Ravalé par l’insondable abîme du temps, l’an 2012 vient d’opérer sa grande et naturelle immersion dans le néant. En cela, rien de nouveau sous le soleil. Car, de même que toute vie aspire à la mort, toute année est appelée à en chasser une autre et, à son tour, à tirer le rideau sur son passage. Adieu donc 2012, vive 2013 ! Une fois encore, les mortels s’échangent les meilleurs vœux, dans l’espoir légitime que les frais pétales de cette aube nouvelle couvrent de leurs effluves réparateurs, les putrides et maléfiques exhalaisons de 2012. Bel aphorisme que celui de l’écrivain français, André Gide : « Nous sommes responsables d’à peu près tous les maux dont nous souffrons ». S’il est donc vrai que le malheur de l’espèce adamique est d’abord et avant tout le fait d’elle-même, le dieu Zeus, du haut de l’Olympe, n’a-t-il pas pleuré de voir le monde tel qu’il s’est offert à ses yeux en 2012 ? En tout cas, les rapsodies de l’année engloutie n’ont pas toujours été celles de la symphonie ni de la joie. Elles ont, hélas, aussi connu les notes sulfureuses de la pétaudière et celles funestes de la tragédie. Cohues, larmes et lamentations, etc., en bien des endroits de la Terre, les volcans sociaux continuent à vomir leurs laves incandescentes de désastres. Que dire de la Syrie, livrée pieds et poings liés à la géhenne par un satrape sanguinaire en passe de ravir le trône des enfers à Hadès ? Dans sa logique éperdue du moi ou le chaos, « le boucher de Damas », fait, décidément, piètre figure. Qu’il y a loin de … « l’homme grand » au « Grand homme » !
Les grelots de la fausse souveraineté
Fin d’année noire pour le président centrafricain, François Bozizé, qui, des profondeurs abyssales de la tourmente, n’a pas hésité, toute honte bue, à appeler les puissances extérieures (France, Etats-Unis) à la rescousse. Faut-il en rire ou en pleurer ? Une particularité de notre continent : on n’hésite pas à faire le deuil de la souveraineté du pays quand son pouvoir est menacé. Mais, quand il s’agit de cacher ses propres turpitudes, on est prompt à agiter les grelots de la souveraineté et à dénoncer le « diktat » de l’extérieur. Et c’est malheureusement le cas pour bon nombre d’apprentis-sorciers de la démocratie sur le continent, qui espèrent toujours pouvoir s’abriter sous le parapluie d’une françafrique pourtant évanescente sous le poids des nouveaux paradigmes politiques ! A la Côte d’Ivoire, unie par le Burkina Faso par des liens séculaires de coopération et de fraternité, nous formulons en particulier des vœux de paix et de réconciliation. Puisse l’Horloger suprême lui permettre de tourner le dos au belliqueux Arès, dieu de la guerre, afin qu’elle réintègre sa camisole de « pays de paix et d’hospitalité ». S’il y a aussi un endroit de la Terre où les tambours de la tragédie résonnent au rythme de l’absurdité humaine, c’est bien le Mali. Le chagrin outre-tombe devrait être grand, pour ces héros de la geste malienne – Soundjata Kéïta, Osman Dan Fodio, Tièba Traoré, etc. – qui pleurent de voir le Mali tel qu’il va ! Que dire, en effet, d’un Nord-Mali groggy, livré aux ténèbres de l’obscurantisme et de la barbarie ? Le septentrion malien a assurément touché le fond d’un salafisme de type moyenâgeux, dicté par des fous d’Allah prétendant agir au nom du Dieu de miséricorde, de notre Dieu à tous. Et que dire aussi d’un Sud-Mali sous la férule ubuesque d’une soldatesque ayant plongé ses godasses dans les plats prétendument faisandés d’une République qu’elle disait vouloir sauver ? La suite, on la connait : un vaudeville calamiteux. Avec dans le rôle principal de faiseur et défaiseur de rois, un putschiste mégalo se rêvant un destin national. Quel épilogue pour le feuilleton mélodramatique malien à multiples rebondissements ? Pour l’heure, en tout cas, la démocratie au Mali ne s’en porte que plus mal. Elle hurle et se tortille de mille douleurs, tel le mille-pattes coupé en deux, depuis que le capitaine Amadou Haya Sanogo lui a administré sa thérapie de béret vert révolté. Qu’il faut pleurer le Mali ! En particulier les populations civiles de son septentrion désemparées. C’est dire s’il y a motif à adhérer à la position des partisans de la méthode forte, et urgence à agir. En ce sens, un pas a été fait dans la bonne direction : la décision du Conseil de sécurité de l’ONU, après moult hésitations, de donner son feu vert au déploiement d’une force internationale au Mali. Ce n’est pas trop tôt ! Reste à se demander si les conditions assorties à cette expédition punitive (tenue d’élections en 2013 alors que le pays demeure divisé), ne sont pas posées pour en rendre la probabilité quasi nulle.
