Le 21 décembre dernier, le Conseil constitutionnel a proclamé les résultats définitifs des élections législatives du 2 décembre 2012. Pour mieux appréhender l’incidence de ces résultats, nous avons eu un entretien avec le Pr Abdoulaye Soma, agrégé des Facultés de Droit, président de la Société burkinabè de droit constitutionnel. Du processus électoral qui vient de connaître son aboutissement, à l’avenir de la démocratie dans notre pays, en passant par l’incidence multidimensionnelle des résultats qu’on vient d’avoir, le Pr Soma livre son analyse.
Lefaso.net : Quelle appréciation faites-vous du déroulement du scrutin du 02 décembre 2012 ?
Globalement, tout s’est bien passé, tout s’est passé à peu près comme le voudrait le droit et la règlementation électorale dans notre pays. Je dis bien globalement puisqu’il y a eu avant, pendant et après les élections, un certain nombre de difficultés. Certaines difficultés ont été très graves, il a fallu gérer, mais qu’on n’a pas réussi à gérer.
Pendant la précampagne, on a vu dans le processus de désignation des candidats quelques frustrations. On a aussi vu des mécontentements qui se sont manifestés à la suite de l’annulation de certaines candidatures ; ce qui est tout à fait normal.
Je vais mettre l’accent ici sur un des points faibles, et même le point le plus critique de ces élections, c’est que la CENI (Commission électorale nationale indépendante) n’a pas pleinement joué son rôle. On est allé à la biométrie en pensant pouvoir faire des élections à peu près parfaites. Mais on a mal géré la biométrie. L’opération d’enrôlement des électeurs s’est très mal passée. C’était aussi le cas avec la répartition des bureaux de vote. Toutes ces opérations mal menées constituent un échec lamentable de la CENI. Ce n’est pas que cela est de nature à remettre en cause les résultats, quoi que d’ailleurs si on fait le point de tous ceux qui n’ont pas pu voter, et on fait le point de ceux qui ont voté des bulletins nuls ou blancs dont le nombre est exceptionnellement très élevé, on peut se poser la question de la validité même de ces élections.
Moi-même je n’ai pas pu voter. Je suis allé faire une heure de rang. Arrivé au moment de voter, toutes les 5 personnes qui me précédaient n’ont pas vu leurs noms sur le fichier du bureau de vote auxquels elles avaient été affectées, moi y compris. On nous dit de faire le tour des bureaux de vote pour vérifier. Après une heure d’attente, personne ne pouvait encore se permettre cela. Ils sont très nombreux à avoir été dans cette situation, trop nombreux pour les moyens qu’on a donnés à la CENI. Et ça, c’est vraiment détestable dans un système électoral et pour une organisation qui est chargée spécialement et techniquement d’organiser des élections aussi importantes dans un pays. Je suis très énervé quand je parle de ça, parce que le vote est un droit. La CENI n’a pas à violer les droits fondamentaux des citoyens, c’est-à-dire le droit constitutionnel d’être électeur, mentionné à l’article 12 de notre constitution. La CENI l’a violé à l’égard de plusieurs personnes. Si ces personnes voulaient une annulation de ces élections, ça ne posait aucun problème.
J’ai, par contre, apprécié le comportement des partis politiques. Ils se sont vraiment comportés vraiment dans les règles du droit. Toutes les contestations ont été faites devant le juge. A l’intérieur des partis, il y a eu d’autres types de contestations, des démissions, même des joutes verbales, des injures. Mais c’est très encourageant que les formations politiques aient privilégié la voie du règlement juridictionnel de leurs contestations. On a vu le contentieux électoral se dérouler devant le Conseil constitutionnel.
En résumé, je retiens que les élections se sont globalement bien déroulées, mais avec de graves problèmes dont la majeure responsabilité pèse sur la CENI. Et je pense que la CENI n’a pas joué son rôle.
Les résultats définitifs des législatives sont à ce jour connus. Quel commentaire vous suscitent-ils ?
Une double observation. 1ère observation, c’est que le parti présidentiel garde toujours la majorité avec 70 sièges. Au final, le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès) garde la majorité à l’Assemblée nationale (AN). Ce qui marque une certaine continuité politique dans notre pays. Les citoyens ont envoyé une majorité au même parti au pouvoir depuis 1991. Ce qui fait qu’on ne se donne pas l’occasion d’un certain renouvellement de l’élite dirigeante, parce que c’est le même parti qui va travailler avec les mêmes cadres que nous connaissons. Ça, c’est une vraie leçon à tirer.
