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Bata/Guinée équatoriale : Division au sein de la communauté burkinabè « Le consul ne joue pas son rôle »
Publié le mardi 27 janvier 2015  |  Le Quotidien




Il n’est pas facile d’être Burkinabè en Guinée Equatoriale, surtout lorsque l’on n’a pas tous ses « papiers », comme c’est le cas de près de 600 Burkinabè qui animent la vie au carrefour Bovano, dans la ville de Bata. Ce carrefour, communément appelé carrefour burkinabè, est réputé être le lieu de retrouvailles des Burkinabè. Ceux-ci y passent la journée dans l’espoir de décrocher un contrat journalier, peu importe le boulot : vidange, jardinage, maçonnerie…Ils vivent un quotidien difficile, marqué par les tracasseries policières, les jeux de cache-cache avec la police, le rapatriement, l’emprisonnement et la division au sein de la communauté. Pire, il n’y a personne, comme ils le disent, pour les aider en cas de problèmes. Même pas le consul qu’ils accusent de les avoir « délaissés ». Zoom sur le quotidien des Burkinabè vivant à Bata.
Adossé au mur, manipulant deux téléphones portables, Abdoulaye Nombré semble préoccupé par quelque chose. Les taquineries des jeunes assis près de lui n’ont aucun effet sur lui. Le « côrô », comme l’appelle ses jeunes frères, se demande bien s’il aura un contrat en cette matinée du 24 janvier 2015. Depuis 7 h, comme à son habitude –c’est d’ailleurs le cas de nombre de jeunes burkinabè- il est assis au carrefour Bovano dans l’espoir qu’un « boss » vienne le solliciter pour des petits boulots : maçonnerie, vidange, menuiserie, jardinage. Bref, tout ce qui relève du bricolage. A travers ces petits boulots, il gagne entre 10 000 F et 20 000 F par jour. Ce sont également ces petits boulots qui lui permettent d’assurer sa ration alimentaire à raison de 5 000 F par jour et de payer son loyer à 25 000 F. Ce sont ces petits boulots qui alimentent le quotidien de Abdoulaye Nombré, depuis un an qu’il est à Bata. N’ayant pas de papiers (passeports, visas et carte de séjour notamment), il est contraint à ces petits contrats pour gagner sa vie. Mais les papiers, Abdoulaye Nombré les avait. « Mes papiers sont tous restés à Ebibeyin, à la frontière du Cameroun ». Après avoir travaillé avec des Chinois à la frontière du Cameroun et obtenu l’argent du transport pour la Guinée Equatoriale, Abdoulaye Nombré s’est vu arrêté par les policiers équato-guinéens alors qu’il venait de franchir la frontière. Non seulement il a été jeté en prison où il a passé 6 mois, mais aussi tous ses papiers ont été confisqués. Il raconte sa galère : « Il n’y avait personne pour nous donner de la nourriture. On ne connaissait personne ici. On souffrait là-bas (ndlr : en prison). Ils ont rapatrié les autres. Nous sommes restés 5. Après, on nous a libérés ». Mais en réalité, il n’est pas totalement libre, même après cette libération. Il est toujours sur le qui-vive dès qu’il voit un policier. « Quand il y a des rafles, on fuit pour aller se cacher en brousse. Lors des rafles, les policiers vont jusqu’à défoncer les portes pour appréhender les gens. Lorsqu’on nous amène au commissariat, nous sommes obligés de payer 150 000 F ou 250 000 F pour qu’on nous libère. Souvent, même quand tu paies cette somme, on te rapatrie. Et quand on te rapatrie, c’est toi qui dois payer ton billet. Et ce sont tes amis qui doivent cotiser pour payer le billet. S’ils n’y parviennent pas, tu restes en prison », raconte Abdoulaye Nombré. Le pire dans tout ça, fait-il remarquer, « c’est que le consul de Bata ne joue pas son rôle ». Et de poursuivre : « Quand nous étions en prison, nous ne l’avons même pas vu. Il n’est jamais venu nous voir. Un jour, nous avons dit aux policiers qu’ils peuvent au moins nous permettre de rentrer dans notre pays s’ils ne veulent pas de nous. Ils nous ont dit que c’est le consul qui peut gérer ce problème. Mais, il n’est jamais venu. C’est le consul qui est à Malabo qui est venu nous voir un jour. Il nous avait donné 20 000 F. Il avait promis de mener les démarches pour qu’on nous rapatrie. Deux jours après, on n’a plus eu de ses nouvelles ». Le consul n’est autre que Laurent Sorgho. Les tracasseries policières empêchent Abdoulaye Nombré de soutenir sa famille sa femme et son enfant restés au pays comme il se doit. Toutefois, il assure leur envoyer de l’argent chaque mois. Cette situation que vit Abdoulaye Nombré est partagée par les 600 Burkinabè qui fréquentent le carrefour Bovano.

