Les bases des relations diplomatiques entre le Burkina Faso et la Mauritanie ont été établies durant la période d’indépendance des deux Etats. Et c’est le Burkina Faso qui a fait le premier pas, étant donné qu’il a acquis son indépendance avant la Mauritanie. Ces relations ont pris racines dans le douloureux passé colonial des deux pays.
Tous membres de l’Afrique occidentale française (AOF), les deux Etats vont mutuellement se soutenir dans leur quête à l’autodétermination. En 1960, la Haute-volta, actuel Burkina Faso, accède à son indépendance. Négociant en groupe, dans le cadre du Conseil de l’entente (Côte d’Ivoire, Bénin, Niger et Togo), le «pays des hommes intègres» accède à son indépendance «assez facilement» dès le 5 août. Tel n’est pas le cas de la Mauritanie. Lorsque les leaders de Nouakchott ont entamé des démarches pour faire de la Mauritanie un pays autonome vis-à-vis de la France, le Maroc s’y est opposé. Le roi Mohamed V voulait que la Mauritanie se défasse du joug colonial français. Car le royaume chérifien revendiquait les territoires mauritaniens sur lesquels il avait une mainmise à une certaine époque de son histoire.
Mais les leaders de Nouakchott avaient de gros arguments à faire valoir à l’ONU et dans l’opinion africaine. A l’époque, ils avaient rappelé que les Almoravides, partis de la Mauritanie, ont conquis entièrement le Maroc, l’Espagne et bien d’autres territoires, mais que Nouakchott ne s’y opposait cependant pas à l’indépendance de Rabat. Selon les leaders mauritaniens, s’il faut se fonder sur l’histoire pour refuser l’indépendance à un Etat, alors aucun Etat ne serait autonome. Puisque la France, dans son histoire, est passée sous la domination de Rome, qui lui aussi a été dominée par les Grecs. Que Dire des Etats-Unis abritant le siège des Nations unies ?
Le Maroc passe aux intimidations envers les soutiens éventuels de la Mauritanie. Par la voix de son ministre de l’information, Ahmed Alaoui, il déclare. «Nous ne pourrons pas pardonner à ceux qui, sciemment, n’appuient pas notre position, car la solidarité du Maghreb doit se manifester en toute occasion». Les autorités de Rabat comptent capitaliser la solidarité et la sympathie des Africains à l’égard du Maghreb, nées de la guerre d’indépendance de l’Algérie. «Si nous considérons que certains Etats africains frères ont agi par ignorance, nous n’aurons pas d’excuses pour ceux qui, en connaissance de cause, auront brisé la solidarité qui doit unir chaque Etat africain lorsqu’il s’agit de revendications qui vont dans le sens du grand Maghreb».
Soutien du Burkina (ex-Haute-Volta) à l’indépendance de la Mauritanie
Les populations des territoires convoités seront alors consultées à travers un référendum en 1960. Elles optent pour l’autonomie. Mais face à l’indignation du grand voisin, les leaders mauritaniens décident d’envoyer des missions de bonne volonté, dans les pays déjà indépendants, dont le Burkina Faso (ex-Haute- Volta).
Ainsi, le 6 novembre 1960, une délégation est dépêchée à Ouagadougou sous la direction de Mamadou Ba, chef de la délégation et Bakar Ould Ahmidou, député. Ils sont venus s’assurer que le président, Maurice Yaméogo, viendra apporter son soutien, le 28 novembre 1960, à la cérémonie commémorative de l’accession de leur pays à l’indépendance. Ils ont saisi l’opportunité pour exposer ce que sera la politique extérieure de Nouakchott après l’indépendance et enfin, expliquer au peuple voltaïque aujourd’hui burkinabè la «querelle» qui les opposait aux Marocains.
Maurice Yaméogo avait déjà pris fait et cause pour ses hôtes avant même qu’ils ne foulent le sol voltaïque aujourd’hui burkinabè. Au Conseil des ministres des 3 et 4 novembre 1960, soit deux jours avant leur arrivée, il avait confirmé, qu’il se rendrait en personne à Nouakchott, afin d’exprimer son soutien au peuple mauritanien. Il s’était déjà dit favorable à l’indépendance de la Mauritanie à Abidjan, quelques semaines avant.
