Ils sont probablement nombreux à ce 20e sommet de l’Union africaine (UA) à être rentrés dans leurs petits souliers. En effet, beaucoup de chefs d’Etat du continent ont dû froncer le sourcil à l’appel du président sortant de l’UA, Thomas Boni Yayi du Bénin, à respecter la limitation constitutionnelle des mandats présidentiels dans les différents pays du continent. Ils sont nombreux ces chefs d’Etat du continent qui ont tripatouillé une ou plusieurs fois la loi fondamentale de leur pays pour se maintenir au pouvoir en faisant sauter le verrou limitatif des mandats. Les présidents de ce genre-là, « hommes providentiels » à souhait, auront d’une manière ou d’une autre, succédé au système des partis uniques en Afrique. Pour justifier de tels errements, les Africains ont coutume de dire qu’ils sont en phase d’apprentissage de la démocratie. Mais, on ne peut se réjouir d’être indéfiniment apprenti. Il faut, comme dans tous les domaines, que l’apprenti fasse des progrès.
Et le respect de la Constitution de son pays, pour un démocrate digne de ce nom, n’est pas la mer à boire. Inutile de s’en cacher : ces pratiques n’honorent aucunement le continent. Et comme on ne le sait que trop bien, la plupart des crises politiques qui surviennent dans les pays africains tirent leurs origines dans l’accaparement du pouvoir d’Etat par un individu ou par un clan. Ces chefs d’Etat « irremplaçables » profitent de la misère et de l’analphabétisme des populations pour personnaliser, par la force ou la ruse, le pouvoir. L’un des inconvénients de ces pouvoirs à vie réside dans le manque d’innovation, d’ambition et le laxisme ambiant. Conséquence : ces pays se retrouvent réduits à tendre, toute honte bue, la sébile. En d’autres termes, ils demandent l’aide des pays qui ont su fonder leur développement sur le respect des principes démocratiques dont l’alternance au pouvoir, la reddition des comptes, etc. Pour sortir du cercle vicieux de cette mendicité internationale et de la perte de dignité subséquente, il est grand temps que les dirigeants africains acceptent qu’on ne peut pas construire de façon sereine un Etat démocratique sur du sable mouvant. S’entêter dans ce schéma est contreproductif. En tout cas, on ne voit pas comment l’objectif de développement des pays peut être atteint si, du fait de la confiscation du pouvoir par des individus ou des groupes, ces pays sont des foyers réels ou potentiels de crises politiques. Les pays de l’UA ont, du reste, visiblement voulu faire preuve de leur prise de conscience en la matière en adoptant la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance le 30 janvier 2007 à Addis Abeba, en Ethiopie. Mais il y a du chemin entre l’adoption de cet instrument et l’appropriation des principes qu’il pose. L’effort doit être de mise pour améliorer la qualité des mécanismes de dévolution du pouvoir. C’est le secret des démocraties responsables qui ont su construire une paix profonde, une stabilité durable. Ainsi, il faut se résoudre à comprendre que l’argument de l’apprentissage de la démocratie servi à tort et à travers pour justifier les tripatouillages et autres errements constitutionnels sur le continent n’est rien d’autre que le symbole du refus de bien des Africains de s’assumer. Boni Yayi, à l’instar de l’ex-président malien Alpha Omar Konaré avant lui, aura donc poussé un coup de gueule justifié à la tribune de l’UA.
C’est une conviction que doivent se faire tous les dignes fils de ce continent. Le Berceau de l’humanité ne saurait être respectable sur la scène mondiale si bien de ses premiers responsables continuent de ruser avec ce qu’il y a de plus sacré pour un pays démocratique, la Constitution. Le respect de la limitation des mandats à la tête des Etats participe de la dynamique de création d’un terreau fertile au développement, au plein épanouissement des populations du continent. C’est en intégrant de telles pratiques démocratiques qui forcent le respect des autres et qui ouvrent de meilleures perspectives de développement durable que le continent africain fera entendre sa voix dans le concert des Nations. Il est vrai que l’appel du chef de l’Etat béninois peut être perçu comme une réponse indirecte à ses propres détracteurs qui l’accusent de vouloir modifier la Constitution de son pays en vue de se maintenir au pouvoir au-delà de ces deux mandats consécutifs. Il est aussi vrai que Boni Yayi n’est pas exempt de toute critique sur sa gouvernance. Qu’à cela ne tienne, ce chef d’Etat aura au moins eu le mérite de dire devant témoins, haut et fort, son rejet de cette conception de la Constitution, taillable selon les desiderata du prince, conception qui est monnaie courante sur le continent. En tout état de cause, on imagine mal le président béninois oser le parjure après une telle sortie. C’est donc tout à son honneur et à celui de son pays qui reste en dépit des insuffisances qu’on peut relever, l’une des meilleures références démocratiques du continent. Sera-t-il entendu ? Il faut l’espérer. Que son appel ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd ! Que les populations comprennent qu’aucun dirigeant, si bon soit-il, n’est irremplaçable et que chacun de ceux qui gouvernent le continent se convainquent qu’il y a bel et bien une vie après le palais.