La guerre contre les djihadistes du Nord-Mali est en train de basculer dans une autre phase, sans doute la plus décisive mais aussi la plus éprouvante. Après les bombardements aériens de l’armée de l’air française qui ont permis de repousser les combattants islamistes et de détruire certaines de leurs positions, le déploiement de militaires français au sol, aux côtés de soldats maliens, annonce une autre tournure des affrontements. Le risque est certes plus grand pour les forces françaises qui étaient jusque-là moins exposées. Mais elles n’avaient pas le choix. Les islamistes s’étant mêlés aux populations en squattant les agglomérations, les frappes aériennes se révèlent difficiles.
Il fallait nécessairement des troupes au sol pour mener un assaut qui atteindrait mieux les cibles tout en limitant autant que possible le nombre de victimes innocentes. La France n’avait d’autant plus le choix qu’en plus de l’incapacité des forces maliennes à faire le poids devant l’ennemi, les unités africaines, qui étaient du reste censées assurer le combat terrestre, tardent à se mettre en place. Leur déploiement ne semble d’ailleurs pas non plus imminent, au regard du temps dont ils ont besoin pour se préparer en se formant, en s’organisant et en coordonnant leurs plans. C’est sans doute convaincu du temps considérable que cela prendra que l’Hexagone, dans sa logique pragmatique, n’a pas hésité à poursuivre son action en vue de ne laisser aucun répit aux combattants illégaux.
Les autorités françaises sont sans doute aussi galvanisées par le succès de la première phase de l’opération Serval, et surtout par le soutien quasi unanime de leurs pairs occidentaux. Toutefois, pour une réussite totale de cette guerre contre l’occupation illégale, l’extrémisme religieux, le terrorisme et le narcotrafic dans le Sahel, il ne faudra pas que ceux-ci commettent la grave erreur de laisser la France tout seule au front. Les Etats-Unis surtout qui ont une instructive expérience de la lutte contre le terrorisme en savent bien quelque chose et doivent comprendre plus aisément qu’il faut bien plus qu’un seul Etat pour affronter ce redoutable adversaire. Les autres puissances mondiales doivent jouer juste et à temps leurs partitions pour éviter de prendre le risque de voir la situation échapper à la France, s’enliser et créer un autre bourbier terroriste en Afrique. Le chef de l’Etat français a consenti un sacrifice louable, changeant même son caractère apparent, au point d’obliger ses compatriotes à revoir les qualificatifs de « mou » et de « trop doux » qu’ils lui collaient. En s’engageant militairement au Mali sans même demander l’aval du parlement, urgence oblige, François Hollande joue sa popularité et même sa réélection en cas d’échec et de pertes en vie humaine. Car, en cas de débâcle, il sera tenu pour seul responsable pour avoir osé jouir, comme rares le font, d’une de ses prérogatives en tant que président de la république. Pour prouver donc qu’elles ont réellement pris la vraie mesure du conflit malien et qu’elles sont sincères dans leur démarche de soutien politique, logistique et matériel à la France, comme elles le laissent croire, les autres puissances mondiales doivent revoir à la hausse leur implication dans le dossier malien. Puisqu’en réalité, l’invasion islamiste du Mali est une affaire mondiale dans la mesure où la conquête du Sahel, dans le plan des « fous de Dieu », n’est qu’une étape, cette localité devant servir de base pour l’expansion de leur emprise sur toute la planète. La présence d’otages français peut peut-être justifier le rôle de meneur que joue la France dans ce conflit, sans pour autant être un argument suffisant pour que ce pays fasse cavalier seul malgré lui dans cette périlleuse aventure.
Plus que les coûts matériels, les charges humaines et financières de la traque des djihadistes et de leurs alliés terroristes doivent être partagées par toutes les nations, avec une plus grande part des plus riches. Ce qui suggère que les pays africains qui sont les premiers concernés par cette assistance à leur frère malien, ne doivent point être en reste. Au contraire, ils doivent saisir l’opportunité qui leur a été offerte par la France en ouvrant le front, pour se racheter d’avoir trop traîné les pas au point de se faire ravir la vedette par un pays étranger au continent. Le pays du général De Gaulle a peut-être l’avantage d’avoir des moyens conséquents et l’une des armées les plus puissantes au monde. Contrairement aux pays africains qui, en plus de leurs carences matérielles et techniques, doivent former leurs forces et mobiliser des troupes de plusieurs armées différentes. Ce qui ne manquera pas de nécessiter plus de temps. Force est cependant de reconnaître que si la France a pu réagir avec autant de promptitude et de succès, c’est avant tout parce qu’elle a su faire preuve de gestion anticipée de la situation. Même en encourageant et en privilégiant le dialogue avec les groupes illégaux disposés à négocier, le gouvernement français préparait ses forces. C’est cela aussi gouverner, une vue prospective, une longueur d’avance sur les événements. Depuis l’avènement du coup d’Etat du capitaine Sanogo en mars 2012, la force en attente de la CEDEAO a toujours été brandie et agitée comme un épouvantail à même de dissuader les putschistes et les islamistes. Comment se fait-il donc, bien que les situations au Nord-Mali et à Bamako ne se soient jamais améliorées, que l’on n’ait pas pu activer cette force même au moment où cela est plus que nécessaire ? Plus d’ingéniosité et de volonté politique réelle doivent être consenties à ce niveau par les dirigeants africains pour hâter le pas avant qu’excédé par leur nonchalance, le contribuable français n’en vienne à être découragé au point d’exiger de ses gouvernants le retrait des forces françaises du Mali avant la fin de leur mission. Ce serait alors dommage et très risquant après autant de sacrifices et d’espoir renaissant.