Pour la première fois dans son histoire sera décerné au Fespaco un prix Thomas-Sankara pour « célébrer la créativité et l’espérance panafricaines incarnées » par l’ancien président du Burkina Faso. En plus, deux films de cette 24e édition rendent hommage au révolutionnaire burkinabè assassiné en 1987 et longtemps banni des écrans pendant le règne du président chassé Blaise Compaoré : « Twaaga », remarquable court métrage du Burkinabè Cédric Ido (écouter l’interview en bas de l’article), et le documentaire « Capitaine Thomas Sankara » du Suisse et Burkinabè d’adoption Christophe Cupelin, refusé par le Fespaco en 2013 et aujourd’hui programmé et acclamé par les Burkinabè venus en nombre pour la projection. Entretien.
RFI : Grâce au Fespaco 2015, votre documentaire Capitaine Thomas Sankara a été pour la première fois projeté au Burkina Faso et le public burkinabè a très fortement réagi. La séance s’est presque transformée en manifestation pro-Sankara. Est-ce que c’était attendu ?
Christophe Cupelin : Parmi plusieurs scénarios que j’avais imaginés, il y avait celui-là. Il s’est réalisé et j’en suis très heureux. Ce film appartient aujourd’hui aux Burkinabè.
Quels sont vos sentiments après avoir présenté un film sur Thomas Sankara au Burkina Faso après la révolution d’octobre 2014 ?
Cela semblait impossible de passer ce film au Burkina Faso. Le film existe depuis 2012, donc ce n’était pas possible de présenter le film officiellement et publiquement avant les évènements d’octobre 2014. Aujourd’hui, c’est possible.
Quand est-ce que le Fespaco a donné le feu vert pour programmer le film ?
C’était après la révolution.
Comment un Suisse se lance de réaliser un film ou peut-être le film sur Thomas Sankara ?
Je suis Suisse de nationalité, mais je suis Burkinabè de cœur. Je viens ici depuis 30 ans. Pour moi, ce film n’est pas un travail, c’est quelque chose que je devais faire. C’était une nécessité. Mon problème était de trouver une légitimité à mon travail. Donc j’essaie d’exprimer cela. J’étais aussi présent pendant la révolution, c’est le point de départ.
Le film montre un Thomas Sankara comme un président à trois guitares et mille idées. Quelle image avez-vous voulu montrer de Thomas Sankara dans le film ?
Thomas Sankara est un personnage très riche, il a plusieurs facettes : c’est un chef d’État, un capitaine et à ses heures perdues un guitariste. Ce sont toutes ces facettes qui m’intéressaient.
Pourquoi votre film est-il presque exclusivement composé d’images d’archives...
En fait, c’est par défaut. Au départ, je voulais faire un documentaire classique, c’est-à-dire venir au Burkina, recueillir des témoignages, etc., mais je n’ai pas trouvé de financements en Europe. Donc j’ai décidé de faire quand même un travail, malgré tout. Je possédais quelques archives que j’ai essayé de sauver de la destruction. J’ai également trouvé des archives institutionnelles à la télévision suisse et à l’Institut national de l’audiovisuel à Paris, en France. Je me suis dit : Christophe, débrouille-toi, fais un film sur les archives. Je ne savais même pas si c’était possible. C’est pourquoi le montage a pris beaucoup de temps, environ deux ans. Un jour, le film est sorti dans un festival en Suisse, la Télévision du réel, c’était la première mondiale. Depuis c’est parti, le film vit sa vie.
Ce qui frappe dans le film, c’est aussi la modernité du discours et des idées de Thomas Sankara sur l’émancipation des femmes, l’écologie, l’éducation… Pour vous, Sankara est-il toujours d’actualité dans le Burkina Faso d’aujourd’hui ?
Pour moi, Sankara était en avance sur son temps et 27 ans après sa mort, il est toujours en avance sur son temps. On essaie de le rattraper. Les paroles de Sankara concernent d’abord évidemment le Burkina, mais cela concerne aussi les autres parties du monde. Moi, je me concerne comme un enfant de Sankara, parce qu’il avait dit un jour : il faut que le peuple burkinabè rencontre les autres peuples. Je me suis lié d’amitié avec des Burkinabè ici et nous avons réalisé un des rêves de Sankara.
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