Zéphirin Diabré, président de l’UPC : « Les propos de Bigot sonnent comme un avertissement et doivent inciter à une réflexion collective sur le devenir de notre pays
scrupuleusement scrutés à la loupe. Non seulement pour l’occupation du très contesté poste de chef de file de l’opposition mais aussi dans la perspective de la lointaine bataille présidentielle de 2015. En effet depuis sa création le 1er mars 2010, la formation de l’ancien ministre burkinabè des Finances et ancien directeur régional du groupe Areva, Zéphirin Diabré, n’a jamais cessé de prôner un nouvel ordre sociopolitique basé sur la démocratie, le travail et la solidarité ; cela avant même que les vents du printemps arabe ne soufflent sur le Faso avec son cortège de secousses et de calmants politiques.
Justement, que pense le patron du parti du lion des nouvelles réformes politiques, de l’affaire Bigot, du chef de file de l’opposition ? Comment l’UPC prépare le scrutin couplé du 2 décembre 2012 dont ce serait le premier véritable test pour le parti de mesurer son poids réel sur l’échiquier politique national ?
Bref, à toutes ces préoccupations, Zéphirin Diabré répond, dans un style empreint de pragmatisme et de réalisme, dans l’interview qu’il nous a accordée ce 7 août 2012 à Ouagadougou. Dans ses bureaux privés à la Patte d’Oie où il nous a reçu, l’ex-Administrateur associé du PNUD est plus que jamais actif en cette période de précampagne. Entre ses multiples activités de consultant international, il devrait d’ailleurs décoller incessamment pour l’étranger, le ‘’président’’ comme l’appelle affectueusement son entourage, reçoit, consulte, se prépare avec l’état major de son parti, à affronter le double scrutin dans de meilleures conditions qui soient. Tout en gardant les pieds sur terre. Grande interview exclusive.
Lefaso.net : Le Burkina Faso vient d’adopter ses réformes politiques consacrées par la révision d’une soixantaine d’articles de notre Constitution. En quelques mots, comment qualifiez-vous toutes ces réformes ?
Zéphirin Diabré : En matière de réformes politiques, la démarche importe autant que le fond. Or, ces réformes ont été conduites dans un esprit de cache -cache, avec des intentions plus ou moins inavouées, et une sélection des interlocuteurs qui n’obéissait à aucun critère sérieux.
C’est pour ces raisons que notre parti n’y a pas pris part. Si l’on voulait vraiment une démarche consensuelle visant à renforcer notre démocratie, il aurait fallu faire les choses autrement.
Comment ?
Pour ne prendre qu’un exemple, une démarche plus consensuelle aurait d’abord commencé par un dialogue franc avec l’ensemble des composantes de la société, y compris la majorité, mais à qui on donne une certaine latitude de s’organiser. Or ces assises ont été pilotées par un ministère commis aux ordres et nanti d’une mission précise que tout le monde connait, et qui se résume à tout faire pour obtenir la révision de l’article 37.On aurait pu trouver quelqu’un de plus neutre.
Mais, globalement, quelles sont les réformes qui ont retenu le plus votre attention ?
Comme vous, j’ai lu les comptes rendus livrés par notre presse. Certes, les participants aux assises ont fait de leur mieux. Mais on aurait pu faire encore mieux si un vrai consensus politique avait été recherché. Tout ça pour ça !
N’y a-t-il pas quand même des réformes qui retiennent positivement votre attention ?
Sans vouloir diminuer le mérite de qui que ce soit, avouez que les idées avancées lors de ces assises auraient pu être mises en œuvre sans avoir à recourir à cet artifice. Et j’insiste pour dire que la procédure a faussé les choses.
Que pensez-vous d’une réforme comme la constitutionnalisation du Conseil supérieur de la Communication ?
Cette instance de régulation a un rôle très important en démocratie. Si en la figeant dans le marbre de la constitution on peut en assurer la crédibilité et la pérennité au-delà des alternances politiques, c’est une bonne chose. Mais la meilleure des choses à faire, c’est de la doter en moyens légaux, humains et matériels pour lui permettre de mieux jouer son rôle.