Les émissaires mauritaniens ne pouvaient qu’être ravis. Et le chef de mission, Mamadou Ba de déclarer : «Les trois points pour lesquels nous nous déplacions avaient eu leur réponse à l’avance». Il ne cache pas sa joie face au soutien inconditionnel et total du Burkina Faso et ajoute : «Il a été confirmé que la Haute Volta soutient d’une façon totale la position de la Mauritanie». Ce soutien va déterminer les relations diplomatiques entre la Mauritanie et le Burkina Faso dès l’arrivée au pouvoir de Moktar Ould Dadddah, le «père» de la nation mauritanienne. C’est main dans la main que Ould Daddah et Maurice Yaméogo vont se rendre à Yaoundé pour signer le traité de création de la compagnie Air Afrique.
Renforcement des liens
Les relations entre le Burkina Faso et la Mauritanie, nées du soutien symbolique de Ouagadougou à l’indépendance de la jeune république islamique, vont se renforcer. Les deux pays y avaient un intérêt.
La Mauritanie n’avait plus d’amis dans son voisinage immédiat. En accédant à son indépendance, contre la volonté du Roi du Maroc, Nouakchott ne pouvait plus compter sur Rabat. Le président mauritanien, Moktar Ould Daddah, n’avait pas non plus de bonnes relations avec son homologue malien, Modibo Kéita. Les rapports entre les deux voisins étaient «mauvais, très mauvais parfois, jusqu’à la conférence de Kayes en 1963», se souviendra Ould Daddah dans ses mémoires (1). A cette conférence, les deux chefs d’Etat avaient pu trouver un accord mettant fin à leurs différends frontaliers. Avec le Sénégal, les choses n’étaient pas au mieux, durant la courte vie de la Fédération du Mali, puis après le retrait de la Mauritanie de l’OCAM (2), une organisation jugée trop inféodée à la France. A cela, s’ajoutaient les tensions interethniques entre les populations des deux pays, débouchant en 1966 par un regrettable affrontement sanglant. Plus tard, à propos de l’îlot de Todd sur le fleuve Sénégal, les deux pays vont encore se disputer.
De son côté, le Burkina Faso n’était pas bien perçu par les trois voisins de la Mauritanie. Le Sénégal et le Mali ne lui pardonnaient pas d’avoir refusé d’adhérer à la Fédération du Mali. Aussi, s’ajoutent les contestations sur le tracé de la frontière malo-burkinabè. Modiba Kéita en voulait à Maurice Yaméogo pour ses «ardeurs verbales», pas du tout à son goût, aussi bien au sein du Rassemblement démocratique africain (RDA) que sur les sujets touchant à la Fédération du Mali et aux prétentions sur les morceaux de territoires à la frontière.
L’ennemi d’un ennemi étant un ami, Maurice Yaméogo et Moktar Ould Daddh se lient une amitié. Après avoir pris part à la cérémonie de célébration de l’indépendance de la Mauritanie, le Burkinabè va encore se retrouver à Nouakchott et dans plusieurs localités mauritaniennes pour une visite officielle, du 11 au 17 mars 1964. La même année, du 4 au 12 décembre, Ould Daddah se rend également à Ouagadougou, prenant part à la célébration de la fête de l’indépendance du Burkina Faso et visitant plusieurs autres localités. Dans ses mémoires, Ould Daddah confie que «la délégation mauritanienne fut particulièrement bien accueillie dans les régions où elle s’est rendue».
Les relations entre Ouagadougou et Nouakchott étaient au beau fixe. A cette époque, le Burkina Faso hébergeait une importante communauté de Mauritaniens vivant de commerce, et principalement du commerce de bétail. Modibo Kéita qui s’était rendu compte du rapprochement entre les présidents Yaméogo et Daddah, va chercher à en exploiter, en demandant au Mauritanien d’intervenir en médiateur afin d’apaiser ses relations avec Maurice Yaméogo. Ironie du sort, ces trois chefs d’Etat seront balayés du pouvoir par la force, le Burkinabè d’abord, le Malien ensuite, le Mauritanien enfin.
Aimé Mouor KAMBIRE
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Les mémoires de Moktar Ould Daddah sont consignés dans le livre «La Mauritanie contre vents et marées», Kartala Editions, octobre 2003.
OCAM (Organisation commune africaine et malgache) créée le 12 février 1965 à Nouakchott). Daddah s’en est démarqué dès que le Congo-Kinshasa y a fait son entrée au cours d’un sommet à Abidjan, où il n’était pas convié.