Politique
Vote des Burkinabè de l’étranger : Pourquoi il fait peur à des politiques?
Publié le vendredi 6 fevrier 2015 | L'OPINION
© aOuaga.com par AO
Le Burkina Faso vote aux législatives et municipales. Dimanche 02 décembre 2012. Une vue des bureaux de vote. |
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Pressé discrètement mais fermement par la communauté internationale mais aussi par l'opinion publique interne, le gouvernement de la transition a fini par retenir les dates des prochaines échéances électorales. Ce sera le 11 octobre 2015 pour la présidentielle et les législatives et le 31 janvier 2016 pour les municipales. Cette clarté dans le calendrier électoral, est l'une des priorités sur laquelle on attendait les nouvelles autorités. Mais pour importantes qu'elles soient, ces élections auront un goût d'inachevé. La raison : la remise aux calendes grecques du vote des Burkinabè de l'étranger.
Au-delà des raisons d'identifications des électeurs et des moyens financiers pour organiser ce vote évoqué par les nouvelles autorités et certains politiques, couve une réalité, la peur de voir ce vote des Burkinabè de l'étranger faire pencher le résultat des élections présidentielles dans un camp plutôt que dans un autre. Et pour cause ! Les Burkinabè de la diaspora sont nombreux et dans la conquête de cet électorat, l'ancien parti majoritaire a assurément pris de l'avance sur les autres partis, notamment ceux qui ont à peine un an d'existence.
Les Burkinabè de l'étranger, de nombreux concitoyens exclus du jeu politique national
Les Burkinabè vivant à l'étranger sont estimés entre 6 et 10 millions. Ceux vivant sur le sol national sont évalués entre 16 et 18 millions. Ces quatre chiffres mis côte à côte, on se rend compte que les Burkinabè de la diaspora représentent plus du tiers voire plus de la moitié de la population du pays. Les raisons de cette forte émigration sont connues. Elles sont d'ordre historique et économique.
Pour les raisons historiques, on rappellera que la métropole colonisatrice, dans son programme de développement des territoires conquis en Afrique de l'ouest, avait estampillé l'ex colonie de la Haute Côte d'Ivoire, devenue Haute- Volta puis Burkina Faso comme une « terre des hommes». C'est-à-dire une région densément peuplée dont les populations devraient servir, y compris par la déportation, de main d'œuvre pour le développement des colonies jugées plus riches de la côte et du Soudan. Dans cette logique, c'est connu, la colonie de la Haute- Volta sera démantelée et répartie entre celles du Soudan, du Niger et de la Côte d'Ivoire pendant quinze longues années (1932- 1947).
Les raisons d'ordre économique qui expliquent la forte émigration des Burkinabè sont liées à la recherche de meilleures conditions de vie et de soutien financier aux familles restées au pays. Ces raisons économiques vont pousser des millions de Burkinabè à émigrer. Leurs descendants, forment aujourd'hui la diaspora burkinabè sur les cinq continents avec cependant une forte présence dans les pays membres de la CEDEAO (90%), notamment en Côte d'Ivoire et au Ghana.
