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Le Pays N° 5269 du 2/1/2013

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Pr Mahamade Savadogo, professeur de philosophie : « L’incivisme, c’est le détournement des deniers publics »
Publié le vendredi 4 janvier 2013   |  Le Pays




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L’année 2012 se termine bientôt. De part et d’autre, à tous les niveaux, l’on attend, en chantant, l’heure « H » de minuit du 31 décembre 2012. Après, les secondes qui suivront, l’on se retrouvera dans l’année 2013. Mais avant, il importe que chacun fasse le bilan de l’année que l’on s’apprête à classer dans les tiroirs de l’histoire. A propos de bilan, votre quotidien Le Pays a rencontré l’enseignant de philosophie à l’Université de Ouagadougou, le Pr Mahamadé Savadogo. Cet intellectuel, fin observateur de la vie politique de notre pays, s’est prêté à nos questions. Il se prononce sur des sujets comme les élections couplées du 2 décembre 2012, les crises récurrentes dans les universités burkinabè, la question de l’incivisme grandissant ainsi que la menace terroriste dans la sous-région ouest-africaine. Sans détour, il fait son bilan de 2012, s’insurge contre le manque de volonté réelle de lutter contre les dérives de la gouvernance au Burkina Faso. Le Pr Savadogo estime que la crise que les jeunes vivent actuellement semble être « un héritage » de la vieille génération. Hors des murs de l’université, il reste encore philosophe, non pas le « fou » mais celui qui souhaite « le bien-être des populations ». Voici le diagnostic établi par le Pr Mahamadé Savadogo sur le Burkina Faso en 2012. Interview réalisée la veille de Noël, le 24 décembre 2012.

« Le Pays » : Vous êtes le coordonnateur du Mouvement des intellectuels du manifeste pour la liberté ; pouvez-vous nous dire ce que c’est que ce Mouvement ?

Pr Mahamadé Savadogo : Le Mouvement des intellectuels du manifeste pour la liberté est un Mouvement qui est né au lendemain de l’assassinat de Norbert Zongo en décembre 1998, qui est parti d’une pétition qui protestait contre cet assassinat, contre l’impunité dans notre pays et qui appelait les intellectuels à se mobiliser pour défendre la liberté d’opinion, la justice. Face au succès de la pétition, nous avons convoqué une table-ronde en janvier 1999 et nous avons eu à organiser une procession le 25 février 1999. Après le succès de toutes ces actions, nous avons décidé de consolider le mouvement et c’est ainsi que nous avons créé une coordination qui dirige le Mouvement. Ensuite, il y a eu notre journal Hakili qui est un trimestriel. Nous avons souvent eu des prises de position, des déclarations à travers la presse, organisé des conférences, des panels en fonction des questions de l’heure et, en général, nos prises de position ont de l’audience.

Qui sont les membres de votre Mouvement ?

Ce sont des individualités qui sont membres de certaines catégories intellectuelles notamment des universitaires, des journalistes, des avocats, des juges, des médecins, des enseignants du secondaire. Nous permettons également aux étudiants de niveau 3e cycle (DEA) d’en faire partie. Le Mouvement a des statuts et il y a des cartes de membre pour celui qui veut officiellement adhérer au Mouvement.

Au niveau de la presse, on ne voit pas très souvent votre Mouvement ; quelles peuvent être les raisons de cette absence ?

C’est vrai que récemment, nous n’avons pas organisé de grandes conférences mais le Mouvement existe bel et bien. Il s’installe, il se consolide et rien qu’à la fin du mois de juillet dernier, nous avons renouvelé notre coordination nationale. Beaucoup de jeunes sont entrés dans cette nouvelle coordination. Nous avons créé de nouvelles instances telles qu’un conseil d’appui à la coordination qui va regrouper les personnalités qui soutiennent le Mouvement et surtout, notre publication Hakili continue de paraître et le dernier numéro rend hommage à Jean-Pierre Guingané qui était un soutien pour notre Mouvement. La parution n’est cependant pas régulière parce que nous ne sommes pas des professionnels et, en plus de cela, les membres du Mouvement sont des gens qui ont beaucoup d’occupations. Notre mouvement se porte plutôt bien et se donne de l’ambition pour l’avenir.

Hakili n’est pas très connu. Est-ce parce que vous le réservez à des privilégiés ?