2e observation, c’est que quand même le parti a une majorité beaucoup plus reculée que ce qu’on attendait. Si sur 127 députés, il s’en sort avec 70, il n’a pas la majorité qualifiée (2/3), mais la majorité absolue. C’est bien d’avoir la majorité absolue pour gouverner, parce que les lois sont votées à cette majorité absolue.
Je pense que ces élections sont à comparer avec les élections de 2002 avec l’adoption des régions comme circonscriptions électorales et le mode de représentation proportionnelle avec le plus fort reste. Ça permet à certains partis d’opposition de monter un peu, ça permet d’équilibrer le jeu politique. L’UPC (Union pour le changement) qui n’existait pas lors des dernières élections, ni législatives, ni municipales, ni présidentielles, même si à la présidentielle passée il était déjà créé, devient la 2e force politique du pays. L’UNIR/PS (Union pour la renaissance/ Parti sankariste) a reculé ; il n’est plus ni 2e, ni 3e force politique du pays. Ce qui donne quelques enseignements de ce point de vue.
Alors, une des choses qu’il faut retenir de cette majorité, c’est que le CDP pourra gouverner aisément. Mais ça va être compliqué de vouloir modifier la Constitution seul, parce qu’à l’article 164 de la Constitution, pour modifier cette Constitution, il faut la majorité des 2/3. Majorité des 2/3, on est autour de 80 députés, ce que le CDP n’a pas. Peut-être pourra-t-il utiliser des alliances politiques, si jamais il y a nécessité objective de réviser la Constitution. En tout cas, à l’étape actuelle des choses où on ne sait pas quel est le jeu des alliances, on peut dire que la Constitution ne pourra pas être modifiée par la volonté d’une seule formation politique, le CDP, qui peut avoir cette prétention.
On sait également qu’il y aura démission du Premier ministre, remaniement ministériel, session de l’Assemblé nationale, reconstitution du Sénat. On va avoir une parfaite image de notre échiquier politique au 1er trimestre de 2013. On verra quel est le poids du Sénat, est-ce-que ça peut contrebalancer un peu l’Assemblée ? Comment se reconfigurent les groupes parlementaires, les alliances politiques ? Tout cela va permettre de faire des analyses beaucoup plus exactes. Mais si le CDP fait alliance avec l’ADF/RDA, ils auront ce qu’il faut pour modifier la Constitution. Donc les analyses actuellement sont faites sous réserve. Mais c’est bien de prendre des analyses à chaud.
Ces résultats affichent 6 partis politiques qui n’ont eu qu’un siège. Qu’est-ce-qui, selon vous, explique cela ?
Cela explique le fait que les vraies formations politiques au pays ne sont pas nombreuses. Je pense qu’à part le CDP, l’UPC, l’ADF/RDA, l’UNIR/PS qui a quelques 4 députés. Il y a à peu près 5 formations politiques qui ont pu avoir un député. Même parmi ces 5, il y en a qui ne sont pas sérieux. Ça montre à peu près à quoi ressemble la totalité des formations politiques chez nous. Ça montre qu’on exploite l’échiquier politique pour rien.
Le fait que plusieurs partis politiques puissent avoir des sièges est dû au mode de scrutin qui est la représentation proportionnelle avec méthode complémentaire au plus fort reste, et avec aussi une liste nationale qui récapitule les suffrages exprimés dans les différentes régions. C’est un système qui permet en fait aux petites formations politiques d’avoir 1 ou 2 députés. Le système actuel a pour fonction de diversifier un peu la représentation nationale, mais aussi de donner la possibilité à un parti politique de pouvoir gouverner. Je pense que les partis politiques qui ont eu un seul député doivent leur siège au mode de scrutin.
Avec les résultats de ces élections, peut-on dire aujourd’hui que les partis politiques sont suffisamment représentatifs du peuple burkinabè ?
Les vertus de la représentation proportionnelle, c’est de représenter les partis politiques proportionnellement à leur poids dans l’opinion politique. Ça veut dire que les partis qui n’ont qu’un député n’ont que 1% de l’opinion politique, en tout cas dans la lecture du système qu’on a adopté. Il me semble qu’il faut être beaucoup plus sérieux en matière de création, de maintien, d’accréditation des formations politiques dans notre pays. Depuis 1991, on est passé au multipartisme. On a même mis le multipartisme parmi les objets qu’on ne peut pas modifier, sur lesquels on ne peut pas revenir, à l’article 165 de la Constitution. Alors, on voit que ce multipartisme, avec le mode de scrutin qu’on a adopté, favorise la création de petites formations politiques qui ne sont pas assez représentatives au sein de l’opinion. Ce qui est tout à fait désagréable et nuisible à la maturité démocratique de notre pays.
