Du Français Dominique Strauss-Kahn au Malaisien Anwar Ibrahim, on ne compte plus les responsables politiques dont les moeurs débridées, ou supposées telles, ont brisé la carrière. Pourquoi, à l'inverse, les frasques des dirigeants africains ne les conduisent-elles (presque) jamais devant les tribunaux ?
Le mois de la Saint-Valentin a viré au cauchemar pour deux des hommes politiques les plus brillants de leur génération - promis l'un et l'autre à un destin national. Le 10 février, Anwar Ibrahim, 67 ans, que l'hebdomadaire The Economist avait élu en 2009 personnalité "la plus extraordinaire d'Asie du Sud", a été condamné à cinq ans de prison par un tribunal de Kuala Lumpur, en Malaisie. Motif : sodomie.
Dans un pays qui compte 60 % de musulmans et où l'accusation de pratiques sexuelles "délictueuses" est une stratégie commode pour abattre un adversaire politique, l'emprisonnement de cet ex-vice-Premier ministre pour une obscure affaire de moeurs reposant avant tout sur la rumeur brise définitivement son destin politique. Pendant des mois, sa sexualité, celle de son épouse et de ses collaborateurs ont été étalées à la truelle à la une des journaux : qui peut se remettre d'un tel lynchage ?
Au même moment, Dominique Strauss-Kahn, 65 ans, ministre puis directeur général du FMI engagé, jusqu'à sa rencontre fortuite, en 2011, avec une femme de chambre du Sofitel de New York, sur la voie royale qui mène à l'Élysée, assistait, la mine lasse, au déballage de ses partouzes "libertines" dans une salle du tribunal de Lille. Son avenir politique étant déjà derrière lui, ce n'était pas la prison qui attendait l'homme jadis trop occupé à "sauver la planète" pour faire la distinction entre une escort-girl et une fille de joie, mais le fond du déshonneur, sous l'oeil égrillard des médias.
Faire défiler dans son lit les épouses de ses ministres, tenues de délivrer sur l'oreiller les petits secrets de leurs époux...
Vu d'Afrique, où ce type de feuilleton est suivi avec passion et amusement - de l'affaire Monica Lewinsky au scooter de François Hollande, le spectacle du pays des Blancs est sans cesse renouvelé -, nul n'imagine encore qu'il puisse être transplanté au coeur de la forêt tropicale. Sexe, mensonge, pouvoir : la trilogie infernale a toujours fait partie du paysage politique africain, sans drame ni exposition médiatique.
Certes, l'époque des grands prédateurs de femmes, pour qui l'activité sexuelle était un attribut essentiel de l'exercice d'une autorité souvent dictatoriale, est révolue. Plus personne sur le continent ne se comporte comme un Kadhafi, un Mobutu, un Bongo, un Eyadéma, un Kenyatta ou même un Houphouët-Boigny, pour qui un vrai chef ne pouvait qu'exercer une activité sexuelle multiple et dominatrice.
Faire défiler dans son lit les épouses de ses ministres, tenues de délivrer sur l'oreiller les petits secrets de leurs époux ; repérer ses proies d'un oeil de lynx lors des meetings ou des cérémonies officielles, puis glisser un mot à l'oreille de l'un de ses "porte-sacs" pour faire venir l'élue ; élaborer des filières d'importation de Marocaines ou de Bulgares jusqu'au fond de l'alcôve présidentielle ; multiplier les rabatteurs et les "nominations canapé" ; s'offrir même, ainsi que le fit le défunt dictateur libyen, les femmes de ses pairs chefs d'État comme on collectionne les trophées ; tout cela fait partie du passé.
Réputés exemplaires en matière de fidélité conjugale et de rectitude morale, un Senghor, un Diouf, un Nyerere, un Ahidjo ou un Ould Daddah faisaient alors figures d'anomalies. Depuis, le grand vent des démocratisations, l'apparition des réseaux sociaux et le règne du voyeurisme mondialisé ont rendu bien plus complexe la sexualisation des rapports de pouvoir en tant que procédure de valorisation des détenteurs de l'autorité.
Seul un Jacob Zuma se permet de revendiquer la polygamie et la puissance sexuelle au nom de la spécificité culturelle zouloue, au point de faire de cet affichage l'un des éléments d'une réaffirmation de la fierté et de l'indépendance africaines, au même titre que le combat contre la "justice des Blancs", incarnée par la Cour pénale internationale, ou que le partenariat avec la Chine.