Non, c’est vrai que le grand public ne voit souvent que des actions d’éclat mais il est quand même assez connu dans le milieu intellectuel et si l’on veut parler des mouvements qui regroupent spécifiquement des intellectuels, qui ont une certaine autonomie et une certaine indépendance dans leur opinion dans notre pays, même dans la sous-région, nous comptons. Un mouvement d’intellectuels existe surtout par ses actes, ses prises de position à travers ses publications. Le fait d’avoir un journal est donc très important et, en dehors de ce journal, il y a aussi les conférences que nous organisons.
On a assisté ces dernières semaines à des crises scolaires de façon générale dont la dernière en date a été celle de l’Université de Koudougou qui, jusqu’à présent, traîne. En tant que professeur et aussi membre d’un mouvement d’intellectuels, quelle lecture faites-vous de toutes ces crises ?

Sur ce point, je dois dire que j’ai été choqué d’apprendre les dispositions du texte sur lequel on s’est appuyé pour prendre les mesures d’exclusion des étudiants. Comme vous le savez, c’est un texte récent qui date de juillet 2012, je crois. Je n’étais pas au courant de son existence, je ne sais pas dans quelles conditions il a été adopté mais, vraiment, j’ai trouvé scandaleux que dans ce texte, on ne prévoit aucun recours contre les décisions d’un conseil de discipline qui a le pouvoir d’exclure des étudiants, pour plusieurs années, même de plusieurs universités du pays. Déjà, il faut que l’on revoie ce texte parce que je me demande quel objectif on a visé en l’adoptant. En ce qui concerne la situation des crises, il y a aujourd’hui, dans le système éducatif burkinabè, des difficultés et dans les universités en particulier. Le gouvernement lui-même a créé des instances qui ont eu à réfléchir sur ces problèmes et ils sont de différentes natures. Il y a des problèmes de gouvernance, d’infrastructures, de personnel d’encadrement. Je me dis que pour tout cela, il faut se donner une occasion et les moyens d’en parler de façon globale et de trouver des solutions. J’avais entendu dire qu’il y avait un projet d’états généraux qui était en cours. Je suppose que ce projet va se réaliser. En attendant, il y a eu des commissions ad hoc qui ont été suscitées par le Premier ministère et actuellement, l’Université de Ouagadougou a initié une réflexion pour envisager les actions à mener à l’avenir pour son développement. Je me dis qu’à travers toutes ces réflexions, on arrivera à dégager des pistes de solutions.

Toujours avec l’Université de Koudougou, y avait-il lieu de prendre une telle sanction ? Comment appréciez-vous son ampleur ?

A travers ce que j’ai dit plus haut, vous comprenez que je trouve que non seulement la sanction est excessive mais surtout, le fait qu’on n’envisage pas qu’il puisse y avoir éventuellement un recours contre la sanction est une disposition qui est source de problèmes. Les individus qui animent et prennent les sanctions sont des êtres comme vous et moi. Nous avons nos préjugés, nos partis pris et nos intérêts, donc, quand on prend une décision, il faut accepter qu’il puisse y avoir d’autres structures pour en discuter parce que ce sont des sanctions très graves. Même dans notre travail d’évaluation, quand nous donnons une note à un étudiant, s’il estime que la note ne correspond pas à son travail, normalement, il y a un recours ; il peut demander au jury de faire recorriger son travail et, dans ce cas, on demande à un autre professeur de procéder à la correction. C’est bien que dans toutes les situations où un homme ou une structure a un pouvoir important, qu’il puisse y avoir un autre contre-pouvoir, un autre recours. Cela aide à gérer les conflits.

L’autre situation que l’on pourrait craindre, c’est le bras de fer entre les étudiants et un groupe de professeurs dont le syndicat, selon les étudiants, ne travaillerait pas pour leurs intérêts mais travaillerait à saper le combat des étudiants…

Vous parlez sans doute de l’attitude du SYNADEC. Je n’en suis pas membre. J’ai assisté comme vous à l’action qui a été menée et, effectivement, un des risques suscités par cette action, c’est qu’elle donne l’impression que le problème de l’université ou le problème du monde éducatif est un problème de rapports entre les étudiants et les enseignants. Evidemment, ce n’est pas mon avis mais je pense que l’évolution de la situation peut amener les uns et les autres à mieux réfléchir à leur position. Vous avez lu par exemple qu’il y a des syndicats qui ont publié des déclarations et qui ont donné une autre analyse des évènements. C’est déjà un signe qui permet de voir que ce que certains considèrent comme évident, d’un autre point de vue, on peut le voir comme problématique et ça peut aider les uns et les autres à relativiser leur position.

