Depuis trois jours, la crise malienne connaît une mutation géostratégique. Les djihadistes ont choisi d’avancer vers le Sud du pays comme s’ils cherchaient à accroître leurs avantages stratégiques militaires. Face à cette nouvelle donne, le président de l’Union africaine, le Béninois Yayi Boni, demande l’appui militaire de l’OTAN. Car, dit-il, le terrorisme djihadiste, c’est d’abord et avant tout une question mondiale. Mais nombre d’observateurs s’étonnent du caractère froid, détaché des déclarations officielles françaises. Comme si des déclarations creuses et vagues avaient déjà effrayé un djihadiste. Pourtant, la France s’est proposée comme Etat-pivot de la force de 400 membres montée par l’Union européenne et qui ne sera opérationnelle qu’à partir du mois de février. Répétons-le, cette force aura pour mission de former, de restructurer et de soutenir logistiquement ce qui reste de l’armée malienne. Attachée à l’intégrité territoriale et à la souveraineté du Mali, la France aurait dû lancer un ultimatum fort en direction des djihadistes. Et non se contenter de simples déclarations. Manque –t-elle d’esprit de suite ? Reconnaissons tout de même que rien n’indique que la position française n’évoluera pas face à la radicalisation guerrière des djihadistes. On attend donc de la France qu’elle joigne les actes aux paroles. Cependant, la position française est compréhensible. Le président Hollande est le chef d’un Etat démocratique et cette légitimité politique ne lui accorde aucun droit d’envoyer des soldats français mourir à l’étranger, sans suivre les processus décisionnels constitutionnels. Au moment où il a choisi de faire revenir les soldats français installés en Afghanistan, comment justifiera-t-il à l’opinion française l’envoi de forces militaires au Mali, de manière unilatérale ? Au nom d’une cause, c’est-à-dire la lutte contre le terrorisme, cause qui semble douteuse et peu claire pour les Français.
Par conséquent, Hollande hésite. Or, dans le domaine de la guerre, celui qui hésite, perd. Disons-le clairement, nous sommes dans une guerre, mais une guerre sans visage. Depuis Raymond Aron, nous savons que chaque guerre change la façon dont on fait la guerre. Et comme l’avait si bien anticipé Clausewitz, « en terme de guerre, tout est incertain ». Au Mali, nous sommes dans une guerre asymétrique, c’est-à-dire qu’ici, l’absurde gagne contre le plan. Face au djihadiste, la guerre devient totalement irrégulière, non conventionnelle. Mais au lieu d’attendre indéfiniment de la France des actes qui ne viennent pas, ou ne viendront jamais, pourquoi l’armée malienne ne prend pas elle-même l’initiative d’attaquer ces Talibans ouest-africains ? On a cette fameuse impression que la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU autorisant le déploiement de forces africaines a paralysé l’armée malienne. Mais à ce jour, quelle est la capacité stratégique réelle de cette armée ? Car, cette guerre sera meurtrière. Certes, nous ne connaissons rien à la stratégie militaire. Mais nous trouvons stupide et ridicule de penser que la France fera tout seule la guerre à la place des Maliens. Actuellement, l’armée malienne reste à la fois le problème et la solution à ce conflit. Mais la rapidité étonnante avec laquelle les djihadistes ont pris sur elle la supériorité stratégique en s’emparant des principales villes est en soi une source d’embarras, et de honte pour les Maliens. C’est comme si elle était devenue une source de déshonneur national. Dans ce cas, comment peut-elle gagner cette guerre face aux djihadistes ? L’avancée des djihadistes va-t-elle enfin provoquer un sentiment de sursaut patriotique ? Quand on sait que le fondateur du Mali, au XIIIe siècle, Soundjata Keita, avait fait de l’honneur le ciment de son immense, prospère et puissant empire ! Décidément, la roue de l’histoire mandingue tourne. Face aux djihadistes, elle revient à l’endroit, c’est-à-dire à ses origines fondatrices.