Quelle est votre opinion sur l’amnistie adoptée pour les Chefs d’Etat du Burkina Faso de 1960 à nos jours ?
Ce n’est pas une question taboue. Dans certains pays, on en a même fait une étape importante de la réconciliation et du retour à la démocratie. Tout est donc une question d’opportunité politique. Mais elle doit s’appuyer sur un véritable débat national, au cours duquel des vérités sont dites, des réconciliations prononcées, et des engagements souscrits. Cela en garantit d’ailleurs la solidité. Or, on n’a rien vu de tout cela !
Pour vous qui aspirez au pouvoir, n’est-ce pas un moyen de créer les conditions d’une alternance politique ?
Certains peuvent le voir sous cet angle.
Et vous, comment voyez-vous cela ?
Une alternance politique procède de la volonté populaire, pas d’un arrangement juridique !
Que pensez-vous de la création du Sénat ?
Le bicaméralisme ne fait pas partie de notre tradition politique. Quel rôle va jouer un sénat que ne puisse pas jouer une assemblée nationale nantie de réels pouvoirs ?
Deuxièmement, j’entends dire que certains de ses membres seront élus et d’autres nommés. Or tous auront un pouvoir législatif. Ainsi donc des gens désignés par l’exécutif auront un pouvoir législatif. Cela pose un problème de séparation des pouvoirs. Enfin il y a la question du coût ! Par ces temps de vaches maigres pour l’ensemble de la population, on peut utiliser différemment le peu que nous avons.
L’article 37 de la Constitution n’a pas été touché par les révisions. C’est quand même quelque chose de positif pour vous, surtout que vous aspirez à assurer la plus haute charge de l’Etat…
Il ne faut pas voir les choses de manière personnelle. Les Burkinabè, dans leur écrasante majorité, sont opposés à la révision de l’article 37, y compris ceux qui apprécient le pouvoir actuel.. Beaucoup de ceux qui la réclament pensent d’abord à eux-mêmes, à leurs intérêts égoïstes, aux affaires qu’ils continueront de faire, et aux privilèges dont ils vont continuer de jouir. Ils ont du mal à envisager un autre Burkina, avec un autre président et un autre système.
Notre position est de principe et nous l’avons clairement énoncé lors du forum sur l’alternance. La limitation des mandats présidentiels permet de dépersonnaliser le pouvoir, de renforcer les institutions qui, elles sont immuables, et d’apporter la vraie stabilité, non pas celle qui repose sur la présence d’un chef fort et omniprésent, mais celle qui repose sur des institutions fortes.
Quelles sont les raisons de votre opposition au pouvoir ?
Notre manifeste dit clairement ce que nous pensons et ce qui nous différencie du pouvoir actuel dans trois domaines fondamentaux :
La construction de notre démocratie : l’UPC souhaite une démocratie républicaine à forte participation citoyenne. Or, on nous sert actuellement une démocratie de façade, arc-boutée sur un système de clientélisme politique, et dont la finalité ultime est d’empêcher à jamais l’alternance
La construction de notre économie : pour nous, celle-ci doit être ouverte à tous les acteurs, et ses fruits profiter à tous. Malheureusement, on assiste à la construction d’une économie clanique, dont les ressorts sont tenus par un groupe restreint de parents, d’amis et d’obligés. Regardez ceux qui bénéficient aujourd’hui des marchés publics ou qui contrôle nos grandes entreprises !
La construction de la société : pour nous, celle-ci doit reposer sur les valeurs qui ont de tout temps caractérisé le Burkinabè : patriotisme, courage, travail, fierté, intégrité, sobriété, etc.. Et le pouvoir politique doit jouer son rôle de promoteur et de vigie. Or, on assiste à une démission en rase campagne du pouvoir. L’un des domaines où cela est le plus choquant, c’est celui de la lutte contre la corruption.
C’est bientôt les élections couplées, comment vous vous préparez à l’UPC ?
