Société
Pr Pierre Nacoulma : «Ziga a été une catastrophe environnementale»
Publié le vendredi 30 janvier 2015 | Sidwaya
© Autre presse par DR
Pierre Nacoulma, Le président de la Ligue des consommateurs du Burkina, Le président de la Ligue des consommateurs du Burkina, |
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L’année 2015 sera marquée en matière de protection de l’environnement au plan national par l’entrée en vigueur dès fin février de la loi sur l’interdiction du sachet plastique. Dans cet entretien accordé à Sidwaya, le directeur du Centre d’étude pour la promotion, l’aménagement et la protection de l’environnement (CEPAPE) donne sa lecture de la situation socio politique nationale ainsi que de la politique environnementale et revient sur les grandes actions du centre.
Sidwaya : L’entrée en vigueur de la loi sur l’interdiction des sachets plastiques est prévue pour le mois de février 2015, pensez-vous qu’elle puisse être appliquée convenablement ?
Pierre Nakoulima (PN) : Il faut peut-être voir comment les sachets entrent dans le pays car à ce que je sache ils ne sont pas produits sur place. Sous l’ancien régime il y avait d’énormes intérêts en jeu. Nous avons un imminent spécialiste ici qui a été ministre de l’environnement mais il n’a pas pu faire grand-chose car quand on entre dans un tel système il est difficile d’avoir les mains libres pour pouvoir agir. Il faut voir comment s’opposer aux intérêts en jeu qui du reste ne se préoccupent pas des questions environnementales. Tout est question donc d’une volonté politique. Dans un pays comme le Rwanda, vous ne sortez pas de l’aéroport avec un sachet plastique. On vous le remplace par un sachet bio dégradable. Il faut qu’il y ait un changement de comportement et ceci passe aussi par les individus dans leur représentation et pour cela il faudra beaucoup de sensibilisation.
Au regard de la durée limitée de la transition que proposez-vous comme mesures d’urgence en relation avec la protection de l’environnement ?
Je dirai qu’il faut d’abord respecter les textes et engagements pris par le pays dans le cadre des conventions internationales que nous avons signées. Le DDT (Dichlorodiphényltrichloroéthane) par exemple qui intervient dans la culture du coton mais qui se retrouve dans des champs de pastèques est interdit par l’OMS mais continue d’entrer au Burkina Faso. Or c’est un insecticide dangereux qui pénètre jusqu’à l’intérieur de la pastèque. Nous gagnerons donc dans l’urgence à respecter et faire respecter les normes et conventions internationales en la matière ce qui serait déjà un pas important. Mais il faut aussi que les décideurs travaillent en étroite collaboration avec les structures de recherche en la matière. A l’université un travail gigantesque est fait sur la question mais les chercheurs sont peu associés aux perspectives de solution.
La pollution constitue une autre préoccupation pour les Burkinabè qu’est-ce qu’il y a lieu de faire pour espérer juguler le phénomène à votre avis?
Il y a plusieurs types de pollutions. Ce qui se passe au niveau des mines est révoltant avec l’usage de produits hautement toxiques et qui dégradent le cadre de vie des populations avec toutes les probables pathologies liées à ces produits.On a beaucoup parlé du gasoil, on ne s’en préoccupe pas, les véhicules de seconde main entrent en grande quantité parce que justement les pays développés ont décidé d’opérer des changements à ce propos et nous sommes devenus la poubelle des Occidentaux. Nous accueillons toutes ces vieilleries qui polluent énormément sans que cela n’émeuve personne. Avec des contrôles sérieux l’on peut empêcher l’importation de ces véhicules comme ce qui se fait dans certains pays tels le Ghana. En effet au Ghana tout véhicule qui n’est pas côté à l’argus n’y entre pas. Là encore il s’agit d’une volonté politique. Tous les ministères sont concernés. Le ministère de la santé devrait se pencher sur la question des huiles et leurs usages et donner des informations sur le caractère très cancérigènes des huiles chauffées régulièrement et les bouteilles plastiques exposées au soleil. Il y a du travail. C’est vrai que les individus ont des efforts à faire de leur coté mais ils n’ont pas souvent la bonne information et c’est aussi notre tâche au CEPAPE mais il faut qu’elle soit portée à une échelle plus grande.
