraîchage et l’électricité… Il est prévu 2 millions de FCFA par appui. Si l’on prend 10 milliards de FCFA pour les jeunes et 10 milliards pour les femmes, on aboutit à la création d’environ 10 000 microprojets qui vont générer 30 000 emplois. Ce sont des prêts qui seront remboursés selon un terme donné, avec un taux d’intérêt raisonnable. Ce ne sont pas des dons.
S. : Y a-t-il un lien entre ce programme et les guichets spéciaux d’appui à l’entreprenariat féminin et au secteur informel?
J.G.S. : Du point de vue pilotage, il n'y a pas de lien. Ce programme va être piloté par le Premier ministère et appuyé par des organes. On ne va pas dupliquer les guichets mais s’il y a un guichet qui a l’expérience, on peut y loger les fonds. Il y aura des règles particulières qui seront édictées. Il faut que les projets qui seront financés soient économiquement fiables.
S. : A quand peut-on s’attendre à l’octroi effectif des crédits aux bénéficiaires ?
J.G.S. : Le programme est déjà en vigueur. Nous sommes en train de préparer les modalités. Quant à l’octroi effectif des prêts, il n'y a pas pour le moment un délai précis. Mais ce sera le plus tôt possible. Quand on prend l’entreprenariat des femmes, les 10 milliards prévus dans ce programme seront issus de la réduction du train de vie de l’Etat. Il s’agit de mesures qui visent à faire en sorte que l’Etat puisse assurer les mêmes activités, réalisées les mêmes infrastructures avec peu de moyens. Il s’agit par exemple de rationaliser le coût des baux administratifs. Il y a trois ans de cela, le coût des baux était à 2 milliards de FCFA. En 2014, il est passé à plus de 4 milliards de FCFA. Pourtant, au regard des barèmes applicables en la matière, l’Etat doit louer moins cher que le privé. Il y a également l’utilisation des véhicules, régie par un certain nombre de règles qui, pourtant, ne sont pas respectées.
S. : Pourquoi ne pas renforcer les programmes existant que d'en créer d’autres ?
J.G.S. : Le programme a un lien très étroit avec la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (SCADD). Il correspond à l’axe 2 de la SCADD. Il est en outre en cohérence avec les politiques sectorielles. On a voulu faire un programme, parce que lorsqu’il ya eu l’insurrection populaire, les fortes attentes exprimées par les populations ne concernent pas tous les aspects de la SCADD. Les jeunes ont pensé à leur emploi et les femmes, à l’entreprenariat. Il y a des problèmes qui ont été convoqués dans le domaine de l’éducation, la santé… Il a paru nécessaire aux yeux de la Transition, de donner une visibilité à la population quant à la prise en compte de leurs préoccupations. Le programme socioéconomique de la Transition n’est pas en concurrence avec les autres programmes sectoriels. Ce programme va respecter les règles mais avec beaucoup
plus de célérité.
S. : Les 25 milliards de FCFA seront issus de la réduction du train de vie de l’Etat. Vous ne craignez pas que trop de réductions paralysent le fonctionnement de certains services ?
J.G.S. : C’est le gaspillage qu’il faut surtout éviter. Peut- être qu’il y a des gens qui vont perdre des avantages auxquels il n’avait pas droit et qui occasionnaient des charges pour l’Etat. Il ne s’agit pas d’entraver le bon fonctionnement des services, il s’agit de lutter contre le gaspillage. Le chiffre prévisionnel, c’est 25 milliards de FCFA. Ce sont des mesures simples que nous allons appliquer et à la fin, l'on pourra économiser cette somme. Dans le cadre de la réforme de l’administration, on a eu l’enrôlement biométrique. C’est le début d’un ensemble de réformes qui s’est arrêté brutalement par manque de moyens. Nous allons donner des moyens à la fonction publique pour étudier les autres phases qui vont permettre de mieux maîtriser la masse salariale qui, aujourd’hui, absorbe plus de 40% des recettes propres de l’Etat.
S. : Ne craignez-vous pas que les nombreuses nominations dans les départements ministériels portent un coup à votre objectif d’économiser plus ? Car qui dit nomination, dit engagement d’autres frais.
J.G.S. : Un coût n’est pas seulement financier, un gain n’est pas non plus financier. Si le fait de nommer de nouvelles personnes va permettre d’améliorer le fonctionnement des services, la qualité dans la gestion de la dépense publique, les prestations de l’Etat envers les populations, c’est un gain.
S. : Est-ce que le gouvernement pourra réaliser ces unités économiques dans le temps qui est imparti à la Transition ?
J.G.S. : Les mesures les plus faciles à mettre en œuvre sont celles relatives à l’emploi des jeunes et à l’entreprenariat des femmes. Il suffit d’avoir des ressources. Le plus difficile est la réalisation des infrastructures. Et là, nous allons veiller au respect de la réglementation. Les entreprises qui ont l’expérience dans la construction seront consultées et au demeurant, nous leur donnerons les moyens nécessaires. Nous espérons qu’à la rentrée prochaine, nous pourrions inaugurer des écoles. Si par extraordinaire, il y a des infrastructures qui n’ont pas été réalisées, ce n’est pas un problème. La Transition passe mais le Burkina Faso demeure. Il n'y a aucun mal à ce que le prochain gouvernement vienne inaugurer des classes que la Transition a eues à construire.
S. : Le régime déchu avait pris des mesures qui n’ont jamais été réalisées. Est-ce qu’au regard des attentes de la population, vous n’êtes pas en train, par vos mesures, de la faire patienter jusqu’à ce que les élections se fassent ?
J.G.S : Le gouvernement passé était un gouvernement politique. C’est un régime qui a été élu. A un moment donné, au regard des mouvements et des revendications de la population, il a estimé nécessaire de mettre en place un certain nombre de mesures. Il avait la vocation de reconquérir le pouvoir, il avait un intérêt à maintenir ses électeurs. Sur cette base, il faisait des annonces spectaculaires que réalistes. Mais, nous ne sommes pas dans cette logique. Nous n’avons pas de militants, nous n’avons pas d’ambitions électoralistes. Après les élections, il y aura un nouveau président et notre mandat prendra fin. Ce que nous disons est objectif. La sélection va se faire dans la plus grande transparence, avec la grande rigueur. Le gouvernement va jouer sa partition, il faut que les bénéficiaires jouent aussi leur partition. Les responsabilités d’un éventuel échec ne seront pas être seulement assumées par le gouvernement mais par les bénéficiaires également. Au niveau de la sélection des bénéficiaires, seront associées des OSC de lutte contre la corruption, des associations représentatives des jeunes et des femmes. Il y aura également des mesures d’accompagnement et d’encadrement.
S. : Quelle est la situation administrative des dignitaires du régime déchu ?
J.G.S. : Le mandatement des ministres a été suspendu immédiatement après l’insurrection. Le décret qui fixe les avantages des ministres stipule que lorsqu’il est mis fin à leur fonction de manière normale, ils bénéficient de traitements pendant un certain temps. Dans ce cas précis, vous conviendrez avec moi qu’ils ne sont pas partis dans la manière normale. Mais ceux qui sont fonctionnaires et qui ont demandé à reprendre service, l’ont fait. Beaucoup de ministres ont pris service dans leurs départements respectifs. Maintenant, si les audits en cours révèlent qu’ils ont commis des malversations, une autre procédure sera engagée à leur encontre. Sinon, pour le moment, ils bénéficient de la présomption d’innocence.
Propos recueillis par
Adama SEDGO