Le Petit Larousse 2009 définit le harcèlement sexuel comme le « fait d’abuser de l’autorité que confère une fonction pour tenter d’obtenir une faveur sexuelle de quelqu’un par contrainte, ordre ou pression. » Il s’exerce très souvent entre des personnes de sexes différents, entretenant des rapports de domination. Rarement traité dans la presse burkinabè, le harcèlement sexuel est cependant une pratique courante. Le tabou qui entoure le sujet contribue à l’entretenir. Cependant, de plus en plus, les langues des victimes se délient. C’est un bon signe en attendant que les textes juridiques se mettent en place.
Mama est victime de harcèlement de la part d’un membre de sa hiérarchie. C’est une jeune femme, institutrice de profession, qui a eu la chance de servir à l’école Centre d’une commune rurale du Sahel pendant trois ans. Elle y serait encore aujourd’hui si entre temps elle n’avait pas eu des « problèmes » avec une personne qui a un pouvoir de décision sur elle. En clair, l’enseignante a refusé de satisfaire les avances d’un agent très influent de la mairie dont elle relève. Pendant deux ans, l’agent a dû ruminer ses frustrations et contenir ses pulsions sans pour autant renoncer à ses prétentions. Ainsi, malgré les refus répétés et fermes de la jeune femme, l’agent administratif continuait de lui faire la cour dans l’espoir qu’elle finisse par céder. La femme est restée sur ses gardes si bien que le jour tant espéré n’arriva point pour l’agent. A bout de ses espérances, celui-ci a décidé d’assouvir au moins sa colère. Avec le pouvoir que lui confère son titre au niveau de la mairie, il peut décider des affectations du personnel des services transférés par l’Etat à la commune. A la rentrée scolaire 2011-2012, il fait affecter Mama, loin de ses yeux. Elle vient de passer l’année scolaire dans une école de la même commune, mais qui est située à une dizaine de kilomètres du chef-lieu où elle était auparavant. Son « prétendant » l’avait prévenue. Pendant les vacances, il l’a appelée une nuit vers 23h pour lui dire qu’il va lui montrer qui il est. Cet appel dans la nuit a failli lui coûter sa relation avec le papa de son enfant qui n’a pas apprécié l’heure choisie par l’agent pour appeler sa concubine. Avec la complicité du Conseiller pédagogique, lui aussi un prétendant déçu, l’agent administratif a mis en exécution sa menace, « j’ai été ainsi mutée arbitrairement ».
Un harceleur peut en cacher un autre
Mama a un enfant de quatre ans qui vit à Ouaga avec ses grands-parents. Elle ne peut pas l’amener à son poste de travail à cause des difficiles conditions. L’eau est une denrée rare. Pour avoir de l’eau « on doit faire quatre kilomètres chaque jour à moto avec au moins deux bidons ». Il n’y a pas de route, il faut braver les dunes de sable et avec le risque de s’égarer, a-t-elle déclaré. Le papa de son enfant, son concubin, exerce dans une autre localité. N’étant pas légalement marié, le couple ne peut pas demander « le regroupement familial ». L’agent administratif de la mairie pensait pouvoir profiter de cette situation. Mais l’institutrice ne compte pas céder au chantage. Elle a préféré subir les « sanctions arbitraires » de son « supérieur hiérarchique ». Elle est la première femme à être affectée dans cette zone que beaucoup de personnes affirment être dure pour les femmes. Elle a tenté un recours en se confiant au Conseiller pédagogique qui fait office d’inspecteur dans sa Circonscription. Mal lui en a pris. L’inspecteur nourrissait les mêmes appétits que l’agent administratif de la mairie. Il s’est proposé d’ « aider » la jeune femme à condition qu’elle accepte ce qu’elle a refusé à l’autre. Evidemment elle a refusé et les deux hommes se sont associés pour lui faire payer son affront. Mama raconte son histoire avec gêne et le cœur lourd. La mélancolie et la peur se lisaient sur son visage pendant qu’elle débitait ses mots. Au bout de son récit, elle lâche « je suis traumatisée ».