« Chacun pour soi, Dieu pour tous »

Les trois années passées à Bata ont permis à Adama Songné de se forger un mental de fer. « Je ne compte sur personne », dit-il. « Chacun pour soi, Dieu pour tous », renchérit-il. Adama Songné enfonce le clou : « Quand tu tombes malade, seul ton frère peut te soutenir. Quand je dis frère, je ne parle pas de celui qui est de la même ethnie que toi, mais celui qui vient du même village que toi. C’est ce dernier qui va t’aider avant que les autres ne fassent un geste». A l’en croire, la solidarité n’est pas la chose la mieux partagée au sein de la communauté burkinabè. « Quand je suis arrivé ici en 2012, mes frères burkinabè ont refusé que je prenne part aux réunions, parce que je n’avais pas d’argent pour payer les cotisations. Comment voulez-vous que quelqu’un qui vient à peine d’arriver puisse avoir 250 000 F pour les cotisations ? », s’interroge-t-il, indigné. Le président de la communauté burkinabè à Bata, Alabi Gafaron, lui aussi, soutient que les Burkinabè sont divisés. Il accuse le consul d’être à l’origine de cette division. Il entretient des rapports tendus avec le consul qu’il juge « inefficace ». « Je dénonce son inefficacité. En principe, il est la première autorité ici. Quand on parle de diplomatie, cela n’a rien à voir avec le président de la communauté burkinabè. Si la diplomatie ne réagit pas, la communauté ne peut pas avoir la force. Il ne veut pas travailler avec moi et ne veut pas reconnaître mon autorité. Il est en train de monter son propre clan. J’ai un prédécesseur qui s’appelait Serge. Après sa mort, il y a eu un vote et j’ai été officiellement élu. A l’époque déjà, cela n’allait pas puisque qu’il a refusé le verdict. Cela a créé quelques problèmes entre nous. J’ai demandé une audience à l’ex-ambassadeur du Burkina à Abuja, Dramane Yaméogo. Il est venu clarifier la situation. Après son départ, le consul a continué à nous diviser. Cela fait qu’aujourd’hui, nous nous retrouvons avec plusieurs communautés. Sinon je suis le président légitime et légal reconnu par le gouvernement guinéen. J’ai une carte d’accréditation délivrée par le ministère des Affaires étrangères », raconte-t-il. En tout cas, tous les Burkinabè que nous avons rencontrés au carrefour Bovano se plaignent du consul. « Il ne joue pas son rôle », « il n’est pas efficace », « il ne nous aide jamais », « d’ailleurs je ne l’ai jamais vu », « il s’en fout de nous », laissent entendre les uns et les autres.

