Ouagadougou - Dans sa dernière œuvre intitulée ‘‘Politiques environnementales : traditions et coutumes en Afrique noire’’, l’historien-sociologue Doti Bruno Sanou explique comment les traditions africaines et les coutumes peuvent contribuer à l’aménagement des forêts et à la gestion de l’environnement. Dans un entretien accordé à l’Agence d’Information du Burkina (AIB), le fondateur du Centre africain de recherche pour une pratique-culturelle du développement revient sur les contours de son huitième livre.
AGENCE D’INFORMATION DU BURKINA (AIB):Comment est née l’idée d’écriture de ‘‘Politiques environnementales : traditions et coutumes en Afrique noire’’ ?
Dr Doti Bruno SANOU (DBS) : A travers « Politiques environnementales : traditions et coutumes en Afrique noire », je montre comment les traditions et les coutumes africaines peuvent contribuer, aujourd’hui encore, à l’aménagement des forêts et à la gestion de l’environnement.
Je suis parti d’un exemple bien précis. Il s’agit d’une étude que j’avais réalisée pour le projet BKF012 qui avait pour mission l’aménagement des forêts classées de Dinderresso et du Kou (Ouest) encore appelée forêt de la Guinguette.
J’ai fait trois études pour le projet et par la suite, j’ai étendu l’expérience sur d’autres cultures africaines, notamment guinéenne, malienne et ivoirienne mais aussi au niveau de l’Afrique centrale.
Dans un contexte de réchauffement climatique, ces études m’ont permis de proposer une méthode d’aménagement des forêts pour la sauvegarde de l’environnement dans les pays Africains.
Et ce, parce que, l’Afrique est un puits de carbone important pour le monde entier. Si l’on saccage les forêts africaines, c’est le monde entier qui perdra.
(AIB) : Quelles sont les principales articulations de votre œuvre ?
DBS :La démarche que j’ai adoptée, a consisté dans un premier temps à éclairer les concepts tradition, coutume et culture.
On a souvent l’habitude de confondre tradition et coutume. Ce qui fait que nous n’arrivons pas à les mettre à profit.La tradition est différente de la coutume tout comme la coutume est différente de la culture.
Je démontre que la tradition est de l’ordre de la pensée, de la matrice, elle est bonne pour tout le monde.La coutume est la modalité de mise en œuvre de la pensée, c’est-à-dire de la tradition.
Et la culture, quant à elle, permet en permanence d’adapter les coutumes à leur époque. Je me suis beaucoup inspiré de la tradition et des coutumes Bobo Mandarè (Ouest) en matière de gestion des forêts, puisque je pars de l’exemple des forêts de Dinderresso et de Kou.
J’ai ensuite montré des exemples venant d’ailleurs et comment la colonisation, surtout française avait mis en péril pratiquement les coutumes africaines dans la gestion des terres, des forêts et de l’environnement en général.
La colonisation britannique quant à elle, a respecté un peu plus les traditions et les coutumes africaines.J’évoque aussi l’impact de la gestion coloniale sur les communautés africaines notamment dans les pays francophones.
J’ai essayé de comprendre les méthodes pratiquées pendant la colonisation pour le classement des forêts de Dinderresso et du Kou au niveau de Bobo-Dioulasso et comment l’Etat a continué, après les indépendances, la gestion à la suite de l’administration coloniale.
La troisième partie de l’œuvre fait cas des instruments qui sont mis en place au niveau du monde entier pour permettre à chaque communauté de mettre à profit ses traditions et coutumes.
Au niveau du PNUD, de l’UNESCO et de l’Union Africaine, il y a des instruments qui permettent aux communautés de mettre en œuvre leurs savoirs, savoir-faire et savoir-être afin que l’environnement soit protégé. Malheureusement, bien souvent, les législateurs ne tiennent pas compte de ces instruments.
On sent un impérialisme culturel même au niveau des intellectuels africains qui fait que les gens sont blessés dans la gestion de leur propre environnement.
Dans la dernière partie, je propose une méthode pour la prise en compte des traditions et coutumes à partir du moment qu’ils existent. Il ne s’agit pas de transposer dans le monde d’aujourd’hui des coutumes dépassées mais plutôt de les dépoussiérer.
Nous devons repartir vers les populations dans les villages à travers une démarche bien définie pour comprendre les coutumes et leur mise en œuvre.