Si on veut vraiment faire les choses sérieusement, qu’on commence d’abord par appliquer la Constitution dans ses articles 11, 12 et 13. Avec ces articles, on a les conditions de création de parti politique. Un parti politique doit avoir à la fois une représentation nationale et régionale. Si on applique ce critère, il y a au moins 100 partis politiques qui tombent. Un parti politique doit avoir l’ambition de conquérir et d’exercer le pouvoir politique d’Etat. Si on applique ça aussi, les partis qui sont créés pour soutenir tel ou tel candidat, sont éliminés, pas par méchanceté, mais parce que la Constitution le dit.
Les partis politiques doivent aussi assumer trois fonctions que la constitution a indiquées. Il y a l’animation de la vie politique à travers les conférences, l’éducation du peuple. Mais on constate que les partis politiques ne font jamais de conférence. Un parti qui n’anime pas au moins deux conférences dans l’année est à éliminer parce que c’est la Constitution qui lui confie cette mission politique. La 2e fonction, c’est l’expression du suffrage. Un parti qui ne participe pas à deux élections consécutives de même nature n’est pas constitutionnellement valide. Si on n’applique que la constitution, on va se retrouver avec au maximum 5 partis politiques au Burkina Faso.
Mais à qui profite la création de ces petites formations politiques ? Aux petites têtes qui veulent s’enrichir puis qu’on a un financement public au profit des partis politiques et il n’y a pas de loi sur le contrôle de la gestion des dépenses de campagne. Si on avait une loi de moralisation de la vie politique, des lois d’encadrement de l’échiquier politique, on n’aurait pas un tel nombre de partis.
On n’a qu’une seule loi, sur le financement public des partis. Alors qu’on doit avoir une loi sur la régularisation des dons, sur les financements privés. L’absence de telles lois permet au CDP de battre campagne avec 1 milliard de francs CFA, alors que d’autres n’ont que 30 millions FCFA. Dans un pays pauvre, ça déséquilibre le jeu politique. Il y a également les lois sur le contrôle des comptes de campagne qu’on n’a pas. On doit aussi avoir une loi sur le plafonnement des dépenses de campagne, parce qu’il y a une certaine décence à respecter. On est dans un pays pauvre, on ne peut pas se permettre 5 milliards dans une campagne en deux semaines. Ces lois existent dans plusieurs pays comme la France, l’Allemagne, le Benin. Mais comme le système est laxiste au Burkina du fait de l’absence de ces lois, les gens profitent. C’est bien qu’on ait adopté une loi sur le financement public ; mais cette loi doit être immédiatement accompagnée d’autres lois. Alors, comme il y a de l’argent public à se partager, vous créez votre parti politique, vous aurez au moins 1 million et c’est assez avantageux. Et en général, ces petites formations politiques tournent autour de 2 ou 3 personnes, et le bureau politique est fictif. Et ce sont ces 2 ou 3 personnes qu’on voit, et qui se partagent les financements. Tant que le système va continuer à être laxiste, les gens vont continuer d’en profiter, et le peuple va continuer à en souffrir. Idéologiquement, si on veut rentrer en profondeur, il n’y a pas 170 lignes idéologiques à exploiter.
A défaut de pouvoir limiter constitutionnellement si on tient compte du fait qu’on ait verrouillé le multipartisme, il faut appliquer les conditions de création de partis politique. Cela va décanter légalement la situation et on aura 3, 4 ou 5 formations politiques au maximum. Quand on sera dans cette situation, vous verrez, parce qu’il y aura 2 ou 3 partis politiques qui seront capables de diriger le pays. Les autres ne seront que des partis d’appoint avec lesquels on peut faire coalition pour renforcer sa majorité. Dans ces conditions, les partis feront tout pour être appréciés par le peuple, et les partis qui auront le pouvoir se verront obliger de prendre des décisions dans l’intérêt du peuple.
Globalement et comme vous le dites, ça profite au fondateur, mais que dire de ces petites formations qui se créent uniquement pour soutenir le parti au pouvoir, est-ce que le profit majeur n’est pas pour ce dernier ?