Vous avez évoqué certaines pistes de solutionnement de la crise universitaire. A votre avis, quel est le problème de l’université burkinabè ?

D’abord, si nous prenons la question de la désignation des responsables dans nos universités, vous savez qu’aujourd’hui, les présidents des universités dans notre pays sont nommés, ils ne sont pas élus. Il y a des pays à côté de nous où ils sont élus comme au Niger, au Bénin. Si on acceptait le principe de l’élection, cela pourrait permettre d’assainir l’atmosphère. Il y a ensuite le problème de la reconnaissance du statut des différentes organisations des acteurs de la vie universitaire (les organisations des enseignants, les organisations du personnel administratif, technique et ouvrier, les organisations des étudiants…) Il faut reconnaître à toutes ces structures le droit d’avoir des représentants dans les différentes instances de nos universités et de donner leur point de vue sur la vie de nos universités. En d’autres termes, l’enjeu essentiel de la gouvernance, c’est de parvenir à créer une dynamique de participation de tous les acteurs de la vie universitaire, donner le sentiment à chacun qu’il a sa part, son rôle à jouer, que personne n’est au-dessus des autres et que chacun est censé travailler dans l’intérêt de toute la communauté.

Pensez-vous que cela est possible ?

Il faut que l’on s’entende bien. Je ne demande pas de réduire le nombre des organisations. Au contraire, je demande de donner le droit aux organisations et à leurs représentants de s’exprimer dans les instances de la vie universitaire. Si, à chaque fois qu’il y a un problème, on a la possibilité d’organiser un débat franc, même à travers la contradiction, cela va nous aider à voir des perspectives.

Le ministère de l’Enseignement secondaire et supérieur est dirigé depuis un certain temps par des professeurs. Pensez-vous que ce soit une bonne option ?

Pour le moment, le ministère est perçu comme un poste politique donc, c’est le chef de l’Etat et son Premier ministre qui nomment le ministre des Enseignements secondaire et supérieur. C’est vrai que depuis un certain temps, on nomme des professeurs mais il y a eu un moment où nous avions des ministres qui n’étaient pas des professeurs. Je me souviens que Mélégué Traoré a été ministre et également Christophe Dabiré qui était un économiste. Je ne pense pas que le profil du ministre en tant que tel soit le facteur le plus important. Par contre, je suis d’avis que l’on crée des instances dans les universités, dans les écoles qui permettent une participation de certains acteurs et laisser à ces instances la liberté d’orienter la vie des établissements et des universités.

Les lycées et collèges connaissent également des difficultés ; l’année scolaire a toujours été perturbée notamment au cours du dernier mois du premier trimestre scolaire. Que faut-il pour que les établissements retrouvent leur sérénité ?

Attention ! S’il y a souvent des interruptions, les raisons ne sont pas toujours les mêmes. Il y a des interruptions qui sont l’expression d’une protestation contre les sanctions dans lesquelles les élèves et les enseignants sont concernés. Il y a des protestations liées à des questions d’intérêt général. Quand il y a eu par exemple la mort de Justin Zongo et que les élèves ont réagi, qui pouvait dire qu’ils n’ont pas le droit de réagir ? Au-delà donc du fait de l’interruption, il faut voir les motivations. Il y a des motivations qui peuvent être traitées au niveau de notre ministère, il y a des préoccupations qui peuvent être prises en charge au niveau de chaque établissement, comme il y a des questions qui sont d’enjeu national. Là, il s’agit de nos autorités à plusieurs niveaux qui sont interpellées.

Les syndicats et toute la famille éducative ont parlé des effectifs pléthoriques dans les établissements ainsi que des conditions de travail des enseignants. Ne pensez-vous pas que cela puisse constituer un goulot d’étranglement ?

