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Pr Augustin Loada à propos des contestations : « Tant qu’on ne révise pas la Constitution, Blaise Compaoré est protégé par l’amnistie »
Publié le samedi 17 janvier 2015  |  Le Pays
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© aOuaga.com par G.S
Ministère de la Fonction publique : Augustin Loada installé dans ses fonctions
Mercredi 26 novembre 2014. Ouagadougou. Le secrétaire général du gouvernement et du Conseil des ministres, Alain Thierry Ouattara, a installé le ministre la Fonction publique, du Travail et de la Sécurité sociale, Augustin Loada




Constitutionaliste renommé, Pr Augustin Loada a dirigé pendant longtemps le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD). Activiste de la société civile, l’homme se distingue par son franc-parler. Il a activement participé à la lutte ayant conduit au départ de Blaise Compaoré, puis à l’élaboration de la Charte de la transition. Aujourd’hui ministre de la Fonction publique, du travail et de la sécurité sociale, Augustin Loada continue d’apporter sa pierre à la bonne marche de la transition. Les raisons qui l’ont poussé à accepter de faire partie de l’équipe gouvernementale, l’état dans lequel il a hérité du département de la Fonction publique sont, entre autres, les sujets abordés lors de l’entretien qu’il nous a accordé le 9 janvier 2015, à son cabinet. De même, Augustin Loada a donné son avis sur des sujets d’actualité tels que la démission du ministre Moumouni Diéguemdé et la question des émoluments des membres du CNT. Lisez plutôt.

« Le Pays » : Comment vous sentez-vous depuis votre arrivée à la tête du ministère de la Fonction publique, du travail et de la sécurité sociale?

Pr Augustin Loada : Je me sens très bien, même si certains disent que j’ai commencé à maigrir (rires).

Vous êtes arrivé à la tête de ce département à l’issue des événements des 30 et 31 octobre derniers. Selon vous, ces événements étaient-ils une révolution ou une insurrection populaire ?

Je dirais les deux, en ce sens que le peuple s’est soulevé, conformément à notre Constitution qui lui donne, en tant que citoyen, le droit à la désobéissance civile. Les citoyens organisés ont donc utilisé ce droit consacré pour s’exprimer, parce qu’il n’y avait pas d’autres moyens. Les appels à la modération et à la raison ont été lancés en direction du pouvoir qui était en place, mais il a fait la sourde oreille. Il n’y avait donc pas d’autre choix que cette insurrection et cela est un droit fondamental de l’Homme. Dans ce sens, on peut dire qu’il s’agit d’une insurrection. Je pense aussi que c’est une révolution, en ce sens que dans le mode opératoire, il y a une volonté de rupture qui s’est exprimée à travers des citoyens organisés ou inorganisés ; on veut rompre avec l’ordre ancien. Il y a des pratiques qui ont été dénoncées, critiquées, et c’est cette volonté de rompre avec l’ordre ancien qui traduit cette révolution. Bien entendu, c’est tout un programme, parce que la révolution, on ne la fait pas en un ou deux jours ; c’est un processus qui s’est déclenché les 30 et 31 octobre qui se poursuit et qui doit se poursuivre. S’il s’agit d’interpréter selon les grilles conventionnelles, les grilles marxistes, naturellement, on est loin d’une révolution du type marxiste-léniniste, mais à mon avis, dès lors qu’il y a une volonté de rupture qui s’est exprimée de manière très forte, dès lors que les citoyens se donnent les moyens de traduire cette volonté en actes, il s’agit bien d’une révolution. Il arrive que les gens veuillent imposer une grille de lecture marxiste-léniniste pour dire que ce n’est pas une révolution ou que c’est une révolution inachevée, ou cherchent à dévaloriser cet acte citoyen fort qui s’est exprimé les 30 et 31 octobre derniers.

Aviez-vous prévu que les choses se passeraient ainsi les 30 et 31 octobre derniers ?

