Kinshasa - Des militants de mouvements citoyens qui ont été à la pointe de la mobilisation contre le pouvoir au Sénégal et au Burkina sont retenus à Kinshasa pour tentative de "déstabilisation", en plein débat sur un éventuel troisième mandat du président congolais Joseph Kabila.
Les arrestations ont eu lieu dimanche, à l’occasion d’une rencontre, parrainée notamment par les Etats-Unis, destinée à sensibiliser la jeunesse sur les questions de gouvernance et de démocratie.
Le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) a annoncé lundi la libération d’un diplomate américain et de journalistes qui avaient aussi été interpellés.
Mais "les autres continuent à être entendus" par la police judiciaire concernant leur "entreprise de déstabilisation" du pays, a déclaré à l’AFP le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende.
"On parle de préparation d’actes de violence", a ajouté M. Mende. Les militants sénégalais et burkinabè étaient venus non "pas pour des conférences mais pour préparer des actes d’hostilité entre des groupes de Congolais", a-t-il poursuivi, soulignant que la justice déciderait s’ils seront jugés ou expulsés.
Le climat s’est fortement crispé en RDC depuis des manifestations violentes du 19 au 22 janvier qui ont fait, essentiellement dans la capitale, entre 27 et 42 morts, selon les sources.
Les contestataires dénonçaient un projet de révision de la loi électorale qui aurait permis de prolonger le mandat du président congolais Joseph Kabila après la fin 2016, date de la fin de son quinquennat, alors que la Constitution lui interdit de briguer un nouveau mandat.
Les arrestations de dimanche indiquent une "radicalisation du pouvoir, qui se referme", a affirmé à l’AFP un diplomate occidental. "Ce qui nous inquiète, c’est qu’on n’écoute plus les éventuels conseils, on le voit à travers les arrestations, qui sont très maladroites..."
Samedi, des militants du mouvement sénégalais "Y’en a marre", burkinabè "Balai citoyen" et congolais "Lutte pour le changement" (Lucha) avaient animé
à Kinshasa la conférence controversée.
"Y’en a marre", un mouvement formé par des rappeurs et d’autres jeunes, a été un acteur majeur du combat contre un troisième mandat du président
sénégalais Abdoulaye Wade (2000-2012).
Le "Balai citoyen" a fait partie des organisations qui ont ferraillé contre le projet du président burkinabè Blaise Compaoré de modifier la Constitution pour briguer un nouveau mandat après 27 ans de règne. Fin octobre 2014, M. Compaoré a finalement été chassé par la rue.
- ’Croissance des tensions’ -
Dimanche, les organisateurs de la rencontre de jeunes ont tenu une conférence de presse où les Sénégalais ont déclaré qu’ils n’étaient pas à Kinshasa pour faire tomber le gouvernement mais pour un échange de vues sur les moyens d’améliorer la gouvernance, ont constaté des journalistes de l’AFP.
Et les orateurs ont insisté sur leur attachement à la non-violence.
Reste que les forces de l’ordre ont arrêté une trentaine de personnes, selon des témoins. Elles ont été conduites au siège de l’Agence nationale du renseignement (ANR), dans le nord de Kinshasa.
Trois journalistes français (AFP, RTBF, BBC), deux journalistes congolais (BBC et la télévision privée congolaise Antenne A), un Français qui participait à l’organisation de la rencontre et un diplomate américain, Kevin Sturr, directeur de la division "Démocratie, droit et gouvernance" à l’agence américaine Usaid à Kinshasa, avaient été arrêtés.
Tous ont été libérés dans la soirée mais le sort du journaliste d’Antenne A
demeurait incertain.
Parmi les militants qui restaient détenus lundi figurent des Congolais, dont Fred Bauma de "Lucha", le Burkinabè Sidro Ouédraogo de "Balai citoyen", ainsi que les Sénégalais Fadel Barro, meneur charismatique de "Y’en a marre", Aliou Sané et le rappeur Fou malade.
Des associations congolaises ont exigé leur libération, et sur les réseaux sociaux les appels en ce sens se multipliaient.
Interrogé par l’AFP à Dakar sur les arrestations, un ministre sénégalais a simplement déclaré: "Nous sommes en train de suivre le dossier depuis hier (dimanche), nous y travaillons".
Alioune Tine, directeur du bureau régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et Centrale, a réclamé la "libération immédiate et sans conditions" des militants détenus.
Ces arrestations vont "contribuer à la croissance des tensions et de l’intolérance en RDC où l’évocation du troisième mandat de Kabila est très fortement réprimée", a déclaré à l’AFP M. Tine à Dakar.
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