‘‘Nous pouvons actualiser nos coutumes afin de participer à l’universel au lieu de copier celle des autres’’
Il y a des raisons de pratiquer ces démarches parce qu’elles permettront même aux enfants qui sont à l’école primaire dans ces villages de tenir compte des coutumes et traditions mais aussi dans le futur de s’engager à les actualiser. Rien ne sert de copier les coutumes actualisées des autres, si nous pouvons actualiser les nôtres afin de participer à l’universel.
(AIB) : Pourquoi l’œuvre n'est-elle pas encore disponible en Afrique et notamment au Burkina Faso ?DBS :L’œuvre n’est pas encore sur le marché Burkinabè. Elle est beaucoup plus vendue en Europe et en Amérique, notamment au Canada. Elle coûte très cher et j’essaie de trouver les moyens
pour commander un certain nombre d’exemplaires pour qu’ici, on puisse le vendre
à prix d’auteur.
Je ne sais pas si dans d'autres librairies d'Afrique l’œuvre est disponible. En tout cas au Burkina Faso, je ne l'ai pas encore trouvée. C'est l'éditeur qui gère la vente puisque c'est une édition à titre d'éditeur.
(AIB) : Dans quelles conditions avez-vous réalisé votre œuvre ?
DBS :C’est de la recherche, c’est du temps, de la discipline personnelle plutôt que de l’argent. Ce sont les contraintes et je ne demande jamais de l’argent pour faire mes recherches. Je fais appel pour la publication. Pour la présente publication, je n’ai pas eu d’appui financier et c’est pour cela qu’elle s’est faite à prix d’éditeur qui coûte cher, soit 26 Euro (près de 17 000 FCFA). Je suis à ma huitième œuvre et je suis en train de préparer d’autres.
(AIB) : Pourquoi la plupart de vos œuvres tournent-elles autour de la culture, de l’environnement et du développement ?
DBS :C’est parce que sans la culture, il n’y a pas de développement.Le développement est un processus historique qui est produit de la culture et il faut en tenir compte sinon il n’y a pas de développement.
‘‘Le développement est une question de connaissance de soi et de projection de soi dans le futur’’
Le développement est de l’ordre de la pensée, il s’agit de pouvoir se projeter dans le futur en partant des acquis du passé. C’est pour cela que le développement est un idéal qu’on n’atteint jamais. Aucun pays n’est développé dans ce monde.
Le développement n’est pas une question de rattrapage de l’Occident. Le développement est une question de connaissance de soi et de projection de soi dans le futur. C’est dans ces conditions de projection que l’on crée pour apporter des réponses aux questions que l’on se pose aujourd’hui.
Le développement n’est pas forcement lié aux statistiques et indicateurs au tableau des institutions internationales. Le développement est tout à fait autre chose, il s’agit d’amener les gens à réfléchir et à s’engager dans un processus de transformation sociale de qualité.
Je dis très souvent, à mes collègues historiens que c’est parce que nous n’accomplissons pas notre devoir d’historien que le processus de développement qui est un processus historique patine dans nos pays africains tout comme le processus patine dans le monde entier aujourd’hui.
Nous sommes dans une crise de civilisation très poussée et il faut que les historiens posent des repères afin qu’on retrouve le véritable processus historique que ce soit en matière de développement ou que ce soit en matière de politique.
C’est tout un processus qu’il faut engager. Le processus qui touche à sa fin aujourd’hui a été initié et mise en œuvre par les moines à partir du huitième siècle et aujourd’hui ce processus est au soir de sa course. Aujourd’hui, il faut envisager un nouveau souffle pour rendre plus dynamique le processus pour les générations à venir.
L’organisation de funérailles en pays Bobo est incontournable. Comment adapter ces pratiques culturelles avec leurs lots de débordements dans une grande ville moderne comme Bobo-Dioulasso?
Pour l'adaptation des cérémonies des grandes funérailles dans les village (Dioulasso-Bâ, Tounouma, Kuinima) de la ville de Bobo-Dioulasso, je crois qu'il faut une véritable réflexion. Il s'agit de gérer les masques, or les funérailles ne sont pas uniquement une question de masques. Les vrais rites se déroulent toujours normalement et conservent leur caractère discret et sacré. Pour ce qui concerne les masques, je crois qu'il faut une collaboration entre les responsables coutumiers et les autorités communales pour limiter leur profanation par des individus malintentionnés.
Agence d’Information du Burkina
Interview réalisée par
Wurotèda Ibrahima SANOU
www.sanou31@hotmail.fr