Les aventuriers ne sont pas aidés par leurs familles

La plupart des Burkinabè qui sont à Bata disent y être venus pour faire fortune afin de réaliser des projets au pays. Mais, regrettent-ils, ils ne sont pas souvent aidés par leurs propres parents dans la réalisation de ces projets. « Tu envoies de l’argent à ton frère, il bouffe. La maman fait la même chose, ainsi que le papa. Quand tu rentres, tu te retrouves sans rien, sans même la maison que tu leur avais demandé de construire », se plaint Adama Songné, qui dit avoir trouvé une solution à ce problème : « Si tu as un compte à la caisse populaire, cela te facilite la tâche puisque tu demandes à tes parents d’y reverser directement l’argent que tu leur envoies. Ainsi, tu as la possibilité de vérifier s’ils l’ont fait ou pas. C’est désormais ainsi que je procède ». Pour lui, la situation des Burkinabè vivant en Guinée Equatoriale n’est pas si reluisante que cela paraît. « Les gens pensent que nous avons beaucoup d’argent. Souvent, un parent peut t’appeler du Burkina pour solliciter une aide financière. Quand tu dis que tu ne peux pas l’aider, il rompt toute communication avec toi. Mais ils ne savent pas ce que nous endurons comme souffrance ici. Quand on a un problème ici, on ne sait pas à qui s’adresser », regrette-t-il.

Avec la CAN, les Burkinabè peuvent souffler un peu

Actuellement à Bata, les Burkinabè peuvent souffler un tout petit peu. Ils n’ont pas à être sur le qui-vive à chaque moment. Ils n’ont pas à fuir lorsqu’ils voient un véhicule de policiers. En un mot, ils peuvent s’asseoir tranquillement au carrefour Bovano pour attendre qu’on leur propose des contrats. Cela n’était pas le cas avant la CAN. « Avant, un policier peut venir te surprendre à la maison. Etant seul, tu négocies avec lui. S’il a envie de consommer de l’alcool, tu peux lui donner au moins 20 000 F. Si tu n’as rien, il te conduit en prison ». Ce n’est pas Bassirou Diessongo, grilleur d’ailes de poulets au carrefour Bovano qui dira le contraire. Lui qui se voit racketté à tout moment par les policiers. Cette situation fait qu’il n’a pas pu construire au Burkina après avoir passé trois ans à Bata. Toutefois, il a pu acheter un terrain et faire des briques.

L’insurrection populaire a donné des sueurs froides aux Burkinabè de Bata

Les Burkinabè de Bata ont vécu avec « crainte », les événements des 30 et 31 octobre 2014. Ils ont suivi la situation à travers les médias. « Je pensais qu’il y aurait une guerre comme en Côte d’Ivoire. On a eu très peur », se souvient Adama Songné. « Dieu merci, tout s’est bien passé », dit-il soulagé. Maintenant que la transition est en marche, ces Burkinabè espèrent voter. « Il faut permettre aux Burkinabè de l’étranger de voter », a souhaité le président de la communauté burkinabè, Alabi Gafaron. A en croire Abdoulaye Nombré, les Burkinabè de Bata ont été approchés par les autorités burkinabè dans le cadre du vote des Burkinabè de l’étranger. « Les gens sont venus prendre des noms ici. Ils disent qu’il y a un vote des Burkinabè bientôt. Mais, on ne sait pas c’est quand. On veut voter parce que c’est notre pays. Même si on est à l’étranger, on ne peut pas oublier notre pays », a-t-il réagi. Les Burkinabè de Bata demandent aux autorités de la transition de se pencher sur leur situation car, disent-ils, « c’est dur ici ». C’est « tellement dur » que le président de la communauté préfère prodiguer des conseils à tout Burkinabè qui voudrait venir en aventure en Guinée Equatoriale : « Il faut avoir son passeport. Ensuite, se rendre dans un consul ou une ambassade pour avoir le visa. Le visa facilite le voyage. Avec le visa, tu es accueilli avec respect. Le passeport peut te permettre d’avoir une carte de séjour. Si tu n’as pas ces papiers, tu es alors considéré comme un immigré clandestin ». Toutes nos tentatives pour rentrer en contact avec le consul burkinabè sont restées vaines.

Par Alphonse Chiba GUEBRE depuis Bata
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