Parlant justement du CEPAPE dont vous êtes le directeur, quelles sont ses actions ?
Le Centre d’étude pour la promotion, l’aménagement et la protection de l’environnement (CEPAPE) a plusieurs objectifs. Il a d’abord comme objectif de former. Nous le faisions en DESS sciences de l’environnement devenu maintenant Master professionnel. Nous avons une revue, le «Journal africain des sciences de l’environnement » qui publie les résultats de la recherche. Cette revue est en ligne sur le site du CEPAPE. Il y a aussi des études qui sont menées par les chercheurs du centre. Nous venons de créer un centre de formation continue pour la formation du maximum de personnes sur les questions environnementales, études d’impact environnementales, etc. Il s’agit de mettre à la disposition des institutions désireuses, de formations appropriées pour leurs personnels. La première qui va commencer bientôt porte sur l’étude d’impact environnemental. Elle devra s’étaler sur trois mois et le coût a été fixé à 300.000 FCFA. Ceux qui sont interessés peuvent s’informer auprès du secrétariat du CEPAPE. Nous avons prévu incessamment des opérations de sensibilisation pour faire connaître cette formation continue. Il est important de préciser qu’à ce propos nous ne sommes pas fermés, c’est-à-dire que les compétences externes qui ont des formations peuvent nous les proposer et ensemble nous nous accorderons sur les modalités. Le centre est bien outillé et son expertise peut aider bien de secteurs d’activités. Pour cela, nous avons presque tous les profils. Il y a aussi bien des spécialistes en droit de l’environnement, qu’en économie de l’environnement, chimie de l’environnement, sociologie de l’environnement, éthique de l’environnement, etc.Les problèmes environnementaux sont cruciaux et dans notre démarche, nous n’attendrons pas forcément que les gens viennent à nous. S’il le faut nous irons vers les services pour leur proposer des formations appropriées. Nous avons dans ce sens déjà élaboré quelque chose à l’endroit des mairies et nous allons le leur envoyer bientôt pour essayer de leur montrer l’intérêt de notre centre. Les moyens font défaut mais on ne baissera pas les bras.
Quelle est votre lecture de la situation socio-politique nationale actuelle marquée par l’insurrection populaire ayant mis fin au régime de Blaise Compaoré?
Cela constitue une évolution qui ne peut que me réjouir. Nous l’avons attendue longtemps et il fallait qu’elle survienne. En psychologie il est connu que tout système persévère dans son être jusqu’à la saturation c’est-à-dire l’explosion. C’est ce qui est arrivé. Je disais dans une Interview accordée à un journal français, Lepassant ordinaire en 1998 que le système Compaoré était en train de dilapider deux richesses principales de ce pays à savoir l’intégrité des hommes et leur ardeur au travail. Qu’il s’agissait d’une démocratie militaire constitutionnelle c’est-à-dire que la réalité du pouvoir était militaire et que ce pouvoir n’avait de démocratique que de nom. Nous allons régulièrement aux élections mais tant qu’il n’y a pas d’institutions qui fonctionnent correctement, il n’y a réellement pas de démocratie. Rousseau disait des anglais qu’ils se croient libres parce qu’ils votent tous les cinq ans mais ils ne sont libres qu’un jour tous les cinq, le jour du vote. Le vote c’est le degré zéro de la démocratie. Il faut que des institutions fortes qui ancrent la démocratie.
Comment voyez-vous le processus de transition en cours dans le pays depuis novembre dernier?