Je suis tout à fait d’accord avec vous. Par exemple, à partir d’un certain effectif, c’est sûr que l’activité pédagogique se trouve sérieusement compromise. Les réactions des syndicats sont donc tout à fait justifiées mais pour y répondre, il faut un effort global. Il faut pouvoir construire des infrastructures, embaucher du personnel, augmenter l’offre d’une manière générale des possibilités d’éducation qui, comme vous le savez, est un des points faibles de notre société. C’est bien connu que notre taux de scolarisation à la fois secondaire et supérieur reste faible par rapport même à celui de la sous-région. Cela veut dire que nous avons des efforts particuliers à faire à ce niveau.

Concernant la question de l’incivisme et, de façon générale la crise de la morale, comment s’explique-t-il ?

Je ne sais pas ce que vous appelez incivisme ou crise de la morale. L’on emploie souvent les mots mais tout le monde ne voit pas les mêmes phénomènes. Il y en a qui voient à travers cela les actions des élèves et des étudiants. Pour moi, ce n’est pas cela. A mon avis, ce sont les détournements des deniers publics et les crimes impunis. Et s’il y a des sanctions à ce niveau, ce sont ces gens-là qu’il faut commencer à réprimer ; ceux qui ont le pouvoir de détruire d’autres personnes, de détourner de vraies sommes d’argent.

L’ancien président Jean- Baptiste Ouédraogo s’est insurgé lors du forum des Corps constitués contre l’incivisme grandissant dans les écoles. Alors le Professeur de Philosophie que vous êtes ne pense-t-il que le pays est miné par l’incivisme de ses citoyens ?

Je ne sais pas quelles sont les préoccupations que l’ancien président dont vous parlez a soulevées mais je me méfie des catégorisations générales. Je pense que quand on veut parler d’incivisme, de crises morales, il faut que l’on dise clairement quelles catégories sociales sont visées. Pour ma part, je dis très clairement que ce qui est en jeu, ce sont les crimes économiques de grande ampleur, les crimes de sang et toutes ces atteintes aux droits des citoyens et des travailleurs. C’est cela qui constitue la principale manifestation de L’incivisme et la source même de toutes les difficultés que nous vivons.

Que dites-vous donc de l’ancien DG des douanes libéré pour raison de santé puis candidat aux élections municipales ?

Justement, voilà un exemple. Est-ce que jusqu’à présent quelqu’un a pu nous donner une explication sur ce qui est arrivé à Guiro ? Quel responsable politique ou autorité judiciaire a pu nous expliquer ce qui permet à Guiro d’aller en prison, d’en sortir et aujourd’hui d’être candidat aux élections ? Avez-vous déjà entendu quelqu’un nous en donner une explication ? Voilà, nous y sommes.

Guiro ne faisait pas l’objet d’une condamnation…

Alors, s’il n’avait pas été condamné, que quelqu’un nous explique pourquoi il a été arrêté. Si l’on a eu tort de l’arrêter, que quelqu’un nous le dise également. C’est tout ce que l’on demande. Si l’on ne peut pas régler ce genre de question, c’est difficile de sortir parler d’incivisme et de vouloir donner des leçons à qui ce soit.

Vous voulez donc dire que les plus jeunes sont à l’image des aînés ?

Bien sûr. Vous êtes des journalistes, vous entendez les rumeurs dans les maquis et les réactions sur les sites des journaux rien que sur cette affaire, le nombre de réactions négatives et de critiques. Moi, je demande seulement que quelqu’un puisse nous expliquer pourquoi il en est ainsi. Si son arrestation était un tort, qu’on me le dise. Si l’on n’est pas capable de faire cela, il ne faut pas qu’on nous parle encore d’incivisme.

Le chef du gouvernement lors de sa conférence de presse du 13 septembre 2012 a pris des mesures qui commencent à connaître des applications. Avez-vous foi en ce qu’il fait ?

Il a pris quelles mesures et quels en sont les effets ? Dites-moi.

Des assises ont été annoncées, des listes ont été promises ainsi que des sanctions...

Les assises ont eu lieu, des journaux ont publié des listes, et après ? Est-ce que ceux qui ont été coupables de corruption ont été inquiétés par les assises ou inquiétés par la publication de leur nom sur une liste ? Vous pensez que le fait d’avoir organisé des assises ou d’avoir publié une liste peut dissuader les candidats à la corruption ?

Que faut-il faire alors ?

Si c’est cela, il faut qu’il trouve autre chose encore parce que cela ne suffit pas pour dissuader les candidats à la corruption.

Que proposez-vous ?

