Elle l’avait promis, elle l’a fait ; la Procureure de la très redoutée CPI, aux premiers moments de la destruction des sites historiques et monuments par les djihadistes, avait proféré la menace : à présent elle la met à exécution ; en effet, Fatou Bensouda, dans un communiqué paru mercredi 16 janvier 2013, s’exprime en ces termes : «Divers groupes armés ont semé la terreur et infligé des souffrances à la population (malienne) par tout un éventail d’actes d’une extrême violence à tous les stades du conflit» ; et de poursuivre dans la foulée : «Je suis parvenue à la conclusion que certains de ces actes de brutalité et de destruction pourraient constituer des crimes de guerre au regard du statut de Rome».
Le processus est donc lancé, et ouvre de fait une enquête sur des crimes de guerre au Mali. Pareille initiative mérite sans doute d’être saluée : lorsqu’on se rappelle les actes iconoclastes auxquels se sont livrés les groupuscules militaro-religieux dans certaines régions maliennes, lorsqu’on revoit certaines scènes humiliantes de flagellation en public et celles d’atroces amputations de bras et de pieds, on ne peut que donner raison à la procureure, qui ambitionne de traduire les coupables d’actes si odieux devant la juridiction internationale pour qu’ils répondent de leurs forfaits.
Cependant, la sagesse commande de reconnaître que la faisabilité de ce qu’elle projette demeure hypothétique. Car, à supposer que la mesure concerne les deux camps (l’armée malienne et les groupuscules armés du nord), - il est difficile de le prendre autrement - il existe un risque élevé que les combattants alpagués ne proviennent que d’un camp. Les djihadistes du Nord ne sont inscrits à aucun bataillon , ne figurent sur la liste d’aucun régiment ; mouvants et fuyants comme les sables sur lesquels ils se sentent à l’aise aussi bien pour se déplacer que pour se camoufler, on se demande bien quelle stratégie la Procureure de la CPI devra mettre en œuvre pour leur mettre le grappin dessus.
Quant aux mesures d’accompagnement, qui, en pareille circonstance, sont mises en branle avec les investigations de l’instance internationale, il se peut que ces hommes n’en aient cure : le blocage des comptes bancaires à l’étranger ainsi que l’interdiction de voyager constituent le cadet de leurs soucis ; la masse d’argent qu’ils brassent n’est pas thésaurisée dans quelque coffre-fort européen ou américain, et ils se passent volontiers d’aller faire du tourisme dans des pays dont ils disent qu’ils sont dirigés par des suppôts de Satan.
Alors ? A supposer que les investigations de la CPI aboutissent, elles risquent de prendre dans la nasse ceux parmi les militaires maliens qui auront eu le malheur de s’adonner à des pratiques peu recommandables ; puisque eux, on saura dans quel camp ils servaient, à quels régiment et bataillon ils appartenaient. Ce sera sans doute déjà ça de gagné, car un crime de guerre demeure un crime de guerre, peu importe celui qui l’a perpétré. Mais tout de même, demeurera comme une impression d’insatisfaction quelque part, à l’idée que l’on aura attrapé du petit poisson tandis que de vrais requins de guerre s’en seront tirés à bon compte.
Quelque chose cependant peut contredire ce pessimisme : l’issue de la guerre au Mali. Car, à la fin de l’offensive terrestre, dont on pense qu’elle sera d’envergure, il se pourrait qu’il n’y ait plus de coupeurs de mains ni de destructeurs de mausolées dont le scalp soit recherché par la Procureure Bensouda. Ce serait alors pour elle mission accomplie sans coup férir. Mais cela, on ne pourra l’affirmer qu’à la fin des hostilités. Entre-temps, il faudra s’armer de patience et, sans doute aussi, croiser les doigts.