En janvier 2010, après la chute de Hosni Moubarak, la première mesure prise par le Conseil suprême des forces armées a été de mettre fin à l’état d’urgence en vigueur en Egypte depuis l’assassinat du président Anouar El Sadate en octobre 1981. Deux ans après la révolution, le pays des pharaons renoue avec l’état d’urgence à la seule différence que, cette fois, il ne concerne pas tout le territoire national. Dans un message à la nation dans la soirée du 27 janvier dernier, le chef de l’Etat, l’islamiste Mohamed El Morsi, a décrété l’état d’urgence dans les provinces de Port-Saïd, Suez et d’Ismaïlia.
Ces dernières sont en proie, depuis le week-end écoulé, à une violence inouie qui a fait au moins 46 morts en l’espace de trois jours. Pour y faire revenir le calme, le président Morsi a donc décrété l’état d’urgence pour un mois ainsi qu’un couvre-feu qui va de 21h à 6h du matin. C’est la solution qu’il a trouvée pour faire face aux troubles occasionnés par la condamnation à mort d’une vingtaine de supporters reconnus coupables de violences meurtrières l’année dernière. Il reste à savoir si c’est la meilleure façon d’y faire face. Il est permis d’en douter au regard de la défiance des habitants des trois provinces vis-à-vis de l’état d’urgence et surtout du couvre-feu. L’objectif de cantonner les habitants dans leurs maisons est déjà raté à ce niveau. Après avoir subi l’état d’urgence (synonyme de pleins pouvoirs accordés aux forces de l’ordre) sous l’ère Moubarak, les Egyptiens ne sont plus prêts à vivre à nouveau sous une chape de plomb. A la faveur de la révolution, ils ont goûté à une plus grande liberté pour accepter facilement de se laisser mener par le bout du nez. C’est dire que Morsi, à qui l’on prête d’avoir dit, avant le renversement de Moubarak, que l’état d’urgence était « une loi pour défendre les voleurs et le pouvoir des despotes », risque gros en recourant à cette mesure. Il joue à quitte ou double en mettant dans la balance son autorité. S’il réussit à faire respecter l’état d’urgence et le couvre-feu, il en sortira grandi. Dans le cas contraire, son pouvoir sera affaibli et tout ce qu’il restera à faire pour sauver son honneur sera de débarrasser le plancher. En attendant, le doute est permis que l’état d’urgence parvienne à restaurer l’autorité de l’Etat dans les provinces où il a été décrété. La mesure a toutes les chances d’exacerber la défiance de son autorité, de raviver les manifestations hostiles bien que le président ait appelé, dans son message du 27 janvier, au dialogue avec l’opposition. Et comme il fallait s’y attendre, cette dernière a vite fait de rejeter la main tendue et prévoit même des manifestations pour le vendredi 1er février prochain. Face à la défiance de son autorité, la question est de savoir ce que fera Morsi pour se faire entendre, respecter des récalcitrants. Sera-t-il tenté d’user de la force, quitte à rajouter à une situation déjà tendue ? Laissera-t-il faire ses contradicteurs dans le secret espoir qu’ils se lasseront tout seuls et finiront par abandonner ? Ou bien tirera-t-il leçon de toute cette tambouille et rendre le tablier comme, d’ailleurs, nous le lui suggérions dans notre édition du 28 janvier ? En tous cas, il semble être la source de tous ces problèmes qui n’en finissent pas. C’est à se demander s’il aura véritablement le temps pour appliquer le programme pour lequel il a été élu. Jusque-là, il ne vole que de crise en crise, d’une épreuve de force à une autre. Vous avez dit dur apprentissage du pouvoir d’Etat ?