Dans la définition de partis politique, il y a un critère qu’on appelle le critère de l’ambition politique que tout parti politique doit avoir. Le parti doit avoir la volonté de conquérir et d’exercer le pouvoir politique. Un parti politique ne doit pas pouvoir se créer uniquement pour soutenir une seule personne, ou un autre parti. Il doit avoir même l’ambition de prendre la place du parti qu’il prétend soutenir. Les alliances sont possibles ; mais l’ambition première c’est de conquérir le pouvoir politique. Un parti qui, à sa conférence de création déclare soutenir un autre, doit être interdit de fonctionnement ; et ce, en appliquant que la Constitution.
Je pense que la validation même des partis politiques ne doit pas être l’affaire du ministère de l’Administration territoriale ; ça doit être l’affaire du Conseil constitutionnel. C’est une violation grave de la Constitution qu’on est en train de commettre. Les critères de constitution de partis politiques sont contenus dans la Constitution (articles 11, 12 et 13). Et le seul organe chargé d’appliquer la Constitution chez nous, c’est le Conseil constitutionnel. Il est le seul à pouvoir regarder les papiers d’un parti qui veut se présenter, est-ce qu’il est conforme à la Constitution ? Cette mission doit être confiée au Conseil constitutionnel, pas au ministère.
13 partis politiques à l’Assemblée nationale, vous avez tantôt parlé d’une possible coalition CDP-ADF/RDA, est-ce qu’on peut s’attendre à d’autres possibilités de coalitions ?
Le CDP ayant à lui seul 70 sièges, même si tous les autres partis décident de faire coalition, ils ne peuvent pas contrebalancer le CDP. Ça peut seulement améliorer le jeu politique. Le CDP pourra gouverner normalement, sauf à vouloir modifier la Constitution ou adopter des lois organiques, auquel cas il aura besoin de la coalition pour avoir la majorité qualifiée requise. Donc, si tous les autres partis font coalition, pour l’adoption des lois organiques sur le Sénat, sur le Médiateur du Faso, sur le Conseil supérieur de la communication, sur le genre, le CDP sera obligé de discuter. Il est aussi évident que toutes les autres formations politiques ne pourront pas, ou ne voudront pas faire coalition. Ça c’est quand même regrettable, mais je pense qu’on ne peut s’attendre à une coalition de leur part.
A part l’ADF/RDA, je ne vois pas l’UPC en train de faire coalition avec le CDP. En tout cas au regard de ce que ses dirigeants ont déjà dit. En plus de l’UPC, d’autres partis comme l’UNIR/PS, l’UPR, je les vois pas non plus en train de faire Coalition avec le CDP. Aussi, quand on se rappelle que l’ADF/RDA avait pris ses distances par rapport à un certain nombre de dispositions dans le débat sur la révision constitutionnelle, on peut noter qu’une coalition CDP-ADF/RDA ne relève pas de l’évidence. Mais comme c’est un domaine du donné et du recevoir, on va attendre de voir.
Le jeu des alliances n’étant pas encore clair, quel impact sur la démocratie dans ses dimensions autres qu’institutionnel, ces 13 sensibilités politiques sont-elles à même d’avoir ?
Je pense que ça dépendra des scénarii. Si on prend un 1er scénario où les choses restent ainsi, le CDP va pouvoir gouverner. Mais pour conduire certaines choses, il va devoir négocier. Qui dit négocier, dit concertation où on laisse tomber certaines choses. Et cela va pouvoir rationnaliser le poids politique du CDP.
2e scénario, si toutes les autres formations d’opposition font coalition contre le CDP, cela va rationaliser encore davantage le jeu parce que là y aura un poids lourd devant avec qui il faut discuter. Il y a même des mécanismes de contrôle aux articles 114, 116 de la Constitution sur la question de confiance, sur la motion de censure, qui peuvent être soulevées par l’opposition. Cela gêne un peu et amènera le parti au pouvoir à se recentrer, à faire beaucoup plus attention dans ses prises de décision. Et cela améliorera encore notre démocratie.
Mais si le CDP arrive à faire coalition avec l’UPC ou l’ADF/RDA, il n’aura plus besoin de négocier. S’il réussit à faire une telle coalition et qu’il veut modifier l’article 37 de la Constitution par voie parlementaire, eh bien, ça passe comme une lettre à la poste. On fait prendre l’initiative par les parlementaires ou par le chef de l’Etat, on fait voter la prise en considération au titre de l’article 163 de la Constitution à la majorité simple, ça passe ; et on fait voter maintenant l’adoption définitive de la loi à la majorité qualifiée des 2/3, ça passe sans aucune violation de la Constitution. L’article 37 est à peu près le nœud, ou en tout cas l’un des nœuds de notre démocratie. Et si on le défait, ça va poser un certain nombre de problèmes.