Oui et non. Non parce que ceux qui étaient sortis les 30 et 31 octobre, demandaient tout simplement que le projet soit retiré. Nous nous sommes mobilisés pour un article 37 qui symbolisait en même temps toute la mal gouvernance et tout l’autoritarisme qui caractérisaient l’ordre ancien. Ce n’était pas le schéma qui était prévu. Nous étions sortis pour résister à une volonté de modifier l’article 37, et chemin faisant, on s’est rendu compte qu’en réalité, le tigre était en papier, c’était un régime fragile et c’est cela qui a précipité les événements et les citoyens ont demandé plus. Pas seulement un article qu’on demande à consacrer comme étant un article intangible auquel on ne doit pas toucher, mais aussi une refondation du régime, d’où cette volonté de rupture qui s’est exprimée. Ce n’était pas prévu et c’est d’ailleurs pour cela qu’il y a eu des tâtonnements, des incompréhensions, parce que tout le monde était un peu surpris. En même temps, c’était prévisible parce que, quand un peuple n’a plus d’autre choix que de s’exprimer de cette façon, c’est du quitte ou double. Le 31 octobre surtout, soit Blaise Compaoré quittait le pouvoir, soit il nous massacrait. Je sais par expérience que c’était un homme qui avait une capacité à rebondir et chaque fois qu’il a pu rebondir, il s’est donné les moyens de rester durablement au pouvoir. Le 31 octobre en particulier, c’était soit lui, soit nous. C’est dans ce sens-là que l’on peut dire que le peuple ayant découvert qu’il était le vrai roi, est allé jusqu’au bout de sa logique.

Après avoir activement participé à cette lutte qui a conduit au départ de Blaise Compaoré, vous êtes aujourd’hui membre du gouvernement. En tant qu’acteur de la société civile, pourquoi avez-vous accepté d’entrer dans le gouvernement de transition ?

Ce qui me gêne dans votre question, c’est quand vous dites « en tant qu’acteur de la société civile ». Si vous aviez dit en tant que citoyen, cela m’aurait facilité la tâche. Lisez la Constitution du Burkina ; « Tous les Burkinabè, tous les citoyens ont le droit de prendre part à la gestion des affaires publiques ». C’est en tant que citoyen donc que j’ai milité dans ce que vous avez appelé la société civile, et c’est en tant que citoyen que j’ai accepté, avec humilité, cette proposition qui m’a été faite parce que pour moi, peu importe là où on se trouve, que ce soit dans le gouvernement ou en dehors. Ce qui importe, ce sont les valeurs pour lesquelles on se bat. Je ne me suis pas battu pour être ministre, je me suis battu pour des valeurs, et j’espère continuer de mon mieux à incarner ces valeurs, même là où je suis. C’est en tant que citoyen désireux d’apporter une contribution à la mise en œuvre d’un certain nombre de valeurs auxquelles je crois, que j’ai accepté. Je me suis dit que c’est une opportunité pour faire avancer un certain nombre de principes, de réformes auxquelles je suis particulièrement attaché, avec bien entendu d’autres personnes, parce que je ne suis pas seul dans cette aventure. C’est pour cela que je m’engage.

Comment se fait-il que votre adjoint et vous, vous vous retrouviez dans le gouvernement ?

Ce n’était que pure coïncidence. Nous ne nous sommes pas concertés avant d’aller dans le gouvernement. Nous avons été consultés séparément et on s’y est retrouvé. Il n’y a rien qui a été prémédité.

Qui dirige maintenant le CGD ?

Le CGD a un directeur en la personne d’Abdoul Karim Saïdou. Je suis membre fondateur du CGD et je ne peux pas m’en désengager. Mais je ne m’occupe pas des questions opérationnelles du CGD, c’est lui le directeur du CGD.

Votre départ et celui de votre adjoint ne vont-ils pas impacter négativement le fonctionnement du CGD ?

Attendons de voir. Je dis cela parce que, toute ma vie durant, que ce soit à l’Université ou au CGD, j’ai toujours pris le soin d’assurer ce que l’on peut appeler la relève. Je pense avoir contribué à former des gens capables de relever le flambeau, que ce soit à l’Université ou au CGD. J’ai une parfaite confiance en ceux que j’ai formés et je sais qu’ils sont capables. Ils ont les moyens intellectuels de continuer à faire du CGD une institution impartiale, une institution qui compte dans le paysage de la société civile en matière de démocratie.

Quelle a été la réaction des partenaires du CGD à l’annonce de votre nomination ?

