Les populations des zones rurales au Burkina Faso sont fortement dépendantes de la biomasse pour leur besoin énergétique. Cette situation n’est pas sans conséquence sur l’environnement et sur la santé des ménages. Le bio-digesteur, une énergie renouvelable se présente aujourd’hui comme une solution aussi bien pour la préservation de l’environnement, que pour l’amélioration des conditions de vie des ménages en milieu rural.
"Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”. Le bio-digesteur est une nouvelle source d’énergie qui répond à la maxime du chimiste français, Antoine Laurent de Lavoisier considéré comme le père de la chimie moderne. C’est une énergie propre appelée biogaz, obtenue par un système de construction souterraine, contenant des excréments d’animaux mélangés à de l’eau. Le gaz provenant de la décomposition de ce mélange est utilisé pour produire de l’électricité et faire la cuisine en lieu et place du bois de chauffe.
C’est une technologie fortement utilisée dans la région de la Boucle du Mouhoun où la population est beaucoup plus dépendante du bois de chauffe.
Selon certains utilisateurs, cette technologie présente plusieurs avantages. Gnilassé Bicaba habite le village de Sokongo. Cette femme, d’environ soixante ans, précise qu’«étant vieille, aller chercher du bois pour préparer m’épuise beaucoup. Surtout pendant la saison pluvieuse, où le bois et le sol sont humidifiés, ce n’est pas facile de cuire ses aliments. Le bio-digesteur me soulage vraiment». Quant à Ponidia Bicaba, du même village, elle avoue que la recherche du bois de chauffe est une corvée pénible et dangereuse. Car, fait-elle savoir, le risque de se faire mordre par un serpent est permanent.
Au niveau de la cuisine, les bienfaits du bio-digesteur sont vantés surtout par les femmes. Pour la ménagère Bionimia Bicaba, tout est devenu facile et rapide depuis l’acquisition de l’outil tant à la maison qu’au champ. Elle arrive à réaliser en un temps record les corvées de la maison. Ce qui lui permet de vaquer à son petit commerce. En plus d’être pratique, la technologie présente des avantages du point de vue sanitaire à en croire des utilisateurs en ce sens qu’elle ne dégage pas de fumée. Mme Téné Martine Domboué atteste ainsi que depuis des années, elle souffrait des maladies oculaires et les infirmiers lui avaient recommandé d’éviter au maximum la fumée. Comme elle n’avait plus une autre alternative, elle continuait à faire la cuisine avec le bois de chauffe. Mais depuis l’avènement du bio-digesteur, ses problèmes de santé ont commencé à se dissiper. Il en a été de même pour les ennuis de santé de Madeleine Bicaba à Fouankuy dont les problèmes respiratoires ne sont plus fréquents depuis 2013 quand elle a commencé à utiliser le bio-digesteur.
Le Burkina Faso, pays sahélien enclavé avec un taux annuel de déforestation de l’ordre de 4%, compte une population rurale à 85%. Les énergies traditionnelles (bois de chauffe, charbon de bois, résidus agricoles) représentent près de 86% de la consommation énergétique nationale et seulement 18% de la population a accès à l’électricité.
La technologie du bio-digesteur est une technologie appropriée pour lutter contre la déforestation. L’utilisation du bio-digesteur en cuisine préserve l’environnement en réduisant la coupe abusive du bois de chauffe par les ménages. «Supposons qu’un ménage utilise le bio-digesteur pour préparer la sauce, ça permet de réduire les besoins en bois de chauffe de plus du tiers et c’est considérable si on prend cela à l’échelle nationale, l’impact sur l’environnement sera grand», mentionne Sambo Alain Diallo, assistant technique au Programme national de bio-digesteur de la Boucle du Mouhoun. L’utilisation de la technologie permet de réduire la coupe abusive du bois et de protéger l’environnement. Le directeur provincial de l’environnement et des ressources halieutiques, Boukaré Ilboudo, souligne que le Burkina Faso a seulement 14 % de son territoire qui est occupé par les forêts et chaque année, le pays perd près de 110 000 hectares par le fait du déboisement et des autres phénomènes anthropiques. «Quand on nous accompagne avec un système qui doit contribuer à diminuer la coupe abusive du bois, nous, nous saluons ces initiatives», releve-t-il.
Des rendements scolaires améliorés
L’autre mérite du bio-digesteur, la production d’électricité, est aussi reconnue par la population de la région faiblement électrifiée par la nationale d’électricité. En témoigne Téné Martine Domboué, gérante de boutique à Poundou qui, depuis le mois d’août utilise le bio-digesteur pour éclairer sa boutique et faire la cuisine. Elle affirme qu’elle peut poursuivre son activité commerciale dans sa boutique jusqu’à des heures tardives. Cela lui permet d’avoir un avantage sur les autres boutiquiers du village.
L’éclairage produit par le biogaz améliore par ailleurs les conditions d’apprentissage des élèves. Nonsaba Bicaba, cultivateur à Sokongo affirme que depuis qu’il a acquis le bio-digesteur, dit, avoir constaté une amélioration en ce qui concerne son enfant en classe de 5e. Il indique que lorsque l’enfant revient des cours, il peut réviser ses leçons durant la nuit. Ce qui lui a permis d’améliorer son rang (de 26e à 9e) avec une moyenne de 13,5 sur 20. Et à Adjaratou Kafando en classe de 2nde, de louer elle aussi, les bienfaits de la technologie acquise depuis 2009. Elle fait ses exercices et apprend ses leçons désormais la nuit, une fois rentrée chez elle en zone non lotie de Dédougou.