La transition actuelle navigue à vue. C’est un tâtonnement mais un tâtonnement qui est compréhensible car les acteurs, focalisés sur l’article 37 et le sénat n’étaient pas préparés à un changement aussi rapide. Par conséquent, rien n’avait été préparé pour assumer les plus hautes charges. Qu’à cela ne tienne, les autorités de la transition auraient pu se donner des objectifs assez modestes et réalisables. Par exemple, la mauvaise gestion dont font cas les rapports de l’autorité supérieure de contrôle est connue. On aurait pu se pencher sur cela en justice, faire des audits des ministères et aller vers des élections. Mais au lieu de cela, il y a eu du populisme, on a essayé de toucher un peu à tout ce qui pouvait mobiliser sachant bien que les délais sont très brefs. Dans tous les cas, il faut accompagner cette transition car nous n’avons pas vraiment d’autres solutions.
Concernant le président déchu Compaoré, pendant que certains estiment qu’il faut demander son extradition, d’autres soutiennent que celle-ci n’est pas une priorité de l’heure, qu’en pensez-vous ?
Pour ma part, il doit répondre des différents crimes qui ont émaillé son parcours. En 27 ans de pouvoir le régime a endeuillé beaucoup de familles. J’ai été moi-même un des animateurs du mouvement des intellectuels après la mort de Norbert Zongo parce que quand vous voyez les conditions dans lesquelles il a péri c’est inacceptable. Il y a bien d’autres crimes qui n’ont pas été élucidés dans ce pays. Je crois que lui-même doit s’attendre à répondre un jour devant la Justice. Si nous étions allez vers une véritable démocratie nous n’en serions pas là mais il a toujours joué avec les institutions, il a toujours rusé. Quand nous prenons les grandes formules de ce pouvoir à savoir « La morale agonise », ou encore les « Juges acquis », etc. ce sont des hommes du système qui nous ont sorti tout cela et ceci témoigne de l’état de la démocratie dans le pays.
Le montant des émoluments des députés du CNT décrié par des citoyens a été revu à la baisse, en dessous du million. Votre commentaire ?
Là, il y a eu un problème et j’espère qu’ils vont rattraper la situation rapidement parce que dans le contexte de pauvreté que nous connaissons c’est énorme. Il serait raisonnable de revoir tout ceci à la baisse et dans des proportions acceptables pour la population.
Quelle est votre appréciation de la politique nationale actuelle en matière d’environnement ?
Les Etats ne voient dans l’environnement que son aspect instrumental qui limite les politiques de l’environnement.Mais de façon générale les questions environnementales requièrent une forte volonté politique car l’état actuel des lieux n’est pas reluisant au Burkina Faso. Nous avons dénoncé le péril plastique et l’ancien ministre en son temps avait décidé de l’interdiction du sachet plastique. Le couvert végétal est en train de disparaitre complètement comme c’est le cas partout dans le pays mais singulièrement du coté de la région de l’Est, du Nord par exemple où nous assistons à la disparition de certaines espèces végétales du fait de l’exploitation excessive. Le politique doit prendre à bras-le-corps la question car son action n’est jusque-là pas visible. Nous sommes les témoins de cette assertion selon laquelle les réfugiés de l’environnement sont en progression exponentielle et que la pression anthropique est devenue alarmante. Il faut des mesures vigoureuses, ne plus patauger dans les verts pâturages comme on le fait actuellement. Dans ce même ordre d’exemple, il est ressorti de l’étude d’un de nos étudiants sur l’impact du barrage de Ziga, que celui qui a réalisé le projet n’a respecté aucune recommandation environnementale qui visait la protection des espèces menacées. Le projet Ziga a été une catastrophe environnementale. Nous essayons de sensibiliser et nous verrons dans quelle mesure rencontrer les décideurs le temps venu parce qu’il y a péril en la demeure.
Vos vœux pour le pays
Je souhaite que l’ardeur au travail et l’intégrité des hommes qui constituaient la grande richesse de ce pays par le passé soient les valeurs les plus partagées et que la transition s’achève par des élections véritablement libres et transparentes.
Propos recueillis par Voro KORAHIRE
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