Je me dis que si l’on veut dissuader ceux qui sont tentés par la corruption, il faut très clairement pouvoir demander des comptes. Déjà, pour ceux qui sont reconnus comme coupables de corruption, il faut pouvoir organiser au moins des procès, situer les responsabilités et s’il y en a qui sont reconnus coupables, qu’ils purgent leur peine. Ce n’est surtout pas les mettre à la MACO et quelques semaines après, ils se retrouvent dehors et même prétendent à des responsabilités électives. En tout cas, à mon avis, ce n’est pas ainsi que l’on va lutter contre la corruption.

Les élections couplées de 2012 étaient particulièrement une première pour notre pays. Comment les avez-vous vécues ?

Je les ai vécues surtout en tant qu’observateur. J’avais eu à donner une conférence au mois de novembre dans le cadre d’une activité suscitée par la toute nouvelle société burkinabè de droit d’auteur et je devais traiter du thème des enjeux de la participation aux élections. Il faut d’abord relever que ce sont des élections ordinaires dans notre processus. Mais, ce qu’il y a de particulier, c’est qu’elles ont été organisées en même temps le même jour. On peut également noter que le nombre d’inscrits sur la liste est faible par rapport au potentiel global. En plus, à l’intérieur de ce nombre, certains ne sont pas allés voter. Cela veut dire que le chiffre global de ceux qui sont allés voter, si vous faites le rapport avec le potentiel d’ensemble, cela reste faible. Maintenant, quant aux enjeux mêmes des élections telles qu’elles se sont tenues, il faut dire qu’il y a un décalage entre les résultats des urnes et les résultats des élections. Justement, ce décalage jette le discrédit sur notre système. Lors de la conférence de novembre (2012), j’avais déjà entrevu qu’il y avait un risque à travers ces élections par- delà la recomposition des rapports de force entre les partis. Il y a par exemple des partis qui ont eu plus de voix que d’autres et même la perception que nous pouvons avoir à l’issue des élections. Or, telles qu’elles se sont déroulées avec les informations que nous avons eues, il y a beaucoup d’institutions dont l’image se retrouve remise en cause à travers ces élections. C’est cela un des défis pour la suite de notre processus.

De qui voulez-vous parler ?

Je veux parler de la CENI, du Conseil constitutionnel…

Nous avons encore, selon vous, des institutions faibles ?

Je ne sais pas s’il faut parler de faiblesse mais dans tous les cas, elles sont soumises, n’ont pas suffisamment d’indépendance pour réguler la vie sociale. Donc, il y a le risque qu’au lieu de parvenir à prévenir les conflits, elles contribuent elles-mêmes à exacerber les conflits.

A vous entendre, on a l’impression que les gouvernants qui s’installeront bientôt auront du mal à diriger

Evidemment, surtout dans les situations où il a été clairement reconnu qu’il y a eu des fraudes importantes. Quand vous arrivez dans ces conditions, vous n’avez pas besoin de quelqu’un pour vous dire que votre légitimité est remise en cause.

Côté judiciaire, le juge administratif pour une deuxième fois, après 2010, s’est fait remarquer en déclarant les élections entachées d’irrégularités dans l’arrondissement 4. Vous commencez à croire en la Justice burkinabè ?

Je crois que d’abord, il faut saluer le courage du juge administratif. Beaucoup de gens ne s’en rendent pas compte mais dans le contexte de notre pays, c’est un acte de courage qu’il a posé et il faut souhaiter qu’il puisse garder ce cap. Vous avez vu ce qui s’est passé au Conseil constitutionnel. Non seulement, ils ont confirmé le résultat tel que la CENI les a publiés mais ils n’ont même pas osé organiser une audience publique, un procès public sur les recours. Ils n’ont pas voulu que cela ait lieu. C’est un silence qui a une lourde signification. Il faut saluer le fait que d’abord, le tribunal administratif ait reconnu les fraudes et qu’il soit resté sur sa position, en disant oui, il y a effectivement eu des fraudes. Quand les institutions n’ont pas la force de prendre du recul par rapport aux dirigeants, elles ne peuvent pas prévenir les conflits, elles vont au contraire susciter des frustrations et des conflits. C’est là tout le problème de l’enjeu de l’indépendance de la magistrature.

Quant aux résultats, ils ont donné un autre schéma à la scène politique avec l’entrée en scène de l’UPC. Vous attendiez-vous à cette percée de ce nouveau parti ?