A entendre Sambo Alain Diallo, la technologie assure parallèlement un revenu aux ménages. Un bio-digesteur de 6m3 peut produire, souligne-t-il, 60 tonnes de compost dans l’année. Il avoue : «Il y a des ménages qui ont réussi à créer des sources de revenus à partir de l’effluent parce qu’ils constituent leur compost et le revendent aux producteurs de bananes et aux maraîchers dans la Boucle du Mouhoun. C’est le cas de Assétou Kafando/ Koutou qui vend son effluent aux producteurs de bananes. Et chaque fois qu’elle vide le contenu de ses deux fosses fumières, ça fait un revenu de 35 000 F CFA». Le compost produit permet aux ménages d’éviter d’injecter de l’argent dans l’achat de l’engrais. Toute chose qui leur permet de faire des économies, tout en ayant la possibilité de faire une bonne récolte. Goundia Bicaba, un cultivateur, utilise le bio-digesteur depuis deux ans. Il a huit têtes de bœufs et dispose de deux bio-digesteurs dont un au village et l’autre dans son champ. Il affirme qu’il utilise le compost produit par son bio-digesteur comme fumier. «J’ai voulu faire une expérience en utilisant une partie du champ sur lequel j’ai versé le compost et lorsque j’ai semé, j’ai vu que ces semis grandissaient rapidement. J’ai constaté même que ce fumier rend plus fertile le sol. J’ai remarqué une différence entre les deux champs. La partie du champ où le compost a été utilisé avait bien produit», explique-t-il. M. Diallo atteste cela. Pour lui, l’utilisation d’un fertilisant naturel comme l’effluent transformé en compost grâce au bio-digesteur permet de préserver les sols. Car dévoile- t-il, l’utilisation de l’engrais chimique contribue à affaiblir les sols et quand il s’infiltre dans le sous-sol, il pollue les nappes souterraines.
Le coût, un frein au programme
Le bio-digesteur ne présente pas que des avantages. En effet, une des utilisatrices, Gnilassé Bicaba dans le village de Sokongo témoigne qu’il y a de cela 45 jours que les mèches de son appareil d’éclairage alimenté par le bio-digesteur sont finies et depuis lors, elle vit dans l’obscurité comme d’habitude. Elle ne sait pas où s’en procurer. Pour Fidèle Bicaba, un agriculteur vivant à Sokongo, ce sont les souris qui ont détruit le tuyau qui conduit le gaz du bassin vers l’ampoule. Pour ce qui concerne cette difficulté, M. Diallo rassure que tout est en train d’être mis en œuvre pour pallier le problème des pièces de rechanges. «Nous sommes dans un processus qui prend en compte un volet qui s’appelle développement du secteur privé. Dans ce cadre, nous avons identifié des acteurs qui peuvent être des fournisseurs permanents d’un certain nombre de matériels de construction afin qu’ils puissent assurer le service après-vente. Pour l’instant, nous avons mis en place des réseaux d’achat de petits matériels pour la plomberie, pour la construction des bio-digesteurs», déclare-t-il. Il affirme que le projet entend mettre en place une coopérative des maçons pour gérer les boutiques dans les différentes provinces. Ces boutiques seront qualifiées dans la vente du matériel qui entre dans le fonctionnement du bio-digesteur. «Mais pour le moment, ils vont commencer avec la ville de Dédougou et ensuite ces boutiques seront développées dans les communes où beaucoup de bio-digesteurs ont été réalisés», explique-t-il. L’autre difficulté réside dans le coût de réalisation. «Au début, le prix hors subvention était près de 600 000 F CFA, mais avec les améliorations que nous avons apportées, le prix est revenu à 400 000 F CFA». En effet, l’installation nécessite un réaménagement complet ou la construction d’une nouvelle cuisine engendrant des frais pour la famille. Comme conséquences, il y a des bio-digesteurs qui ne sont pas fonctionnels dans la commune de Bondokuy par exemple.
Conditions pour bénéficier d’un bio-digesteur
Pour bénéficier d’un bio-digesteur il faut qu’un certain nombre de conditions soient remplies. En effet, Sambo Alain Diallo du Programme national du bio digesteur, assure qu’il faut d’abord être un éleveur qui pratique une activité agricole, ou toute autre activité comme le maraîchage et autre. Selon lui, l’intéressé doit disposer de bétail de quatre à six têtes de bœufs ou sept à neuf porcs mis en stabulation. Au-delà de cela, il faut accepter mobiliser une contrepartie qui prend en compte l’achat du ciment, de quatre barres de fer de 8, de deux barres de fer de 6 et de deux rouleaux de fils de fer. M. Diallo souligne que le bénéficiaire doit également mobiliser les agrégats tels le sable, le gravier, les cailloux sauvages et trouver deux personnes pour servir de manœuvres pour aider le maçon. Le développement du biogaz domestique est une approche fédératrice des secteurs de l’environnement, de l’élevage, de l’agriculture et de l’énergie permettant aux bénéficiaires de disposer d’un outil de développement durable. Selon l’assistant technique au Programme national de bio-digesteur de la Boucle du Mouhoun, le projet intervenait au départ dans l’ensemble de la région de la Boucle du Mouhoun (les Balé, la Kossi, les Banwa, le Nayala et le Sourou). Mais depuis 2012, la gestion de la province des Balé revient à la direction provinciale des Ressources animales. Son adoption par les populations est freinée par les frais de construction dont doit s’acquitter chaque éventuel acquéreur de l’outil.
Wamini Micheline OUEDRAOGO