Je viens d’achever un marathon qui m’a conduit dans toutes les provinces du pays pour installer nos structures. Cela m’a permis de mesurer la sympathie dont nous bénéficions et la force de notre organisation sur le terrain. A l’occasion de ces rencontres, nous avons exhorté nos militants à se faire enrôler massivement. La semaine prochaine, je ferai une revue de nos structures dans les arrondissements du Kadiogo, terrain stratégique par excellence. Nous avons réussi à mettre en place un comité de base dans chacun des 30 anciens secteurs de Ouagadougou. A peine ce travail fini, les secteurs de la ville ont été redécoupés et leur nombre a augmenté. Tout cela nous oblige à opérer un redéploiement urgent. C’est de cette manière que nous nous préparons aux élections. Actuellement, nos structures sont en train de confectionner les listes des candidats. Une fois les candidats choisis, nous allons les réunir pour discuter avec eux de la stratégie de campagne.
Serez- vous présent dans toutes les provinces ?
Probablement oui !
Pas de problèmes de leadership pour le positionnement sur les listes électorales ?
La direction n’a pas encore été saisie de tels problèmes. Mais nous sommes en politique et dans ce domaine, les questions de leadership sont des choses naturelles. Si la question se posait, on trouvera le moyen de trancher au mieux des intérêts du parti.
Quelle est votre représentativité sur le territoire national ?
Nous avons des militants et des structures dans toutes les provinces du pays. Mais présence et représentativité sont deux choses différentes. Tout dépend des situations locales, notamment des porte-drapeaux qui vont défendre nos couleurs. Comme vous le savez en Afrique, malheureusement, on vote plus l’individu que le parti qu’il représente. C’est au lendemain des élections qu’on pourra vraiment répondre à votre question.
Envisagez-vous des alliances avec d’autres partis de l’opposition pour aller à ces élections ?
Les textes le prévoient et nous croyons en la force des alliances. Des contacts sont en cours. Les meilleures alliances électorales sont celles qui procèdent d’une entente sur le terrain, et non d’un diktat des états-majors. Nous avons instruit toutes nos structures provinciales dans ce sens.
Quelles sont vos ambitions pour ces élections ?
Nous n’avons pas de prétention en termes de chiffres. Nous sommes un parti très jeune qui, à l’heure où je vous parle, n’a aucun élu. Nous partons de zéro. Et nous observons aussi le rapport de force entre les différentes formations politiques présentes à l’assemblée. C’est en fonction de tout cela que l’on pourra dire, au sortir des élections, si nous avons bien travaillé.
Positivement. La CENI fait un travail fantastique malgré des difficultés sur le terrain. Et les premiers chiffres semblent attester d’une hausse sensible des inscriptions. J’ai été choqué de voir que certaines officines tentent de frauder comme ce fut, semble t-il, le cas à Ouahigouya et à Bobo Dioulasso. Il faut que la CENI soit très vigilante, et qu’elle obtienne de la justice des condamnations fermes et sévères pour l’exemple.
Etes-vous inscrit sur les listes électorales ?
Oui. Je me suis enrôlé le jeudi dernier ici, à Ouagadougou (NDLR : l’interview a eu lieu le mardi 7 août 2012).
Votre parti est membre du chef de file de l’opposition. Etes-vous satisfait de la manière dont l’institution fonctionne ?
Le chef de file de l’opposition fait de son mieux. Mais la question ne se situe pas au niveau du fonctionnement. Elle est plus profonde. Cette institution a été créée dans les pays ou le système politique est bipolaire. Est- elle adaptée au système politique en vigueur chez nous ou par essence, la majorité comme l’opposition sont plurielles ? J’ai des doutes. Ensuite vient la question des attributions. Sur ce plan, la loi a beaucoup d’insuffisances. Par exemple, au nom de quel principe un parti politique qui se dit de l’opposition doit aller faire sa déclaration auprès d’un autre parti pour la seule raison que le second aurait plus d’élus que le premier ? Quel est le rôle de l’administration ? Si demain les deux premiers partis de l’opposition ont le même nombre de députés, on fait quoi ? Et puis que signifie un Chef de file ? C’est un chef ? C’est un porte- parole ? C’est un coordonnateur ? Pour le chef de file lui-même, cette situation n’est pas facile car, on lui demande de jouer un rôle sans lui dire de quel rôle il s’agit et sans lui en donner les moyens.