Je ne peux pas dire que je m’attendais précisément au succès de l’UPC en tant que tel mais je m’attendais à ce que le CDP recule. A mon avis, si on avait reconnu les fraudes et qu’on avait repris les élections, le recul du CDP serait encore plus grave. Quant à l’UPC, je crois qu’ils ont eu une démarche assez organisée et assez méthodique. Comme vous le savez, il y a d’abord eu ce forum des citoyens pour l’alternance et c’est après cela qu’ils ont créé leur parti qui s’est implanté dans les régions. C’est le résultat du travail qu’ils ont abattu.

Avec cette nouvelle donne, peut-on être en droit de penser que le pouvoir est en train de vaciller ?

Il ne faut pas croire que le pouvoir est déstabilisé. Il recule certes, mais il garde des positions fortes, notamment les institutions. Je vous ai dit qu’il y a un décalage qui s’est manifesté entre le résultat des urnes et le résultat des institutions. Ceux qui croient en l’alternance par les élections, ils doivent maintenant comprendre que le défi n’est pas de gagner les voix des électeurs. Les voix, vous pouvez les gagner dans les urnes mais ce qui sera proclamé ne sera pas conforme à ce qui s’est passé dans l’urne. Comment surmonter ce problème ? C’est là le défi. Avant de croire que le pouvoir a été ébranlé, il faut d’abord réfléchir à cette question. Tant que cette question n’est pas réglée, dans trois ans on peut faire des élections, le candidat du CDP va être battu dans les urnes, mais on va nous proclamer qu’il a été élu et cela va finir par passer. Comment peut-on arriver à prévenir cela ? C’est la question à laquelle ceux qui croient en l’alternance par les élections devraient réfléchir.

Vous, vous n’y croyez pas ?

Disons que je ne me contente pas de cela. J’ai toujours considéré que le jeu électoral tel qu’il se déroule dans nos pays et dans beaucoup d’autres sociétés, ne permet pas d’apporter un changement en profondeur. De mon point de vue, au- delà des élections, il faut accepter d’autres formes d’actions qui peuvent amener de vrais changements.

Vous pensez à quoi ?

Au peuple, les protestations populaires, les soulèvements populaires. Ce sont des formes d’actions par lesquelles on peut amener des changements.

D’aucuns disent que l’UPC a été surprise par sa victoire ?

(Rires) J’ai l’impression qu’il y a deux surprises de mon point de vue. Premièrement, beaucoup sont surpris par l’ampleur du rejet dont le CDP est l’objet. Deuxième surprise, c’est la détermination du pouvoir et du parti majoritaire à défendre ses positions à n’importe quel prix. Beaucoup croyaient qu’il suffisait que les élections aient lieu et que si les électeurs se prononçaient en faveur de tel ou tel parti ou individu, les résultats allaient être entérinés surtout qu’il y a eu l’introduction de la biométrie. Sachez qu’en réalité, on a neutralisé la biométrie. A mon avis, s’il y a eu surprise, c’est à ce niveau.

Une des craintes, au cours de la campagne, c’était la violence. Finalement, c’est arrivé. Quel commentaire en faites-vous ?

Justement, cela veut dire que pour qu’il n’y ait pas ces affrontements, ce n’est pas seulement une question de sensibilisation des militants, mais c’est aussi une question de gestion de la procédure électorale et des résultats. Là où il y a eu des protestations, c’est parce que des gens ont eu le sentiment que le résultat qui a été proclamé n’est pas conforme à ce qui s’est passé dans les urnes. De ce point de vue, il faut dire d’ailleurs que ces affrontements ont été circonscrits et localisés. Il faut craindre qu’à l’avenir, si l’on reste dans cette logique, les choses ne s’aggravent.

Il y a une montée de l’intégrisme dans la sous- région avec la floraison des groupes armés extrémistes. La sous-région et ses institutions seront-elles en mesure de s’en sortir ?

Je ne sais pas si les institutions seront en mesure de s’en sortir mais j’espère que les peuples de la sous-région pourront arriver à s’en sortir. C’est vrai que la situation est difficile mais elle est liée à un contexte. Ce qui est intervenu au Nord-Mali est consécutif à ce qui est arrivé en Libye. Face à cette situation, j’espère surtout que les différents peuples vont trouver les ressources pour surmonter ces difficultés. Evidemment, il va nous falloir un certain temps.