Une violation difficile à dénoncer
L’histoire de Mama, à quelques différences près, est celle de dizaines, de centaines, voire de milliers de femmes burkinabè. Ces dernières, à cause de certaines pesanteurs socioculturelles, ne dévoileront peut-être jamais ce qu’elles ont subi ou subissent en tant que femme. Le harcèlement sexuel est une réalité au Burkina. Il existe dans les milieux professionnels, dans les services publics comme privés, dans les milieux scolaires et universitaires, partout ou les femmes et les hommes sont amenés à travailler ensemble. Selon une étude réalisée en 2004 au Burkina par l’ONG Marche Mondiale des Femmes, plus de 65% de femmes ont déclaré avoir été harcelées sexuellement dans leur lieu de travail. A l’opposé, les hommes aussi peuvent faire l’objet de harcèlement sexuel de la part de leurs collègues femmes surtout quand celles-ci sont leurs supérieures hiérarchiques. Ils représentent 52% les hommes qui déclarent avoir été harcelés selon la même étude. Cependant, toutes les enquêtes réalisées sur le harcèlement sexuel se sont confrontées à la réticence des femmes à parler et souvent même au refus total de se confier. Cela révèle la sensibilité du sujet qui touche à l’intimité et à la dignité des victimes. Mariam Koné, membre de l’Association des femmes juristes, soutient que « le harcèlement touche à l’intimité de la victime. Dénoncer un tel fait, c’est quelque part exposer son intimité ». Un autre obstacle à la dénonciation, selon la juriste, c’est la difficulté d’apporter les preuves du harcèlement. Selon elle, « il est même plus courant et plus facile de dénoncer un viol qu’un harcèlement ».
Une étude réalisée par le Centre de Recherche et d’Intervention en Genre et Développement (CRIGED) et qui porte sur les violences sexistes en milieu universitaire, fait ressortir que 16 sur 596 des personnes enquêtées soit 2,7% confient avoir été victimes de violence sexuelles alors qu’à la question de savoir si elles connaissent des personnes qui ont été victimes de harcèlement sexuel, 48 étudiant(e)s soit 8,1% (plus du triple) répondent par l’affirmative. Les milieux de jeunes notamment scolaires et universitaires sont les endroits où le harcèlement sévit le plus selon Mariam Koné. Le harcèlement sexuel fait partie d’un ensemble de pratiques appelées violences sexistes. Les violences sexistes peuvent être d’ordre sexuel, physique, moral/psychologique, verbal. Selon l’étude du CRIGED, « La notion de violences sexistes renvoie à un ensemble de comportements implicites ou explicites à l’égard des individus motivés par leur appartenance à l’un ou l’autre sexe. Ces violences intègrent les images relatives aux attributs de la masculinité et de la féminité dans la société et s’expriment par des rapports de pouvoir et de domination ».
Le mutisme du code pénal
Pour faire face au harcèlement sexuel, le cadre institutionnel au Burkina Faso s’appuie sur l’existence de ministères comme celui en charge de la Promotion des droits humains, le ministère de l’Action sociale et le ministère de la Promotion de la Femme. Les femmes victimes de harcèlement sexuel passent très souvent par les ministères ou les associations militantes pour prendre des conseils ou pour porter plainte au niveau de la Justice. Au plan juridique, le code du travail révisé en 2004 a permis de prendre en compte désormais le harcèlement sexuel comme un délit passible de peine. Les articles 47 et 388 du code du travail punissent le harcèlement sexuel en milieu de travail. Les peines sont soit une peine d’amende allant de 50 000 à 300 000 F CFA, soit une peine d’emprisonnement d’un mois à trois mois. Mais le plus souvent, les femmes sont réservées à porter plainte. Elles préfèrent utiliser l’argument de l’affectation ou du licenciement abusif puisque, en cas de résistance de la femme, son harceleur est souvent décidé à se séparer de cette dernière. Mais des lacunes subsistent au plan juridique. Il s’agit notamment de la non prise en compte du harcèlement sexuel dans le code pénal burkinabè. Depuis plusieurs années, des organisations comme la Marche Mondiale des Femmes revendiquent que le harcèlement sexuel soit explicitement inscrit dans le code pénal. Si le code du travail permet à la femme employée de porter plainte pour motif de licenciement abusif ou pour plus franchement harcèlement sexuel, le silence du code pénal sur la question laisse un vide juridique, ce qui ne permet pas de protéger les milieux scolaires et universitaires par exemple. Les élèves ou les étudiantes victimes de harcèlement sexuel peuvent souvent reprendre plusieurs fois une classe à cause des sanctions non justifiées d’un enseignant. Les conséquences du harcèlement sexuel sont plus fâcheuses : le stress, la honte, l’angoisse, l’atteinte à la dignité, les grossesses non désirées, les avortements clandestins, les MST/Sida, la baisse de rendement, l’effondrement de foyer, l’échec scolaire, les suicides, etc. La révision du code pénal, si elle devrait se faire, marquerait une avancée dans la lutte contre le harcèlement sexuel. Ensuite, il faudrait que les tabous soient levés afin de faire droit à la Justice.