C’était une réaction ambivalente. D’un côté, beaucoup étaient fiers parce que le CGD est un partenaire avec qui ils ont travaillé sur les questions de réformes démocratiques ; ils nous ont soutenus sur les plans financier et matériel qui nous ont permis d’organiser un certain nombre d’activités, parce que la démocratie a aussi un coût. Quand vous devez organiser des conférences à Ouahigouya, Koudougou, Ouargaye, Tenkodogo, etc., il faut de l’argent. Il y a des partenaires qui nous ont soutenus dans ce travail de démocratisation auquel nous avons contribué, et dans ce sens, ils ont vu ma nomination et celle de mon collègue comme une reconnaissance du travail qui a été fait. En même temps, ils ont exprimé des inquiétudes sur la nécessité pour le CGD de continuer à tenir ce flambeau, et comme je l’ai dit, j’ai une parfaite confiance en ceux que nous avons formés et je suis convaincu que si le soutien se poursuit au niveau du CGD, ils pourront continuer à relever le défi. C’est donc ce sentiment ambivalent, d’un côté fierté et de l’autre préoccupation sur ce que le CGD va devenir, qui les animait. Nous avons pris toutes les assurances à ce niveau et vous allez vous en rendre compte.

« Si vous étiez de moralité douteuse, le pouvoir sortant vous donnait des opportunités d’aller dans ce sens-là, de vous pervertir davantage »

On dit aussi que le pouvoir change parfois l’Homme. N’y a-t-il pas de risques que ce poste de ministre que vous occupez aujourd’hui, impacte vos idéaux ?

Je préfère reprendre la formule. Le pouvoir ne fait pas changer, mais le pouvoir révèle les Hommes. Si vous étiez de moralité douteuse, le pouvoir sortant vous donnait des opportunités d’aller dans ce sens-là, de vous pervertir davantage. Si vous avez été éduqué dans l’humilité, le pouvoir vous donne l’occasion aussi de cultiver ces vertus. C’est cela la réalité. Si vous ne faites pas attention, le pouvoir vous donne effectivement un certain nombre d’opportunités que vous pouvez mal utiliser. C’est l’expérience que j’ai, pour avoir étudié les phénomènes du pouvoir. En ce qui me concerne, j’essaie de lutter contre ces tendances en restant collé à ceux avec qui j’ai évolué, que ce soit dans le milieu familial, dans le milieu de la société civile ou dans le milieu universitaire. Quand je peux, je vais donner des cours à l’Université, notamment les samedis. Au lieu d’aller à des mariages, des baptêmes, je préfère aller rencontrer mes étudiants. En semaine aussi, quand je peux, je pars donner des cours. Cela permet d’avoir le contact avec la réalité du terrain. Quand je peux également, je participe à des débats avec mes amis, mes camarades de la société civile, etc. Tout à l’heure par exemple, j’étais à un déjeuner où il y avait un débat sur la question « où va la transition ? ». En restant collé au terrain, on peut minimiser les erreurs. Personne n’est à l’abri d’égarements, d’erreurs ; nous sommes tous humains. Ceux qui persistent dans les erreurs, ce sont ceux qui n’ont pas l’humilité de reconnaître qu’ils sont simplement humains et qu’ils peuvent prendre des conseils chez les autres. J’essaie donc de prévenir tout cela en restant en contact avec les autres, avec ceux avec qui j’ai évolué.

Vous dites que vous continuez à donner des cours à l’Université. Avez-vous remarqué un changement dans le regard des étudiants à votre endroit, depuis que vous êtes ministre ?

Oui et non. Non parce qu’avec mes étudiants de première année, tout se passe bien, la communication est très fluide ; ils sont plus intéressés. Je suis heureux d’aller à leur rencontre, dans la mesure où je sens qu’ils sont heureux que je vienne leur donner des cours. Par contre, avec les étudiants de Master qui sont un peu plus avancés, j’ai senti un peu de distance dès le premier cours que j’ai eu avec eux. J’ai donc essayé de briser la glace. Je les ai eus en première année et après, ils m’ont perdu de vue. Ils se disent peut-être que je suis un homme du pouvoir. Je me rappelle que quand je suis arrivé, il y en a un qui a fait cette réflexion ; il a dit : « Je sens le pouvoir », et je lui ai répondu : « Si vous sentez le pouvoir, c’est que vous ne me connaissez pas ». Certains d’entre eux ont des idées arrêtées du genre : « Une fois que les gens sont au pouvoir, ils changent».

Vous êtes aujourd’hui à la tête du ministère de la Fonction publique, du travail et de la sécurité sociale. Quelles sont vos priorités dans ce département ?

