Ainsi donc, le code électoral aura été respecté. Les élections couplées du 2 décembre ont bien eu lieu. La CENI, le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel ont joué leur partition. Les membres du parlement ont été installés avec, à leur tête, un nouveau président en la personne de Soungalo Apollinaire Ouattara. Le Premier ministre, candidat à la députation, a respecté les forums en remettant sa lettre de démission au président du Faso qui l’a aussitôt reconduit. La nouvelle équipe gouvernementale a été rendue publique le 2 janvier dernier, mais sans un parti de la mouvance : l’ADF/RDA. Comment en est-on arrivé à un tel divorce d’autant que le parti de l’Eléphant, fort de ses dix-huit députés à l’Assemblée nationale avait permis au CDP d’avoir une majorité écrasante lors de la désignation du patron du perchoir ?
« Blaise Compaoré, qui n’a pas encore programmé sa retraite, met activement en place une galaxie sur laquelle il compte s’appuyer pour conserver son fauteuil en 2015. Pour moi, il est inutile donc de commenter la composition de ce nouveau gouvernement ; encore moins l’absence en son sein de l’ADF/RDA. » Cette opinion d’un dinosaure de la scène politique yatengalaise est partagée par bien d’autres à Ouahigouya. Un autre citoyen tire la sonnette d’alarme : « Ce pays est en danger et seulement une catégorie de Burkinabè a le sentiment que ceux qui tiennent les rênes du pouvoir aujourd’hui n’en ont pas suffisamment conscience ». Ce jeune étudiant, titulaire d’une maîtrise en droit, reconverti dans le commerce s’en prend à la classe politique dans sa globalité : « C’est bien fait pour Gilbert Noël Ouédraogo, lui qui a passé tout son temps à dribbler tout le monde comme s’il jouait au football. Il n’a pas mieux servi Blaise Compaoré que Salif Diallo, mais où est-il aujourd’hui ? Quand un homme politique cesse d’être constant dans ses prises de décision, il devient un danger permanent pour lui-même d’abord et ensuite pour la société. Je m’insurge contre toute la faune politique nationale qui manque de vision ». Pour cette dame, proche de Salif Diallo, « Le CDP et l’ADF/RDA sont en train de jouer leur dernière comédie. Mais qu’ils arrêtent de nous montrer cette énième pièce de théâtre… »
« L’ADF/RDA ne fait qu’aller de l’avant »
La question-clé que l’on se pose actuellement dans bien de milieux est de savoir si Blaise Compaoré va briguer un troisième mandat en 2015 ou s’il va s’effacer pour céder sa place à quelqu’un d’autre. Pour de nombreux Ouahigouyalais, la première hypothèse semble plausible. Ces derniers se disent confortés dans leur position par le départ des deux ministres de l’ADF/RDA du dernier gouvernement. Pourquoi Gilbert Ouédraogo et Zakaria Tiemtoré ont-ils quitté le cabinet de Luc Adolphe Tiao ? Interrogé le 3 janvier dernier à Ouahigouya, le président de l’ADF/RDA, lui-même a gardé le mystère : « Le porte-parole du gouvernement a répondu à cette question… Les négociations avec l’ADF /RDA n’ont pas abouti… ». Est-ce le partage du gâteau qui a conduit à ce divorce (provisoire ?) ? « Non, pas du tout, je peux même dire que l’offre était supérieure à celle qu’on avait ... ». Un journaliste a alors insisté : Ne pensez-vous pas qu’en gardant le mystère autour de votre départ du gouvernement vous allez décevoir une partie de vos militants ? Et le président de l’ADF/RDA de répondre : « Ha bon ! Vous êtes un de nos militants ? Mais où se trouve le problème alors ? Est-ce qu’en regardant nos militants, ils ressemblent à des gens qui sont déçus ? Nous avons fait sept ans dans le gouvernement et je suis fier de dire que nous avons accompli notre mission avec dévouement. Même ceux avec qui nous avons travaillé reconnaissent cela. L’ADF /RDA ne fait qu’aller de l’avant ». Voilà des réponses qui ne convainquent personne. Pour sûr, la situation est confuse et laisse tout le monde perplexe. Mais une réalité s’impose : l’ADF/RDA et le régime en place ne se sont pas entendus sur bien des points. Plus profondément, l’on parle même de ‘’désaccords sérieux’’ entre la majorité présidentielle et le parti au pouvoir. A Ouahigouya, certaines sources révèlent qu’après de difficiles négociations, les deux parties ne sont pas parvenues à un compromis. Selon nos sources d’information, les tractations ont d’abord porté sur le nombre et le poids des portefeuilles ministériels. Autre point d’achoppement : l’article 37 de la Constitution. Les héritiers politiques de Gérard Kango Ouédraogo, lors des Assises nationales du CCRP, étaient farouchement contre la modification de cet article. De son côté, la majorité n’aurait pas apprécié cette position et aurait donné une sorte d’ultimatum à son allié pour qu’elle revoie sa copie. Face donc à ce dilemme fort embarrassant, le parti de l’Eléphant aurait donc choisi la politique de la chaise vide, d’où son absence du gouvernement. Un fait important : lorsque Gilbert Ouédraogo présentait ses vœux de nouvel an à ses militants à Ouahigouya, il a dit exactement ceci : « Mes vœux sont des vœux de santé, de bonheur, de paix, de consolidation de la démocratie dans notre pays et que le Burkina continue d’aller de l’avant et à prospérer ». Pour beaucoup, il n’y a plus de doute que Gilbert Noël Ouédraogo veut prendre son indépendance vis-à-vis du parti au pouvoir. On retient d’ailleurs cette phrase qu’il a lâchée à ses partisans : « Je l’ai toujours dit et je le répète ici, un père de famille ne part jamais à la chasse pour remettre son gibier à quelqu’un d’autre ». Un autre baron de l’ADF/RDA se veut clair : « En termes de popularité, notre parti est la deuxième force politique du Burkina et nous tenons à rappeler cela à tous ceux qui feignent de l’ignorer. Dans tous les cas, le parti appréciera … »
