Une équipe du Centre de suivi et d’analyse citoyens des politiques publiques (CDCAP) a mené des enquêtes sur des agents de l’enrôlement biométrique des électeurs de l’ensemble des zones définies par la CENI pour cette circonstance. Au regard des résultats de l’enquête obtenus sur le terrain dans le processus d’enrôlement, le CDCAP a fait des recommandations qui permettent de renforcer la fiabilité du fichier électoral.
C’est connu, en attendant l’apurement des différents fichiers des électeurs enrôlés, le recensement du potentiel électoral a permis à la CENI d’enregistrer sur les différents fichiers d’inscription 4 426 051 personnes. Un résultat qui selon le constat sur le terrain du CDCAP sont des réalités qui peuvent affecter la fiabilité du fichier électoral.
En effet, pour mener son enquête, le CDCAP a élaboré une fiche questionnaire qui a permis de collecter auprès des agents de l’enrôlement biométrique de la CENI, des informations utiles à l’analyse. A cet effet, 208 bureaux d’enrôlement des zones définies par la CENI ont reçu la visite des agents enquêteurs du CDCAP constitués des membres des comités de suivi à la base (CSB).
Le CSB étant l’organe de suivi à la base au niveau communal, il travaille en étroite collaboration avec l’organisation focale (OF) qui s’occupe de son encadrement. Les données collectées par les CSB ont concerné la localisation, le bureau d’enrôlement, le fonctionnement et la participation. Toutes les données collectées ont été traitées par le logiciel Sphinx 4.5.
Quelques données des résultats
Dans les 32 communes où s’est déroulé le suivi de l’enrôlement biométrique des électeurs, les données quantitatives révèlent que la quasi-totalité des enrôleurs interrogés ont estimé que l’accès des bureaux ont été facile (97,10%) et facilement reconnaissable (92,80%). Cependant, l’enquête note qu’en dehors du fait que la majorité des bureaux d’enrôlement étaient dans des lieux publics, certains étaient logés dans des domiciles privés.
Le rapport de l’enquête a salué les efforts faits par la CENI pour rapprocher les bureaux d’enrôlement des populations électorales (des bureaux étaient à moins de 2 km de ceux qui y viennent pour s’inscrire). A ces efforts, il faut ajouter la campagne de communication pour sensibiliser et mobiliser les populations à venir s’inscrire.
Cependant, il souligne que 81,70% des sites visités n’étaient pas assistés par des agents de la sécurité. Malgré les efforts de communication pour une mobilisation des populations, le rapport démontre une faible participation des femmes à ce processus d’enrôlement biométrique (60% des enrôleurs ont estimé que les femmes ont été minoritaires à l’inscription).
Au plan qualitatif, dans la zone prenant en compte le Sahel, des agents ont été surpris de savoir que des populations disent ne pas être au courant de l’opération d’enrôlement.
Par ailleurs, selon le rapport d’enquête, « il ressort des commentaires des enrôleurs que la population était bien plus motivée par l’obtention de la carte que par le devoir de citoyenneté.
En zone rurale, ce commentaire fait l’unanimité des enrôleurs et pourtant en zone urbaine, moins de 10% ont évoqué le devoir de citoyenneté. Il y a donc des signes qui annoncent là que le nombre des électeurs pourraient être considérablement plus bas que celui des inscrits ».
Analyse des résultats
Les faiblesses de l’opération d’enrôlement ont concerné plusieurs points. Il s’agit notamment selon le rapport d’enquête de : Difficultés logistiques de fonctionnement. Dans certaines zones rurales (Bama, Houndé) la lenteur de l’enrôlement, liée aux pannes de groupes électrogènes, à la pluie et aux pannes des kits d’enrôlement, n’a pas permis à tous les volontaires à l’enrôlement de se faire enrôler. Une demande générale d’enrôlement existe pouvant être estimée arithmétiquement à 3.573.949.
A la demande de certaines personnes ou populations (à Fada N’gourma et à Houndé), les CEPI ont autorisé des personnes privées à transporter les kits d’enrôlement et leurs opérateurs en vue de procéder à des enrôlements dans des zones qui n’étaient pas prévues, sous prétexte qu’un nombre élevé d’électeurs s’y trouveraient. Ce type d’arrangements constitue des opportunités d’enrôlement de personnes qui ne sont pas qualifiées à s’enrôler.