Brigandage électoral au Faso
En tous les cas, que Dieu sauve le Mali ! Et qu’il n’oublie pas non plus de couvrir de sa main protectrice, le Burkina Faso, toujours à ses petits arrangements avec la vérité démocratique. Les élections couplées de 2012 l’ont, une fois de plus, prouvé : les amarres n’ont toujours pas été rompues avec la démocratie bamboula. De fait, que vaut une démocratie des poches trouées, des ventres creux et de l’encéphalogramme plat, aggravée par quelques poignées de F CFA, quelques bolées de riz et des gadgets de campagne ? Jusqu’où adhère-t-on véritablement à l’idéal démocratique au Pays des hommes intègres ? Question à mille tiroirs. Censée apporter un surcroît de qualité au processus électoral, la première expérience burkinabè de la biométrie n’a visiblement pas tenu toutes ses promesses. Il a encore été question, au sortir des contestées élections couplées du 2 décembre 2012, de brigandage électoral, allant des formes les plus primitives et grotesques à celles des plus subtiles et sophistiquées. Et dire qu’il faut ajouter à cela d’autres difformités, tels les solides rapports incestueux entre l’argent et la politique, la forte politisation de l’administration, etc. Ces difformités en rajoutent aux aspects hideux de la démocratie telle qu’elle se pratique sous nos cieux. En somme, un théâtre d’ombres démocratique ! Certes, on avancera que ces élections se sont déroulées, dans l’ensemble, dans un climat apaisé, ce qui devrait valoir des lauriers à l’ensemble des acteurs politiques et à la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Mais, quid des manquements et des frustrations qui en ont découlé et dont on dit qu’ils n’ont pas été de nature à remettre en cause la sincérité du scrutin couplé ? De fait, bien des voix se sont élevées pour dénoncer le « surplace » de la démocratie au Burkina, quand d’autres ont crié au recul ! Surplace, recul ou non, on est bien loin du multipartisme intégral voltaïque des années 70, pendant lesquelles un scrutin présidentiel, celui de 1978, a vu la mise en ballotage d’un président sortant, en l’occurrence Sangoulé Lamizana. Un cas d’école en Afrique s’il en fut, qui permit à la Haute Volta de l’époque de se hisser sur le toit de la DEMOCRATIE. Trente-quatre années après, où en sommes-nous ? Manifestement, le brillant élève a désappris et reculé, au point de se laisser, de loin, surclasser par des camarades d’école qui étaient loin de lui arriver à la cheville. En atteste ce cas du Ghana voisin, qui s’efforce de bon gré, de ne porter le moindre coup de canif à son contrat avec la démocratie. Assurément, la classe politique burkinabè doit se résoudre à se regarder dans la glace. Quant aux princes qui nous gouvernent, il devrait sonner, pour eux, comme une ère de réelle et courageuse prise de conscience. Bien qu’il s’en défende, le parti de l’épi et de la daba accuse, dans l’absolu, un recul aux législatives de 2012. Cela devrait avoir valeur de signal fort : la nécessité, pour le CDP, d’une remise en cause de sa gouvernance d’Etat.