J’ai reçu une feuille de route. Les gens disent qu’ils ne savent pas quelle est la feuille de route de la transition, mais bien sûr qu’il y a une feuille de route, et moi j’en ai reçu une du Premier ministre. Peut-être que les gens ne sont pas satisfaits de cette feuille de route et auraient préféré que cette feuille de route prenne en compte leurs aspirations personnelles, individuelles ou collectives. Dans la feuille de route que j’ai reçue, il y a d’abord l’amélioration de la gestion de la carrière des agents de la Fonction publique ; ce qui veut dire traiter avec célérité les dossiers concernant ces agents, que ce soit pour les recrutements, les mises à la retraite, les évolutions dans la carrière, etc. Ce n’est pas normal que les gens attendent des mois durant sans savoir ce qui se passe exactement. La deuxième chose concerne les recrutements, les concours. Il nous a été demandé d’améliorer le dispositif organisationnel d’accès à la Fonction publique. Il faut que les recrutements soient plus transparents, plus équitables. Le troisième point concerne le travail parce que je ne suis pas seulement ministre de la Fonction publique, je suis aussi ministre du Travail et de la sécurité sociale. Il s’agit de promouvoir le travail décent, parce qu’en la matière il y a des normes, des engagements internationaux auxquels le Burkina a souscrit. Nous devons donc promouvoir le respect de ces normes et engagements internationaux, pour que le travail au Burkina soit un travail décent. Toujours dans le domaine du travail, les rapports avec les partenaires sociaux, qu’il s’agisse du patronat ou des syndicats, il s’agit d’améliorer, de consolider les rapports avec ces partenaires sociaux et ensuite, de promouvoir la protection sociale, y compris la mise en œuvre effective des initiatives qui ont été développées en matière de promotion de l’assurance maladie universelle et de promotion des mutuelles de santé. Le dernier point qui figure dans ma feuille de route, c’est la poursuite des efforts pour la modernisation de l’Administration. C’est vraiment un vaste programme et nous allons essayer de donner le meilleur de nous-même pour qu’au cours des dix mois qui nous restent, nous puissions avancer.

« Je ne suis pas sûr que l’on va pouvoir éradiquer la fraude, tout comme la fraude électorale au niveau de la commission électorale, mais au moins, on pourra la réduire à sa plus simple expression »

Vous avez mentionné qu’il vous a été demandé d’améliorer le dispositif organisationnel d’accès à la Fonction publique. Est-ce à dire que l’ancien dispositif n’était pas efficace ? Que comptez-vous apporter comme innovations à ce niveau ?

Je sais qu’il y a eu beaucoup de critiques qui ont été formulées par le passé, notamment sur l’organisation des concours. Jusqu’ aujourd’hui, on continue d’entendre des choses fondées ou infondées. Bref ! Il y a des efforts qui ont été faits ces dernières années, il faut le reconnaître. Il s’agit, à mon avis, de poursuivre ces efforts pour qu’on n’entende plus ce genre de plaintes, mais cela va être difficile. Vous connaissez très bien le comportement humain ; si on n’est pas admis, c’est qu’il y a eu fraude. J’ai reçu par exemple quelqu’un à mon cabinet, un fonctionnaire qui a pris part à un concours, qui n’a pas été admis et qui est convaincu que si lui, il n’est pas admis, c’est qu’il y a eu fraude. Il a demandé qu’on lui communique ses notes, ce que nous avons fait. Je ne suis pas sûr que l’on va pouvoir éradiquer cette fraude, tout comme la fraude électorale au niveau de la commission électorale, mais au moins on pourra la réduire à sa plus simple expression. Pour cela, il faut réunir toutes les parties prenantes, tous les acteurs de la chaîne pour voir quelles sont les failles qu’on peut identifier et ce qu’on peut faire pour les combler. C’est ce que je vais m’atteler à faire dans les jours à venir, parce qu’il y a les concours qui vont être incessamment lancés.

Pour la question de la disparité de traitements entre les agents contractuels et les fonctionnaires, que comptez-vous faire ?