Du moment où la CENI a constitué les bureaux d’enrôlement sur la base des renseignements donnés par les autorités locales, il n’y avait plus lieu d’autoriser de nouveaux sites d’enrôlement, sous peine d’ouvrir la voie à des irrégularités :
Fraudes électorales : malgré la nature de l’enrôlement biométrique qui est censé éliminer une grande partie de la fraude électorale, des acteurs politiques se sont adonnés aux pratiques frauduleuses comme les inscriptions multiples et l’inscription de mineurs.
Des cas de déplacements massifs d’électeurs ont été constatés à Bobo-Dioulasso, à Ouahigouya et à Ouagadougou (Lycée le Réveil des 1200 logements) et à Sabcé (56 personnes déplacées à Ouagadougou) ;
Faiblesse d’enrôlement des femmes : le taux d’enrôlement des femmes est en deçà du potentiel électoral de cette catégorie. Alors qu’elles sont considérées comme le meilleur public électoral, l’enrôlement biométrique a connu une participation mitigée des femmes, y compris dans les zones rurales.
A Ouagadougou, sur une population électorale estimée à un million cent trente-cinq mille (1.135.000) personnes, six cent mille (600.000) environ ont été enrôlées dont deux cent cinquante mille (250.000) femmes. Une telle présence des femmes sur le fichier électoral rendrait difficile l’application de la loi sur le quota puisque les femmes doivent d’abord être inscrites sur les listes électorales pour être candidates aux élections municipales ;
Concomitance de l’enrôlement biométrique des électeurs avec le recensement biométrique des agents de la fonction publique : il parait évident aujourd’hui que la programmation de ces deux opérations dans les mêmes périodes a été de nature à provoquer une confusion ayant conduit certains électeurs à ne pas être enrôlés.
La CENI a dû émettre un communiqué pour clarifier la nature différente des deux opérations, dénotant un dysfonctionnement entre les services de l’Etat ;
Les irrégularités de l’enrôlement biométrique : il a été constaté que certains opérateurs ne respectaient pas les informations disponibles sur les pièces fournies par les candidats à l’enrôlement (inscriptions partielles).
Un cas observé à Fada N’Gourma montre que les nom et prénoms de l’électeur figurant sur sa CNIB ne sont pas ceux portés sur la carte d’électeur. Les fiches d’enquêtes collectées par le CDCAP montrent que ces situations ont été nombreuses.
Ces erreurs ouvraient la voie aux doubles inscriptions ou à des mentions incorrectes sur le fichier électoral. Pour le directeur des programmes du CDCAP, Célestin Badolo, « les conséquences de ces erreurs sont multiples.
Une fois que les opérateurs ont permis l’enrôlement d’un électeur avec seulement une partie de son identité, plusieurs autres électeurs ont pu s’adonner à des inscriptions en utilisant des informations partielles dans d’autres bureaux d’enrôlement.
Ces inscriptions multiples ayant pu se faire par endroit, leurs auteurs pourraient exercer des pressions afin que l’opération d’apurement n’ait pas lieu.
Cette situation a déjà été constatée en 2010 sous la précédente CENI où il était prévu un croisement entre le fichier électoral et les fichiers de l’ONI. Par ailleurs, l’un des arguments de soutien à l’enrôlement biométrique était les perspectives d’usages administratifs divers du fichier biométrique qui sera obtenu (état civil, fonction publique, passeport, etc.).
Des erreurs d’identités dans le fichier compromettent gravement ces perspectives et les économies d’échelles attendues des investissements de l’enrôlement biométrique pourraient s’évaporer. Il apparait, de même, le besoin d’une coordination étroite entre les différentes administrations (ONI, MATDS, CENI) dans la constitution d’un fichier d’état civil fiable ».
C’est fort de ce constat que, le CDCAP recommande que l’opération de fusion et d’apurement se déroule en toute transparence et en présence des médias et de la société civile, la publication du fichier électoral biométrique sur son site web tout en le rendant consultable pour d’éventuelles évaluations de la société civile et des citoyens ; et, la rigueur dans l’application dans le traitement judiciaire et la publication des cas de fraude qui seront détectées.
Célestin Badolo n’a pas manqué de noter que « le CDCAP réitère son soutien à la CENI et son attachement à un fichier électoral fiable tout en respectant le calendrier en vue d’élections crédibles au Burkina Faso ».