A qui la faute ? La faute n’est pas seulement du côté de l’Etat ?
Le texte qui a créé l’institution comportait déjà les germes de l’inefficacité. Et le pouvoir ne fait rien pour arranger les choses.
Est-ce pour ces raisons que des partis politiques de l’opposition ont refusé d’adhérer à la structure ?
Je ne sais pas. En dépit des insuffisances que j’ai évoquées plus haut, notre parti a sacrifié à la formalité. L’intérêt de la chose, c’est qu’il y a au moins un cadre ou les partis d’opposition peuvent se retrouver, prendre des positions communes sur des sujets donnés, et un canal par lequel l’administration peut les toucher pour les questions qui relèvent de toute l’opposition. En le faisant, nous n’avons pas adhéré à un projet politique ni à une coalition. Mais, nous sommes ouverts à cela. Pour cela, il faut une négociation politique qui ne regarde pas le pouvoir et qui ne se décrète pas par une loi.
Voulez-vous dire que ceux qui refusent d’y adhérer ont tort de le faire ?
Ah pas du tout ! Nos formations sont autonomes. Elles agissent en fonction des choix de leurs adhérents.
Mais, avec toutes ces difficultés au sein de l’opposition, croyez-vous sincèrement que Kossyam sera à votre portée en 2015 si le président Compaoré ne se représentait ?
Il est difficile de prédire aujourd’hui ce que sera la situation politique en 2015. Quand vous observez bien, vous sentez que des recompositions peuvent se faire. Et la configuration de l’opposition ne sera peut être pas la même.
Quels sont les rapports de l’UPC avec les formations politiques ?
Ils sont très bons. Avec les partis de l’opposition, ce sont des rapports de camaraderie militante. Avec les autres partis, ce sont des rapports de respect républicain.
Depuis son dernier congrès, le parti au pouvoir, le CDP, semble connaître des turbulences. Qu’en pensez-vous ?
Je n’aime pas me mêler de la vie des autres. Mais comme c’est le parti qui gère le pays, on est obligé de suivre son évolution. C’est par la presse que j’ai appris ce à quoi vous faites allusion ? Vrai ? Faux ? Je n’ai pas encore vu une manifestation publique de dissidence. Mais ce qui est relaté par la presse est très intéressant.
Intéressant ?
Oui pour tout parti d’opposition, les problèmes que rencontre le parti au pouvoir peuvent offrir des opportunités.
Ledit congrès semble avoir entériné la montée en puissance de François Compaoré, le frère du Chef de l’état, avec ses amis de la FEDAP/BC ? Quelle est votre lecture ?
D’abord le CDP est libre de s’organiser comme il l’entend. Ce n’est pas notre affaire. Ensuite, l’UPC n’a pas de problème avec des individus. Nous sommes opposés à un système et à la politique que mène ce système. Nous militons pour le changement. A l’occasion de toutes les élections que prévoit notre système démocratique, nous seront opposés à ceux et à celles qui représentent ce système. Et les Burkinabè trancheront.
Que pensez- vous de l’affaire Bigot ?
Les propos de Monsieur Bigot sont trop sévères. Et il faut être naïf pour croire que ce qu’il a dit n’engage que lui. Les choses sont plus compliquées que ça. Il y a des choses que M. Bigot a dit qui ne sont pas nouvelles. C’est par exemple le cas de la corruption généralisée et de la confiscation de notre économie par le clan présidentiel. Dans ses propos il y a des choses plus inédites et plus graves comme les remarques faites sur notre armée et sur les supposés trafics dans la sous région impliquant l’entourage immédiat du chef de l’Etat. C’est une accusation très grave.
Vrai ou faux ? En tout cas, cela donne froid au dos et jette un sérieux discrédit sur notre pays. Ce qui pose tout de même problème. En définitive, ces propos sonnent comme un avertissement pour tous les Burkinabè et doivent inciter à une réflexion collective sur la situation et le devenir de notre pays.
Que faites vous maintenant que vous avez quitté Areva ?
Je suis consultant dans le domaine financier et minier.
Interview réalisée par Grégoire B. BAZIE
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