Il faut comprendre d’où vient cette disparité, ce dualisme qui s’est instauré dans notre pays. Dans le cadre des réformes d’ajustement structurel, on a introduit un certain nombre de réformes en ce qui concerne l’Administration. La contractualisation des agents publics est née d’une volonté de flexibilité, c’est-à-dire que l’Administration doit pouvoir recruter davantage, si le besoin se fait sentir, et remercier des agents s’il y a aussi nécessité de le faire. C’est ce souci de flexibilité qui a justifié l’introduction de cette nouvelle catégorie d’agents contractuels. En contrepartie de cette précarité, on compense en rémunérant davantage. Le fonctionnaire, lui, a une position stable, et en contrepartie, on le paie moins. A la longue, on s’est rendu compte que les agents contractuels sont traités comme les fonctionnaires ; ils bénéficient de la permanence dans les emplois pour lesquels ils sont recrutés. C’est ce qui a fini par créer cette disparité entre, d’un côté, des agents publics dont certains sont des fonctionnaires, d’autres des contractuels, et certains qui sont mieux payés que d’autres, alors qu’ils occupent les mêmes positions. Sous l’ancien régime, il y a une prise de conscience qui s’est développée sur la nécessité de corriger cela, et nous allons nous inscrire dans cette dynamique. Il y a la relecture de la loi 013 sur le régime juridique des agents publics, qui envisage de supprimer cette catégorie. Cette relecture va également de pair avec d’autres, notamment la relecture de la grille indemnitaire, de la grille salariale, et ce que j’ai compris, c’est que compte tenu de l’incidence financière de cette relecture au niveau salarial, au niveau des indemnités, les Finances ont plus ou moins tiré la sonnette d’alarme parce que nous avons dépassé les ratios en ce qui concerne ceux fixés par l’UEMOA. On nous a donc dit qu’il faut faire très attention parce que cela a un coût. Mais les gens ne s’en rendent pas compte. Tout le monde veut des indemnités, mais cela a un coût sur le plan financier et il faut se demander si nous pouvons supporter ces coûts. Des réflexions, des initiatives sont en cours pour répondre à cette question et dès qu’elle sera tranchée, on pourra effectivement finaliser la relecture de la loi. C’est dans le cadre de la relecture de cette loi que le problème que vous avez posé, va trouver solution.

Quel est votre programme d’action à court et moyen termes à l’égard les syndicats ?

Je dirais à court terme car la transition elle-même est à court terme, c’est 10 mois. Quand j’ai pris fonction, une des premières choses que j’ai faites, c’était de rencontrer les partenaires sociaux : le patronat, les syndicats, les centrales et les syndicats du ministère. Il y en a 2 : les gestionnaires des ressources humaines et les inspecteurs et contrôleurs du Travail. Je les ai rencontrés parce que je n’oublie pas le rôle que les syndicats ont joué dans le changement qui s’est produit et se poursuit au Burkina. Je sais qu’il y a une demande sociale très forte dans ce pays, donc, accorder toute son attention aux partenaires sociaux dans cette transition, est quelque chose de fondamental pour moi. Je les ai donc rencontrés pour leur expliquer que nous portons une attention particulière aux doléances qu’ils ont exprimées ; parce que nous avons trouvé ici le cahier de doléances de 2013 sur lequel le défunt gouvernement et les partenaires sociaux ont discuté sans trouver de solutions satisfaisantes. L’année 2014 est venue avec son cahier de doléances. Cela fait donc deux cahiers de doléances qui n’ont pas été traités à la satisfaction des syndicats. Nous sommes en 2015, et d’ici le mois de mai, nous aurons un 3e cahier de doléances. C’est vrai que ces cahiers de doléances, notamment ceux de 2013 et de 2014, se recoupent. A cela, il faut ajouter une plateforme déposée par la CGTB. Il y a donc une cascade de demandes qui a été déposée par les partenaires sociaux, qui n’ont pas reçu de traitement. Nous avons écrit aux différents ministères pour leur imputer les différentes doléances pour que chaque département ministériel puisse répondre aux préoccupations qui sont exprimées. Une fois que nous aurons ces réponses, nous les centraliserons et nous les communiquerons aux syndicats.

On ne pourra résoudre les problèmes à la satisfaction des uns et des autres que par le dialogue

Nous avons demandé au Bureau international du travail (BIT) de nous accompagner dans ce dialogue qui va réunir le gouvernement, le patronat et les syndicats, parce qu’il y a tellement de problèmes dans ce pays qu’on ne pourra les résoudre à la satisfaction des uns et des autres, que par le dialogue. On ne peut pas faire l’insurrection tous les jours ! A un moment, il faut qu’on s’asseye autour d’une table pour analyser les problèmes et voir comment on peut avancer dans les résolutions. Cela, en tenant bien sûr compte du contexte économique et du contexte de la transition. Si vous avez suivi le ministre de l’Economie et des finances, Jean Gustave Sanon, vous savez que nous avons des difficultés sur le plan des finances publiques, parce que les recettes que nous avons engrangées ne sont pas conformes à nos prévisions. Il y a donc des contraintes objectives, et je pense que les syndicats peuvent le comprendre, ce sont des gens responsables. Mais il y a également des demandes qu’ils ont faites, qui ne sont pas d’ordre financier et sur lesquels on peut avancer rapidement.
Je précise également que les syndicats ont été reçus par le Premier ministre Yacouba Isaac Zida, récemment. Cela montre qu’il y a une volonté de dialogue, et c’est cela le plus important. Il n’y a peut-être pas de problème sans solution, mais le plus important c’est de s’asseoir pour trouver un consensus.