Prendre la juste mesure de la soif d’alternance des Burkinabè
Dans un sursaut de lucidité et d’humilité, les tenants du pouvoir d’Etat devraient se résoudre à prendre la juste mesure de la soif d’alternance qui étreint le peuple burkinabè. Il n’est hélas pas certain que le code électoral actuel serve véritablement de boîte à outils pour l’alternance. Le Bénin, le Sénégal, etc., ont inscrit bien des dispositions dans leur code électoral, qui rendent fertile le terreau de l’alternance et incontestables ses facteurs adjuvants ! Ces dispositions ont pour noms : interdiction des couvertures médiatiques des campagnes déguisées, refus des dons et gadgets pendant la campagne, interdiction formelle de l’achat des consciences, plafonnement des dépenses électorales, réglementation du financement privé des partis politiques, etc. L’exemple devrait inspirer le Pays des hommes dits intègres où les acteurs politiques continuent - une incongruité démocratique - à être vent debout contre la candidature indépendante ; comme si celle-ci ferait plus de tort que de bien à la démocratie ! Il y a plutôt nécessité à ériger des brise-vents contre les courants porteurs de velléités de modification de l’article 37 de la Loi fondamentale. Car, et c’est bien là le drame de l’Afrique, bien des dirigeants ont la fâcheuse tendance à utiliser la démocratie pour… tuer la démocratie. En effet, lorsqu’un chef d’Etat fait réviser la Constitution par voie référendaire ou parlementaire pour se maintenir pendant des décennies à la tête de l’Etat, où est la démocratie ? Dans le contexte des Etats à bétails électoraux et aux majorités parlementaires dociles et insoucieuses du lendemain, l’extrême longévité politique est une sinécure.
Emprunter la voie de la démocratie voulue et sincère
En tout état de cause, il urge d’emprunter, de façon nette et résolue, la voie - plus sûre - de la démocratie voulue et sincère. Elle seule permettra au pays que tous, nous aimons tant, de se prémunir contre les chausse-trappes et autres périls qui le guettent. Sont de ceux-là, des dossiers toujours pendants, tel celui de Norbert Zongo, véritable chaudron qui n’en finit pas de mijoter sur le réchaud judiciaire burkinabè. Ils pourraient, si l’on n’y prend garde, faire sauter le couvercle des frustrations enfouies. C’est dire si ce pays gagnerait à affronter ses démons ici et maintenant. Ainsi qu’à assécher le terreau d’une gouvernance dont la première vertu n’est pas la rigueur par l’exemple, et sur lequel continuent à proliférer les herbes folles de la corruption, des détournements de fonds, du laxisme, de l’incivisme, etc. Il y a aussi certainement quelque chose à faire en termes de réarmement moral dans ce pays où l’honnêteté est en passe de devenir un délit. Il y va du bien et de l’image de la Nation. En ce qui concerne nos lecteurs d’ici et d’ailleurs qui ont entamé l’aventure avec nous depuis le 3 octobre 1991, nous leur renouvelons notre contrat de confiance. Sur le socle inébranlable de notre ligne éditoriale, nous gardons la même posture. Notre vade-mecum n’a connu aucune souillure et nous tenons toujours fermement la barre de notre indépendance affichée depuis les premiers vagissements du quotidien. A tous les descendants d’Eve et d’Adam, qui essaiment la planète bleue, nous leur souhaitons bonne et heureuse année. Que 2013 soit, pour tous, aussi paisible et tranquille qu’une mer d’huile.
Cheick Beldh’or SIGUE, Directeur de publication, Directeur général des Editions « Le Pays »