Les positions pour une sortie de crise sont de deux ordres actuellement : la médiation et l’assaut contre les groupes armés. Laquelle conseilleriez –vous ?

Attention, cela dépend de qui affronte. Pas plus tard que samedi dernier (ndlr : 22 décembre 2012), j’ai participé à une conférence à la Bourse du travail au cours de laquelle, le projet d’une intervention extérieure a été clairement condamné. Maintenant, si le Mali a les moyens, avec son armée, de repousser les islamistes, c’est une autre question. Ce qui est important, c’est qu’il faut éviter que ce conflit soit l’occasion pour que d’autres forces encore viennent dominer un peuple. C‘est ce que nous craignons tous. Sinon, on ne peut accepter des acteurs comme les djihadistes et le projet d’une instauration de la charia que ce soit au Mali ou ailleurs. Quant à la manière de les combattre, il faut faire attention pour ne pas créer d’autres problèmes à long terme.

Autrement dit, vous privilégiez la voie de la médiation ?

Si la médiation peut produire des résultats, oui. Mais encore une fois, il s’agit d’agir en respectant le droit d‘un peuple à une certaine souveraineté. Il faut faire attention au sens de la médiation. Si elle avait consisté à accorder la part belle aux djihadistes qui sont sur le terrain, c’est sûr que là aussi, le résultat risque d’être difficile à accepter.

Le Burkina Faso semble réussir sa médiation ; quelle appréciation en faites-vous ?

Je ne connais pas toute l’évolution de cette médiation mais ce que je sais c’est que c’est une médiation qui a été beaucoup critiquée notamment par des acteurs du côté malien même. Comme vous le savez, même hors d’Afrique, on nous a soupçonnés d’avoir des relations douteuses avec les différents acteurs sur le terrain. Je ne peux pas apprécier exactement l’évolution de cette médiation. Je dirai simplement qu’il faut que l’enjeu soit clair : permettre au Mali de recouvrer sa souveraineté sur le Nord- Mali et qu’on accepte pas qu’on s’installe dans cette région pour constituer un territoire à part et séparé du Mali. Si on peut arriver à ce résultat, il faut l’apprécier.

Nous avons abordé certaines questions d’actualité de 2012, comment voyez-vous déjà l’année 2013 ?

L’année 2013 est déjà arrivée. En principe, dans quelques jours nous allons avoir une nouvelle Assemblée nationale, un nouveau gouvernement. Sur le plan politique, ce sont les faits les plus significatifs. Surtout au niveau de l’université, nous avons un effort à faire pour normaliser nos années. A mon avis, ce sont les enjeux que je vois immédiatement pour le début de l’année à venir.

Si vous aviez des vœux pour le Burkina Faso…

(Rires) Je souhaite du courage et du succès à tous ceux qui se battent pour améliorer leurs conditions de vie et aussi à ceux qui se battent pour un approfondissement de la démocratie dans notre pays. Je souhaite en particulier, sur le plan politique, que cette année, on puisse répondre favorablement à la demande des candidatures indépendantes. Je crois que ce serait une mesure qui va vraiment permettre de donner un tout petit plus de crédibilité à notre système.

« Penser l’engagement », le dernier ouvrage du Pr.

Comment faut-il concevoir l’engagement ? Quelles sont les différentes formes de l’engagement ? Quelles sont les implications politiques d’une pensée de l’engagement ? Telles sont les questions principales auxquelles les essais réunis dans cet ouvrage se confrontent. S’appuyant sur une distinction fondatrice entre engagement fondamental et engagement militant, ils développent une réflexion qui s’inscrit à gauche de l’actuelle gauche institutionnelle, en se destinant explicitement à accompagner la lutte pour un autre ordre social par-delà le capitalisme mondialisé. Mahamadé Savadogo est professeur à l’université de Ouagadougou (Burkina Faso) où il enseigne la philosophie morale et politique ainsi que l’histoire de la philosophie moderne et contemporaine. Il a déjà publié plusieurs ouvrages aux Editions L’Harmattan et aux Presses universitaires de Namur. Toute personne intéressée par cet ouvrage de 117 pages peut l’avoir à 13,50 euros.


Propos recueillis par Christine SAWADOGO et Aimé NABALOUM

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