Politique
Election de Mugabe et projet de création d’une cour africaine de justice : la démocratie en deuil
Publié le lundi 2 fevrier 2015 | Le Pays
© AFP par ZACHARIAS ABUBEKER
24e sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba Vendredi 30 janvier 2015. Addis-Abeba L’avancée des islamistes de Boko Haram au Nigeria et dans les pays limitrophes, le conflit sud-soudanais, la propagation du virus Ebola sont au centre des échanges au 24e sommet au cours duquel Robert Mugabe,a été désigné pour prendre la présidence tournante de l’Union |
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Le président Robert Mugabé tient sa chose. Le 24e sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine (UA), qui vient de s’achever, lui a confié les rênes de l’organisation continentale. Mugabé est donc président en exercice de l’UA pour une année. Ce n’était pourtant pas gagné d’avance. Car, certaines voix se sont élevées avant le sommet, pour tenter d’éloigner cette probabilité, de conjurer ce choix. Les Occidentaux, surtout, disaient ne pas être disposés à participer à un sommet à Hararé, une manière déguisée pour eux, d’exprimer leur réprobation d’une présidence Mugabé de l’UA. Mais les chefs d’Etat africains ont refusé de se laisser dicter leur conduite sur ce dossier. Ils seront restés maîtres du jeu. Et ce n’est pas le vieux Bob qui s’en plaindra. Bien au contraire
Mugabé est, lui-même, un antidémocrate irréductible
Le tout nouveau président en exercice de l’UA n’a pas mis du temps pour endosser sa nouvelle camisole. Anticolonialiste pur sang, le président zimbabwéen l’a fait remarquer, une fois de plus, lors de ce sommet. Il a relevé par exemple la nécessité pour le continent, de travailler à sortir de sa dépendance financière vis-à-vis des étrangers. Bien entendu, Mugabé vise ainsi les Occidentaux. Il est évident que l’Afrique a besoin de rompre le cordon ombilical qui la rend dépendante, dans bien des domaines, de l’Occident. Et on peut se réjouir que le nouveau président en exercice de l’UA en fasse son cheval de bataille. Mais, il faut espérer que cela ne serve pas de prétexte pour verser dans une sorte d’isolationnisme du continent, de défiance inutile vis-à-vis des Occidentaux. En effet, l’Afrique aux Africains est a priori un bon credo. Mais il ne servirait pas les intérêts des peuples africains si ce slogan visait uniquement, in fine, à renforcer les assises des tripatouilleurs de Constitutions et autres dictateurs qui essaiment le continent.
Avec Mugabé comme capitaine d’un navire battant pavillon d’une « Afrique impétueuse », le show sera garanti. Les diatribes contre les Occidentaux, la rhétorique anticolonialiste seront de mise. Il faut compter sur le vieux Bob pour cela. En grand héros de l’indépendance de son pays, il ne se fera pas prier pour tancer l’Occident, coupable à ses yeux, d’avoir occupé et pillé le continent. Ce qui, toutes proportions gardées, est juste. Seulement, il y a que certains de ses pairs risquent fort d’être dans leurs petits souliers, face à certaines prises de position du vieux Bob.
Il faudra, en effet, craindre pour les règles de bienséance diplomatique. Mais, ce qui est le plus inquiétant, c’est le fait que Mugabé est, lui-même, un antidémocrate irréductible. Au pouvoir depuis 35 ans dans son pays, le président en exercice de l’UA n’est pas de ceux qui font de l’alternance, une vertu cardinale.
Et ce n’est pas le projet de création d’une Cour africaine de justice qui va rassurer de l’amélioration prochaine de la gouvernance en Afrique. En effet, ce projet évoqué lors de ce 24e sommet de l’UA, traduit la volonté des chefs d’Etat africains de contrer la Cour pénale internationale (CPI), de s’affranchir de ses contraintes. L’aversion des chefs d’Etat du continent, pour cette Cour, étant notoire.
Il est vrai que la CPI, elle-même, n’est pas sans reproches. Elle n’arrive pas à inquiéter les puissants de ce monde et les Africains sont le plus souvent ses « clients ». Aussi donne-t-elle la fâcheuse impression, dans certains cas, que les poursuites qu’elle engage sont sélectives. Il est vrai que sa relative soumission aux desiderata des membres du Conseil de sécurité des Nations unies et l’insuffisance de ses moyens, achèvent de handicaper lourdement cette juridiction.
Cela dit, la CPI reste d’un secours inestimable pour populations africaines opprimées, martyrisées. En Afrique, par exemple, sa simple crainte tempère les ardeurs des princes régnants qui seraient tentés de réprimer dans le sang. En d’autres termes, elle trouble le sommeil de ces dictateurs.
Ce projet de Cour africaine de justice dérive, en réalité, d’une volonté des chefs d’Etat africains, de saborder l’action de la CPI. Ils caressent le rêve d’avoir une Cour qui servirait leurs intérêts et qui leur garantirait l’impunité. Car, c’est un truisme de dire que les juridictions, sur le continent africain, ne fonctionnent pas comme il se doit.
Les satrapes du continent ne pouvaient pas mieux rêver
Elles ne bénéficient pas des moyens et de toute l’indépendance nécessaires à leur travail. Et c’est à ce niveau que se trouve le véritable problème. Comme on le sait, la CPI est une juridiction supplétive. Elle n’intervient que lorsque la justice interne d’un Etat, les éléments de compétence matérielle étant réunies, se montre incapable de juger, pour une raison ou pour une autre.
Si les juridictions internes des Etats africains fonctionnaient correctement, la CPI aurait probablement moins de matière. Les chefs d’Etat africains veulent en réalité une Cour de justice à l’image de leurs juridictions internes : sans moyens et sans indépendance réelle. Du reste, on se demande bien où ils trouveront les ressources financières surtout, pour faire fonctionner une Cour de justice de plus. Il aurait été probablement plus judicieux de relire les textes de la Cour africaine des droits de l’Homme, pour qu’elle puisse prendre en charge le travail attendu de cette nouvelle juridiction. En tout état de cause, cette inflation institutionnelle en Afrique, qui jure avec l’inefficacité des institutions créées, prouve qu’il y a problème.
Ce n’est pas le nombre de juridictions africaines qui fera l’efficacité de la justice en Afrique. Mais le sérieux et le sens des responsabilités de tous les acteurs, à commencer par les premiers magistrats des différents pays. Or, c’est ce qui manque à l’Afrique. Bien des dirigeants se disent démocrates, juste pour paraître et bénéficier des ressources allouées par les partenaires extérieurs. Au fond d’eux-mêmes, ils vouent une haine viscérale à la démocratie. Ce projet de création d’une Cour africaine de justice, dans l’optique de contourner la CPI, ainsi que la présidence Mugabé de l’UA, sont de mauvais signes pour la démocratie et la justice sur le continent. Les chefs d’Etat africains voudraient passer les questions de démocratie et de bonne gouvernance par pertes et profits, qu’ils ne s’y prendraient pas autrement. Les dictateurs et autres tripatouilleurs de Constitutions en Afrique peuvent maintenant se frotter les mains. Pour eux, il y a de quoi dormir tranquilles, au moins le temps du bail du vieux Bob à la présidence de l’UA. Les perspectives sont alléchantes pour eux : l’impunité avec une justice aux ordres ou sans moyen d’agir et, cerise sur le gâteau, un porte-voix des plus emblématiques et des plus redoutables en la personne de Robert Mugabé. Les satrapes du continent ne pouvaient pas mieux rêver. Pour les populations africaines, c’est foutu : la démocratie est en deuil.
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