Ouagadougou,Des centaines de personnes patientaient depuis des heures à Ouagadougou pour voir "Timbuktu", film vedette qui décrit la vie dans le nord du Mali sous le règne des jihadistes, projeté jeudi soir
au Fespaco, festival sous haute protection.
"J’ai laissé mon travail à 15H00 pour voir +Timbuktu+. Je voulais féliciter le réalisateur pour son courage. Mais je ne vais pas le voir", se désespère Bernadette Boly, défaitiste malgré trois tickets dans les mains.
Derrière elle, Fadel Lô, un journaliste sénégalais, soupire : "Si je ne vois pas ce film, ma rédaction va me tuer". Une trentaine de policiers sont présents à proximité, sous un soleil brûlant.
Patrouilles aux abords de la manifestation, fouille minutieuse des
spectateurs, portiques détectant les métaux : le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), pour sa 24e édition, est encadré par un dispositif de sécurité inédit.
"Il y a pas mal de problèmes sécuritaires qui se posent" autour de
"Timbuktu", déclarait le ministre de la Culture Jean-Claude Dioma le jeudi 26 février, deux jours avant l’ouverture du festival, l’un des principaux consacrés au cinéma africain.
Le gouvernement avait envisagé de retirer le film aux 7 Césars (l’équivalent français des Oscars américains) de la programmation, même s’il n’avait reçu aucune "menace sur le Burkina", pays du Sahel voisin du Mali, à cause de cete oeuvre.
Le tollé causé par ces hésitations, assorti d’un "renforcement" de la sécurité, a finalement convaincu les autorités. Le réalisateur du film, le Mauritanien Abderrahmane Sissako, s’était dit "consterné" par la perspective d’un retrait de son film.
"Quelque chose qui pourrait m’inciter à aller avec vous dans les salles de cinéma ces jours-ci, c’est si vous me promettez que vous allez diffuser le film +Timbuktu+", avait déclaré le président burkinabé Michel Kafando, lui apportant son soutien en pleine polémique.
La présence du chef de l’Etat n’avait pas encore été confirmée pour la projection, qui se tiendra jeudi à 18H30 (locales et GMT) au ciné Burkina, l’une des plus vieilles salles de la capitale, aux quelques centaines de sièges.
Abderrahmane Sissako est depuis mercredi soir à Ouagadougou, selon les organisateurs.
- ’Barbarie’ -
"Timbuktu" raconte la vie quotidienne dans le nord du Mali sous la coupe des jihadistes qui l’ont contrôlé plusieurs mois entre 2012 et 2013.
A Bamako, où il a été projeté une fois, le film n’a pas fait l’unanimité, certains lui reprochant d’édulcorer la réalité.
"Les jihadistes-terroristes ont coupé des mains et des femmes ont été violées. C’était la barbarie. On ne voit pas ça clairement dans le film", avait déclaré mi-février à l’AFP un enseignant de Tombouctou.
Faute de pouvoir le voir chez lui, Moustaph Touré, boubou bleu et toque blanche, affirme être arrivé mercredi à Ouagadougou en provenance de Tombouctou, à plus de 500 km au nord, "dans l’intention de voir +Timbuktu+".
La fiction, qui avait été sélectionnée aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger, a été l’objet d’une polémique en France. Le statut d’Abderrahmane Sissako, conseiller culturel du président Mohamed Ould Abdel Aziz, y a été vivement critiqué.
Fondé en 1969, le Fespaco se tient tous les deux ans au Burkina Faso, pays pauvre dont il constitue la carte de visite à l’international.
L’édition 2015 est la première depuis la chute du président Blaise Compaoré en octobre dernier à la suite d’une révolte populaire.
Manifestation où le public se mêle aux réalisateurs, comédiens et
acheteurs, le Fespaco se conclura samedi quand l’Etalon d’or de Yennenga, la distinction la plus prestigieuse, sera décerné à l’un des 19 films en compétition.
"Il y a des films sur la guerre, sur les problèmes religieux,
politiques...", souligne Ardiouma Soma, son délégué général. Pour lui, le Fespaco est "une photographie de la situation de l’Afrique au cours de ces deux dernières années".
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