L’UPC s’affiche à l’issue de sa 1ère participation électorale comme étant la 2e force politique du pays. Selon vous qu’est-ce qui explique cela et quel avenir en tant que constitutionnaliste vous pouvez présager de cette formation politique ?
Alors, ce qui peut justifier cette arrivée en force, c’est 2 choses. D’abord, le discours des dirigeants de l’UPC en ce qu’ils se sont placés résolument dans l’opposition incompressible à l’égard du chef de l’Etat, et ils ont tenu un message de changement. Et apparemment, les gens ont besoin de ce changement.
Deuxième chose, l’UPC a pris le peuple Burkinabè de cours. Ils ont été stratégiques, ils ont su que l’élection présidentielle de 2010, ils n’allaient pas la gagner. Et s’ils étaient à cette élection et qu’on les avait battus lamentablement, ils n’auraient pas eu un tel score à ces élections de 2012. Donc, ils arrivent aux législatives de 2012 comme la nouvelle force crédible. Et c’est ce qui a fait baisser l’UNIR/PS, lamentablement battu à la présidentielle et qui a abordé ces législatives sans renouvellement de discours. Mais l’UPC doit voir dans cette confiance, un défi de maintenir le cap lors du fonctionnement du parlement. Il faudra que sa contribution soit très visible ; le peuple va être très attentif.
Pour l’avenir, honnêtement je ne pense pas que l’UPC puisse constituer une alternative crédible ; en tout cas, pas au stade actuel. Je ne crois pas que d’ici à trois ans, l’UPC puisse prendre le pouvoir. Même si le CDP décide de ne pas présenter Blaise Compaoré, il gagnera ; en tout cas s’il reste ainsi avec le soutien de Blaise Compaoré, dans son état actuel.
Pour gagner une élection présidentielle et prendre la tête du pouvoir, il faut vraiment travailler dur. Et l’UPC est trop nouveau pour cela. Et puis, il ne faut pas oublier que les dirigeants de l’UPC ont à un moment collaboré avec la mouvance. Diabré lui-même a été ministre avec Blaise, Ouali était dans la mouvance à travers le RBD il n’y a pas longtemps. Les gros bonnets de l’UPC ont flirté avec le pouvoir. Et quand on a flirté avec le pouvoir, il y a des traces qu’on laisse. Et ça, on peut jouer là-dessus.
Le président sortant de l’Assemblée nationale Rock Marc Christian Kaboré, dans son discours de clôture de la dernière session de l’institution parlementaire, appelait à l’observation d’une certaine vigilance dans le contexte de l’élection présidentielle de 2015. Vous avez évoqué tantôt cette échéance électorale qui se profile à l’horizon, est-ce que vous partagez cet appel à la vigilance ?
Je pense que tous les Burkinabè doivent observer une vigilance, parce que ces élections constituent un tournant décisif de notre démocratie. En tout cas on sait que les gens sont déjà vigilants, attentifs, inquiets, de voir ce que ça va donner. Je pense que le maximum du jeu se passe au niveau du CDP. La plus grosse responsabilité pèse sur ce parti. Ça dépend du management politique que le CDP va avoir pour cette élection. Si on décide de maintenir Blaise Compaoré comme candidat du CDP, il va falloir modifier la Constitution. Il y a déjà eu des positions officielles braquées contre ça, il y a même eu une initiative qui s’est affichée contre une telle modification demandant de mettre l’article 37 sur la liste des articles qu’on ne peut pas modifier. Si le CDP veut aller dans ce sens, il va devoir affronter directement certaines opinions non négligeables de la société. Et cela va créer quelques frictions, quelques difficultés politiques, quelques dépréciations.
Mais si le CDP décide de ne pas maintenir Blaise Compaoré, et de désigner quelqu’un d’autre à qui il pense pouvoir confier la mission du parti pour assurer la continuité, on pense à son petit frère, ça va être assez délicat. Même à l’intérieur du CDP, il va y avoir des problèmes. Je pense que pour le peuple, le meilleur scénario, est que Blaise décide de ne pas se représenter, de laisser le jeu se faire librement pour la désignation du candidat au sein du CDP.