Dans leurs pays d'accueil, nos compatriotes, cela se comprend, ne jouissent pas de tous leurs droits civiques notamment ceux d'être électeurs et éligibles. C'est donc tout naturellement que depuis fort longtemps ils se sont tournés vers la mère patrie à laquelle ils sont restés loyaux et attachés à bien des égards, pour pouvoir jouir de ces droits fondamentaux de citoyens à part entière. Les autorités politiques sont longtemps restées sourdes à leur demande jusqu'en 2010 où le parlement, après moult pressions des organisations de la société civile de la diaspora et de certains partis politiques adoptait la loi sur le vote des Burkinabè de l'étranger. La loi adoptée en avril 2010, il était trop juste pour que les Burkinabè de la diaspora puissent voter à la présidentielle qui a suivi en novembre de la même année. Les autorités politiques d'alors et la CENI avaient souhaité disposer de plus de temps pour l'organisation de ce vote. Cette opération, il faut le reconnaitre, nécessite une bonne organisation et des d'importants moyens logistiques. Rendez- vous avait donc été pris pour 2015, histoire de donner à la CENI en coordination avec les ambassades dans les pays concernés, le temps et les moyens d'organiser ce vote. Il est donc très étonnant qu'à l'approche des échéances électorales de cette année, cinq ans après, la même rengaine du manque de moyens financiers et la lourdeur de l'organisation à mettre en place soient servies à nouveau par les nouvelles autorités et la CENI pour justifier le report du vote des Burkinabè de l'étranger. On est alors obligé de s'indigner avec le professeur Albert OUEDRAOGO, qu'«il est ahurissant de constater qu'en plein XXIème siècle, il existe encore sur notre planète, des pays qui dénient le droit de vote à leurs compatriotes du fait de leur lieu de naissance ou de résidence »
Le faux problème de l'éloignement des bureaux de vote
Au cours de deux rencontres tenues courant décembre 2014 où les autorités de la transition recherchaient le consensus des acteurs politiques et de la société civile sur l'organisation des élections à venir, plus d'un observateur a été surpris que le vote des Burkinabè de l'étranger soit à nouveau un sujet de querelle. Ce vote est pourtant un acquis par la loi de 2010. La question ne devrait plus être mise en débat. Ce dont on devrait maintenant discuter, c'est comment rendre effectif ce vote qui n'a que trop tardé à être mis en œuvre. Au demeurant, au cours de l'année 2013, la CENI avait dépêché plusieurs missions à l'étranger qui ont travaillé à l'organisation de la participation de la diaspora à la prochaine présidentielle. Ces missions avaient identifié les villes où le vote aura lieu, procédé à la mise en place des membres des bureaux de vote et sensibilisé les Burkinabè sur leur participation au scrutin. Le train était donc en bonne marche pour ce vote des Burkinabè de la diaspora. La CENI dans ces évaluations budgétaires en avait tenu compte. Pourquoi l'institution se rétracte-t-elle aujourd'hui s'alignant sur la position des partis qui viennent de naître et n'ont pas le temps ou la crédibilité nécessaire pour s'implanter dans la diaspora ?
De mémoire de journaliste, la seule difficulté majeure soulevée pendant les sorties de la CENI à l'étranger, quant à la participation des Burkinabè à la prochaine présidentielle, était l'éloignement des bureaux de vote par rapport aux lieux de résidence de certains électeurs potentiels. Ce problème d'éloignement de certains électeurs par rapport à leur bureau de vote, est-il insurmontable en 9 mois ? Non. Car nonobstant l'ouverture de bureaux de vote supplémentaires plus proches des électeurs, on peut demander à ces derniers de faire l'effort de se rapprocher de leur lieu de vote, le temps du déroulement du scrutin. Assurément cela va leur couter de l'argent, mais le citoyen a des efforts à faire pour jouir de ces droits civiques surtout que dans le cas d'espèce, l'élection présidentielle a lieu une fois tous les cinq ans. Du reste, la jouissance de quel droit civique n'entraine-t-elle pas une participation, souvent financière, de l'intéressé ? La délivrance du simple acte de naissance ne nécessite-t-elle pas une dépense financière ? C'est dire que l'éloignement des bureaux de vote des électeurs est un problème qui peut être résolu par un effort budgétaire supplémentaire de l'Etat mais aussi et surtout, la bonne volonté de ceux de la diaspora décidés à jouir d'un droit important qui leur a été pendant longtemps refusé.
C'est pourquoi, il faut le redire, la volte face actuelle des autorités, de la CENI et de certains partis politiques sur le droit acquis des Burkinabè de la diaspora à participer à la prochaine présidentielle est surtout dictée par la peur de voir l'ex parti majoritaire s'en servir, notamment le vote en Côte d'Ivoire, comme d'un piédestal pour revenir aux affaires. Cette volte face est une posture politique, compréhensible pour les partis challengers du CDP mais totalement inadmissible de la part de la CENI et des autorités de la transition censées être neutres. C'est cette position partiale qui risque pourtant de s'imposer en octobre 2015. Dommage !
Djibril Touré.
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