Partira, partira pas. Finalement, le film « Timbuktu » du réalisateur franco-mauritanien Abderrahmane Sissako est parti à la 24e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. Il a été projeté hier 5 mars dans une salle de ciné Burkina qui a refusé du monde. Quelles sont les dispositifs sécuritaires qui ont été mises en place pour permettre aux cinéphiles de suivre en toute quiétude le film ? Quelle a été l’ambiance qui a régné au dehors et à l’intérieur de la salle ? Comment le film a été accueilli par les cinéphiles ? Embarquons pour Timbuktu ou du moins pour le ciné Burkina.
« Avec les risques d’attentats qui ont été révélés sur la projection de ce film, je voudrais bien aller suivre le film mais je préfère rester chez moi » nous disait un de nos confrères. Tout comme lui, ils étaient nombreux ces cinéphiles qui avaient peur de ce qui adviendra le jour de la projection du film Timbuktu. Si certains ont préféré rester à la maison pour éviter un éventuel attentat, d’autres n’ont pour rien au monde, voulu rater de suivre en exclusivité ce film qui a fait tant de bruits. 18h30 ; c’est l’heure à laquelle le film devait être projeté au ciné Burkina après le film « Cellule 512 » du réalisateur burkinabè Missa Hébié. Sachant que la salle de ciné refusera du monde, presque tous les festivaliers ont pris d’assaut le ciné Burkina aux environs de 15h avec pour stratégie de suivre le film de Missa Hébié et resté sur leur place pour suivre « Timbuktu ».
Et comme il fallait s’y attendre, une très grande disposition sécuritaire a été mise en place tout comme dans toutes les salles de ciné depuis le début de l’édition 2015 du FESPACO. Les sacs sont minutieusement fouillés et les festivaliers doivent nécessairement passés sous le scanner pour avoir accès à la salle. A 15h30 déjà la salle était pleine. « Il n y a plus de places, ne laissez plus les gens rentrer » a lancé un des membres de sécurité. « Nous sommes les plus chanceux. J’étais obligé de venir à 14h pour avoir la place » nous a confié tout joyeux notre voisin. Contrairement à lui, ils étaient nombreux ceux- là qui n’ont pas pu avoir accès à la salle. Ces derniers se sont mis juste à côté pour espérer voir certaines personnes sortir après le premier film pour tenter leur chance.
Leur surprise était grande lorsque juste après le film de Missa Hébié qui a été bien apprécié par les cinéphiles, ceux qui étaient à l’intérieur n’ont même pas bougé d’un iota. « Ceux qui veulent sortir peuvent le faire par les portes de devant, ceux qui ne le veulent pas peuvent rester sur place pour qu’on fasse le contrôle » a laissé entendre l’animateur. « Qui est fou, personne ne veut sortir si ce n’est à la fin de Timbuktu » a rétorqué notre voisin qui nous confie qu’il a un peu peur. « Avec tout ce qui s’est dit sur ce film, je me fais le droit d’avoir peur mais je pense que ça va aller » a dit Alexie Ilboudo. « Moi j’ai peur mais je tiens à regarder le film, advienne que pourra » a ajouté Moussa Gorgo.
L’émotion était grande
Dans la salle, on apprend la présence d’éléments du régiment de sécurité présidentielle qui se sont mis en civile pour se mêler au public afin de bien jouer leur rôle. Pendant ce temps, une grande foule patiente désespérément dehors. On apprend d’un homme de sécurité que les festivaliers qui sont hors de la salle valent le triple de ceux qui sont dans la salle. A un moment donné, le public se met à applaudir à tout rompre. Les photographes et caméramen accourent vers la porte d’entrée. « Qu’est ce qui se passe ? » se demandaient les uns les autres. « C’est Abderrhamane Sissako qui est là » a répondu l’homme de sécurité. Tous les regards se tournent donc vers l’homme le plus attendu à cette 24e édition du FESPACO. Vêtu d’un boubou blanc avec des lunettes, le réalisateur entre dans la salle accompagné d’une partie de son équipe.
Prenant la parole, il a remercié le gouvernement burkinabè qui a permis la diffusion du film, tous les réalisateurs africains pour leur soutien ainsi que les festivaliers pour être venus nombreux. « Si le film, n’avait pas été projeté je serai très triste. Mais ce soir je suis l’homme le plus heureux. Merci au président Kafando. C’est le Burkina qui gagne, c’est le cinéma africain qui gagne ce soir » s’est réjoui le réalisateur avant de donner 3 coups de bâton à un tam-tam pour donner le top départ de la projection du film. La salle qui était toute bruyante se tait. Silence totale. On embarque pour Timbuctu. Place est faite à l’émotion qui était très grande. On soupir et on crie pour telle ou telle action, on rit et on applaudit pour telle ou telle autre, on verse même des larmes pour certaines actions. C’est dans cette atmosphère que les cinéphiles ont suivi tout le film avant de faire un ban bien nourri à la fin. « Boof, je m’attendais à mieux que cela. C’est un bon film mais avec tout ce qui s’est dit je m’attendais à quelque chose de plus extraordinaire » a affirmé notre voisin. « Ce film est vieux parce qu’il a été projeté en France et a même remporté plusieurs prix. Je préfère qu’on donne la chance à d’autres réalisateurs pour l’Etalon d’or de Yennega » a souhaité Moussa. « Comme ça on a eu peur pour rien » s’est exclamé l’homme de sécurité. Ceux qui n’ont pas pu regarder le film peuvent aller aujourd’hui tenter leur chance car le film repasse dans la soirée.
Yannick SANKARA