En dessous de Blaise, il n’y a pas beaucoup d’ententes. Et ça, on l’a vu à plusieurs reprises. Si le CDP n’impose pas et qu’on a une nouvelle tête politique sans modification de l’article 37, je pense que le jeu va être calme, et les résultats seront acceptés.
A vous entendre Pr Soma, vous semblez dire que l’alternance à la Présidence du Faso ne viendrait qu’avec la volonté de Blaise Compaoré de ne pas se représenter…
Je pense honnêtement que oui ! Au sein du CDP, on sait qui il est, il est le chef charismatique de ce parti ; et s’il dit aujourd’hui qu’il veut être le candidat de ce parti, je ne vois pas qui, à l’intérieur du CDP, pourrait s’y opposer. Donc le CDP sera amené à prendre une position qui entérine cette volonté. S’il dit qu’il veut être président, le CDP est obligé de vouloir une modification de la constitution, notamment l’article 37. Et cette situation va déplacer le débat politique sur le champ constitutionnel. Eh bien, en ce moment, nous on s’exprimera, notamment sur la philosophie politique qui est derrière l’article 37, sa révisibilité, etc. en un mot, sur toute la charge démocratique, juridique et morale de l’article 37, on aura l’occasion d’engager le débat dans ce sens. Voilà à peu près comment les choses se présentent. Ça tient beaucoup au CDP, et à l’intérieur du CDP, ça tient beaucoup à la personne du chef de l’Etat actuel.
Vous êtes le président de la Société burkinabè de droit constitutionnel (SBDC). Présentez-nous brièvement cette société, ses principales missions, et l’attente que l’on est en droit d’avoir d’elle pour le mieux-être de notre démocratie ?
La SBDC fait partie de la catégorie de sociétés savantes. Ce sont des sociétés qui fixent des objectifs et qui visent en réalité des objectifs par la science, par le savoir. Et cette société a été créée en mars 2012 et a tenu sa première Assemblée générale le 26 mai 2012. La société est prête à assurer ses missions. Elle travaille à contribuer à l’amélioration de la démocratie, à l’amélioration de la protection des droits constitutionnels, c’est aussi contribuer à l’amélioration de l’enseignement du droit constitutionnel en tant que droit qui encadre l’organisation politique d’un Etat. Ce sont là ses trois objectifs majeurs.
L’atteinte de ces objectifs passe par des activités fondées sur la science, l’émission d’avis techniques, par exemple sur l’article 37 de notre constitution. La société regroupe tout ce qu’il peut y avoir comme compétence technique majeure en matière constitutionnelle et politique dans ce pays. Au rang des membres, il y a le Pr Filiga Sawadogo qui a été membre du Conseil constitutionnel, Pr Augustin Loada, le Dr Luc Marius Ibriga, le Dr Larba Yarga, et bien d’autres collègues. La société regroupe une masse critique importante en matière d’analyses constitutionnelles, politiques ; et on veut mettre cette masse critique à la disposition de notre pays pour l’amélioration de la démocratie et des droits fondamentaux. Et donc s’il y a une question technique sur le plan politique, démocratique, constitutionnel, la société donnera un avis soit de sa propre initiative, soit quand elle est approchée officiellement. En tout cas, les gens diront les choses en fonction de leur conviction scientifique, pas personnelle, ni politique. On livre des conclusions scientifiques et le reste, ça se joue chez les politiciens ; moi je ne fais pas de politique.
Quel avenir pour la vie politique au Burkina Faso ?
Il va falloir rationnaliser d’abord la vie politique. Tant qu’on n’aura pas fait cette rationalisation, on va naviguer à vue. Et cette rationalisation peut venir par deux chemins.
Premièrement, appliquer la constitution. Il y a des dispositions intéressantes là- dedans. Deuxièmement, limiter le nombre de partis politiques en fonction des obédiences idéologiques qui sont exploitables aujourd’hui. Si on prend le libéralisme, il y a à peu près 80 partis qui se réclament de cette idéologie. Ça veut dire que les gens ne savent pas en réalité de quoi il s’agit.
Il faut vraiment qu’on arrive à rationnaliser notre vie politique. Le peuple aura ainsi une vision claire de qui est-ce qu’on peut choisir. Des alternatives crédibles se mettront en place. Et à gouverner sans concurrence, on gouverne sans talent. Celui qui gouverne, s’il sent qu’il n’y a pas de concurrents, il ne fera pas d’efforts au profit du peuple. Avec la rationalisation les partis politiques pourront assurer leurs fonctions sociales politiques, culturelles de façon démocratique.