On se doutait bien qu’après la crise postélectorale qui a secoué la Côte d’Ivoire, l’activité économique allait rapidement reprendre et que la lagune Ebrié allait être inondée de capitaux étrangers. Compte tenu de son importance dans la sous-région, des possibilités d’affaires s’offrent aux multinationales, surtout après une guerre à l’issue de laquelle il faut tout reconstruire. Les choses semblent bien engagées dans ce sens.
Et, cerise sur le gâteau ivoirien, le nouveau chef de l’Etat est un financier pur jus qui l’a toujours rappelé à qui voulait l’entendre. Il n’était pas loin de dire pendant la campagne présidentielle qu’il était le meilleur, sinon le seul capable de redresser la Côte d’Ivoire.
De ce point de vue, même si beaucoup reste à faire dans la lutte contre la pauvreté, le chômage et l’insécurité, force est de reconnaître que beaucoup de choses ont déjà été faites et que les bailleurs de fonds ont ouvert les vannes pour arroser cet Etat. On a, par exemple, en mémoire l’annulation de la dette bilatérale de la Côte d’Ivoire par la France (une ardoise de près de 5 000 milliards de FCFA effacée) ainsi que l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés) qui va soulager le service de la Dette ivoirienne. De plus, les investisseurs privés se bousculent au portillon d’Abidjan.
Mardi dernier, c’est Jim Yong Kim, le président de la Banque mondiale, qui a foulé le sol ivoirien, le premier pays qu’il visite depuis sa prise de fonction. Alassane Ouattara en a profité pour demander une hausse substantielle des fonds accordés à son pays qui, après la récession de 2011, connaîtra une croissance de 8%.
Une requête qui a toutes les chances d’être entendue vu que cet Etat représente 40% de l`économie de l`Afrique de l`Ouest et que le président de la Banque mondiale a déclaré être là pour apporter son soutien au peuple ivoirien et à ses dirigeants, car «nous sommes certains que la Côte d`Ivoire connaîtra de grands succès dans le futur». De tels soutiens, le pays en a bien besoin pour se relever, car l’«Eléphant d’Afrique» était vraiment à genoux.
Mais en réalité, s’agissant de la situation ivoirienne, on l’a toujours dit, si la reconstruction économique et physique du pays peut paraître un jeu d’enfant, plus corsée sera la reconstruction humaine qui, elle, s’apparente à un travail de Sisyphe. La preuve, alors qu’on croyait la situation sécuritaire sous contrôle, ces dernières semaines, des attaques meurtrières ont été perpétrées contre des établissements de sécurité (camps militaires, postes de police et de gendarmerie). C’est dire qu’il y a encore une violence résiduelle dans ce pays.
Pourtant, officiellement, tout le monde se dit prêt au dialogue et à la réconciliation. Cette volonté a été réaffirmée mardi dernier par Amadou Soumahoro, secrétaire général du RDR (Rassemblement des républicains, parti au pouvoir), et Sébastien Dano Djédjé, secrétaire national en charge de la réconciliation au FPI (Front populaire ivoirien, parti d’opposition). Sous l’égide du CDVR (Commission dialogue, vérité et réconciliation), ces deux partis devraient très rapidement se réunir pour une concertation. Cela serait une avancée, étant donné le mur de défiance qui sépare ces deux camps depuis la présidentielle d’octobre 2010.
S’il est vrai que dans le camp Gbagbo il y a des irrédentistes indécrottables qui n’ont pas encore fait le deuil de la perte du pouvoir et qui rêvent toujours de le reconquérir, il faut dire que les nouveaux maîtres d’Abidjan font, eux aussi, des erreurs qui ne rassurent pas leurs vis-à-vis. Il en est ainsi de la «nordisation» très poussée des hautes sphères de l’administration publique et des procès contre certains caciques du FPI : Laurent Akoun (2e vice-président du FPI) vient ainsi de prendre six mois ferme tandis que le porte-parole de Gbagbo, Justin Koné Katinan, arrêté à Accra fin août, sera probablement extradé vers Abidjan, puisque la Haute Cour du Ghana vient de refuser de le libérer. La justice ghanéenne devrait ce jeudi même statuer sur son extradition vers Abidjan ; sans oublier tous ces membres de la galaxie Gbagbo qui sont présentement en détention dans plusieurs localités ivoiriennes.
Dans ces conditions, on a bien peur que l’afflux massif de capitaux et les annulations de dettes ne suffisent pas à faire redémarrer la Côte d’Ivoire, cette locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest.