La crise consécutive à l’occupation du Nord-Mali par des groupes armés a-t-elle des relents pétrolifères ? Qu’est-ce qui justifie la santé insolente du secteur minier, au moment où l’économie malienne accuse le coup de la crise ? Le ministre des Mines du Mali, Dr Amadou Baba Sy, détaille les raisons.
Sidwaya (S) : Est-il vrai que le territoire malien sous contrôle des groupes armés regorgerait d’immenses réserves de pétrole ?
Dr Amadou Baba Sy (A. B. S.) : Il y a des indices favorables qui prouvent qu’il y a des gisements assez intéressants dans le territoire actuellement occupé, pas seulement en pétrole, mais d’autres minerais. Ce n’est pas un secret. Le Nord du Mali regorge de phosphate, de manganèse, de l’or, de gaz….
S. : Y a-t-il donc une relation de cause à effet entre ces richesses et l’occupation dont la zone fait l’objet ?
A. B. S. : Je ne le pense pas honnêtement, parce que ce n’est pas la première fois. Depuis l’indépendance du Mali, il y a cette rébellion qui survient, de façon répétitive. Il y a eu une grande rébellion dans les années 1962, 1963. Il y a eu une rébellion en 1990, 1991. Il y a eu une rébellion qui n’a pas eu une grande ampleur dans les années 2006. Actuellement, il a une autre rébellion. C’est devenu une chose courante en Afrique. Chaque pays a sa rébellion. C’est regrettable que l’Afrique australe, l’Afrique de l’Ouest, le Tchad, le Mali, le Niger, peut-être moins le Burkina Faso, soient confrontés à ce problème.
S. : Qu’est-ce que le Mali fait de ses richesses, notamment de ses ressources minières ?
A. B. S. : Le Mali tire beaucoup de profits de ses minerais, l’or principalement et le fer dont l’exploitation vient de commencer. Le secteur minier représente 8% de notre PIB, c’est extrêmement important. Cela fait 70 à 75% de nos recettes d’exportation. En 2011, les mines ont rapporté 250 milliards de CFA au Trésor public malien. C’est une part importante de la croissance économique de notre pays. En termes d’emplois, les grandes mines en production ont généré 10 000 emplois directs et 5 000 emplois indirects. L’or est aujourd’hui, un des poumons de la croissance économique au Mali.
S. : L’exploitation de ces ressources vitales pour l’économie se fait-elle sans difficultés ?
A. B. S. : Il y a souvent des difficultés comme dans toute œuvre humaine. Les relations sont souvent tendues entre les exploitants de ces grandes mines et les collectivités riveraines qui souhaiteraient que 80% de tous les emplois créés leur reviennent, alors que cela n’est pas possible. Les mines industrielles doivent faire beaucoup d’efforts dans la mise en place des infrastructures et les services sociaux de base, tels que les écoles, les centres de santé primaire, l’accès à l’eau, les infrastructures routières et même la microfinance, l’agriculture, l’élevage au niveau local. Si le gouvernement, les collectivités locales et les compagnies minières se mettent ensemble et réfléchissent, ils peuvent booster le développement local. Cela fait une vingtaine d’années que les sociétés minières exploitent les ressources minières au Mali. Il est temps de faire une revue, un regard rétrospectif de tout ce qui a été posé comme acte, de voir ce qui a été positif, le valoriser et le renforcer. D’identifier les éléments de faiblesse et les difficultés, de les analyser et de proposer des solutions pour les aplanir.
S. : Qu’est-ce que votre pays fait contre l’orpaillage qui génère beaucoup de problèmes sociaux et sécuritaires ?
A. B. S. : Dans notre code Minier, l’orpaillage ne relève pas du Ministère des mines, mais de celui de l’administration territoriale. Nous sommes régulièrement sollicités pour des problèmes, d’orpaillage. Il pose beaucoup plus de problèmes, étant donné que c’est un secteur informel. Il est cependant, important, car beaucoup de Maliens, de Burkinabè, d’Ivoiriens, de Chinois, d’Indiens, maintenant de Français, viennent à la recherche de l’or au Mali. On parlait de ruée vers l’or, mais c’est devenu une véritable folie vers l’or. L’orpaillage mérite d’être mieux organisé. Je pense que nous pouvons le faire. Un village qui reçoit tout d’un coup, 5 000 personnes, cela génère beaucoup de désordres environnementaux, sanitaires, sécuritaires avec le banditisme, au regard des importantes sommes d’argent qui circulent entre les gens.
S. : Quel est l’impact de la crise dans le secteur minier au Mali ?
A. B. S. : Les gens exagèrent souvent les choses. Vous êtes au Mali, mais si on ne vous dit pas qu’on est en crise, vous ne pouvez absolument pas le savoir. Le Mali est un pays de dialogue. La crise que nous vivons est la plus grave de notre histoire récente, depuis l’indépendance. Un coup d’Etat qui survient. Deux composantes de l’armée qui s’affrontent. Les régions du Nord sont occupées. Nous n’avons jamais connu cela. Le coup d’Etat a occasionné deux morts et c’était même avant les événements du 22 mars 2012. Alors qu’au Kenya, la contestation des élections ont occasionné 3 000 morts. Et malgré cette crise très grave, on avait un Premier ministre, dès le 17 avril 2012 et le 22 avril, on avait un gouvernement d’union nationale. En un mois, nous sommes retournés au système constitutionnel normal, en remettant toutes les institutions en place. Très peu de pays peuvent se targuer de la rapidité avec laquelle nous l’avons fait. Contrairement à ce qui se dit, les gens du Sud vont au Nord. Ceux du Nord viennent au Sud. La crise n’a pas affecté le secteur minier. Nous avons même produit plus d’or en 2012 qu’en 2011 de l’ordre d’une tonne et demie supplémentaire. Cela paraît paradoxal, mais c’est la réalité. On avait délivré deux permis d’exploitation pour les régions du Nord, mais après l’occupation, leurs détenteurs ont activé l’article concernant le cas de « force majeure » pour suspendre leurs activités. Il n’y a donc pas une seule mine en exploitation dans le Nord du Mali. Toutes les mines en production sont dans le Sud du pays.
S. : L’Etat malien a-t-il les moyens de faire respecter les engagements des compagnies minières en matière de respect de l’environnement, par exemple ?
A. B. S. : Bien sûr. Avant de donner un permis, il y a une étude environnementale, il y a un suivi. C’est notre rôle. Il y va de l’avenir du secteur.
S. : Le Mali, semble-t-il, a le statut de « pays conforme » à l’Initiative pour la transparence des industries extractives(ITIE). Qu’est-ce que cela signifie pour le commun des Maliens ?
A. B. S. : Les normes environnementales que vous venez de citer font partie des critères de l’ITIE. A cela s’ajoutent la transparence dans le secteur, l’engagement de l’Etat, des sociétés minières. Dans tout le tiers-monde, il y a seulement 35 pays qui mettent en œuvre l’ITIE dont 21 en Afrique. Si nous sommes éligibles à cette Initiative qui n’est même pas tenue par les Africains pour parler de complaisance, c’est une fierté pour le gouvernement et pour tous les Maliens. Cela veut dire que le secteur minier est géré au Mali dans la transparence et le respect des normes internationales.