Paul Kagamé, Alassane Ouattara et Paul Biya, les fidèles
Mais cette normalisation de la vie intime des chefs, teintée, en Afrique comme ailleurs, d'une bonne dose d'hypocrisie, ne signifie pas que la majorité d'entre eux soient entrés au séminaire - loin de là. Rares sont les présidents africains sur lesquels ne court aucune rumeur de ce type, vraie ou fausse. Paul Kagamé, Alassane Ouattara et Paul Biya font partie de ce petit lot de "fidèles" chez qui on chercherait en vain la trace d'une frasque ou d'un coup de canif dans le contrat.
Un peu partout, mais avant tout en Afrique centrale, la politique est affaire de pulsions et de passions au point qu'un ministre, un élu du peuple ou un haut fonctionnaire fidèles en ménage sont une incongruité presque suspecte. "Même sous les bombes, cela ne les empêchait pas de chasser et de coucher", sourit une observatrice amusée des moeurs de la classe politique des deux Congos.
Reste que la "bureaugamie" assumée, arrogante et ostentatoire n'a plus cours, surtout en Afrique anglophone de tradition protestante. Les ravages du sida et les discours moralisateurs des Églises du réveil sur le thème du "fléau de Dieu" s'abattant sur une élite réputée fornicatrice n'ont pas peu contribué à culpabiliser le vagabondage sexuel. S'il persiste, c'est sous une forme discrète.
On imagine mal aujourd'hui un chef d'État attirant dans sa chambre, pieds nus et en bermuda, une collaboratrice de J.A. pour la demander en mariage, à l'instar de ce qu'osa, une nuit de 2009, l'ubuesque capitaine guinéen Dadis Camara. Ou lui ouvrir la porte de sa suite d'hôtel lors d'une visite officielle au Japon, le peignoir défait et l'oeil canaille, tel cet ancien président du Ghana connu pour sa piété et son attirance pour les peaux caramel.
Des Blancs qui, descendus d'avion, déboutonnent leur col
Imaginer un haut responsable politique ou financier se faire attraper les doigts dans le pot de confiture d'un palace africain, comme DSK à New York, reste pourtant très improbable. Il y a quelques années, le PDG d'un grand groupe pétrolier français fut filmé en galantes compagnies dans sa chambre à Yaoundé, au Cameroun. Le commissaire de police qui avait procédé au tournage clandestin entreprit alors de le faire chanter, et il fallut que le patron en question, toute honte bue, signale le fait à la présidence pour que cesse la machination.
Qui a entendu parler des soirées abidjanaises ou des virées équatoriales en jet privé de DSK - toujours lui ?
Mais nul n'en sut rien à Paris. Ils en ont tant vu, les Africains, de ces Blancs qui, à peine descendus de l'avion, déboutonnent leur col et se laissent aller à leurs pulsions dans la moiteur tropicale ! Depuis ce chef d'État, grand par la taille plus que par le mérite, ébaubi devant "les fesses vermeilles" d'une impératrice de circonstance ; jusqu'à ce rejeton présidentiel dont se souviennent nombre de professionnelles de Lomé ou de Douala, avec leurs bouches rouges et leurs yeux brillants relevés d'un mauve violent ; en passant par ces ministres que leurs collaborateurs avaient bien du mal à calmer quand s'agitaient sous leurs yeux des grappes de jeunes danseuses.
Chaque fois, ils se sont tus et les médias n'en ont soufflé mot : qui a entendu parler des soirées abidjanaises ou des virées équatoriales en jet privé de DSK - toujours lui ? Ou, dans les années 1990, des incartades tarifées de cet ancien ministre socialiste de la Coopération réputé mauvais payeur au point que les prostituées camerounaises dont il avait requis les services en firent tout un scandale dans le hall de son hôtel, sous l'oeil de clients ébahis ? Personne.
Et que dire de ces hauts fonctionnaires du ministère canadien de la Santé venus à Kinshasa pour une conférence sur la prévention du sida et que l'auteur de ces lignes surprit alors qu'ils s'engouffraient dans les ascenseurs de l'hôtel Memling au bras de jeunes filles dont certaines avaient à peine 16 ans ?
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