Pour certains, un nouveau ministre est une fenêtre d’opportunités

Quel était l’état des lieux à votre arrivée au ministère de la Fonction publique, du travail et de la Sécurité sociale?

A mon arrivée au ministère, j’ai trouvé une pile de dossiers qui m’attendait. Avec la démission du Président Blaise Compaoré et la dissolution du gouvernement, ce sont les secrétaires généraux qui assuraient l’expédition des affaires courantes. Il y a donc certaines décisions qu’ils ont mises en stand-by. L’une des priorités a été de traiter cette pile de dossiers, ainsi que beaucoup de requêtes exprimées par les administrés. C’est cela qui a pris un peu de mon temps. Il y a des gens qui se disent que parce qu’il y a un nouveau ministre, c’est une fenêtre d’opportunités pour résoudre des questions qui n’ont pas trouvé de solutions sous l’ancien régime. Il y a parfois des doléances qui sont légitimes, mais il y a aussi des demandes que je n’ai personnellement pas trouvées objectives. Il y a des questions qui avaient également été résolues depuis longtemps. C’est vrai que des gens ont été brimés, ils sont allés devant la Justice qui a rendu sa décision et ces derniers ont été indemnisés. Mais ils reviennent encore pour réclamer certaines choses. C’est ce genre de dossiers que nous recevons parfois. Nous en recevons d’autres pour lesquels l’Administration précédente a refusé de s’exécuter par manque de volonté politique. Il y a donc un certain nombre de dossiers que nous avons trouvés accumulés et sur lesquels nous avons essayé d’avancer assez vite. Au niveau de la Fonction publique, on m’a proposé une sorte d’opération « casier vide » ; parce que si on veut permettre aux agents de traiter les dossiers avec célérité, il faut qu’on liquide le passif. Mais, en même temps, on a été confronté à des difficultés qui nous ont causé pas mal de soucis. Lorsque vous mobilisez des agents pour traiter des centaines de dossiers qu’ils n’ont pas l’habitude de traiter couramment, ils s’attendent à ce qu’on fasse un geste. Vous connaissez bien l’orthodoxie des financiers. Si ce n’est pas prévu, il n’y a rien à faire ; ou même si c’est prévu, on n’en a pas la même interprétation. C’est parfois difficile de se faire comprendre par les contrôleurs financiers, et pendant ce temps, les agents s’impatientent. C’est le genre de difficultés auxquelles nous avons été confrontés au début, mais je pense que quand on s’explique, les agents peuvent comprendre.

Il est question de l’extradition de l’ex-président Blaise Compaoré. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Le Chef de l’Etat, Michel Kafando, s’est exprimé là-dessus, je m’aligne sur sa position. Il a dit que ce n’était pas prioritaire. Je le comprends, parce que si vous voulez gérer tous les problèmes du Burkina en même temps, vous risquez de ne même pas pouvoir bouger. Sur le plan juridique, tant qu’on n’a pas révisé la Constitution, Blaise Compaoré est protégé par l’amnistie. On peut être contre, mais si on veut le poursuivre, il y a cette contrainte qu’il faut lever. Je ne dis pas qu’il ne doit pas répondre. Je pense que, comme tout individu, il doit répondre des actes qu’il a commis pendant ses 27 années au pouvoir. Si on veut s’attaquer à ce dossier pendant la transition, je crains qu’on ait des difficultés. Sinon, sur le principe, si on suspecte quelqu’un d’avoir commis des infractions, on doit pouvoir lui poser des questions, et si on n’a rien à lui reprocher, sa liberté sera garantie. Ce que je dis de Blaise Compaoré vaut pour tout le monde.

Quel commentaire faites-vous sur la structure mise en place par les Organisations de la société civile (OSC) pour suivre les actions du gouvernement ?

Je suis issu de ce milieu, je suis donc bien placé pour critiquer la société civile. La société civile a joué un rôle formidable dans le processus dans lequel nous sommes engagés aujourd’hui, et cela, il faut le reconnaître et le saluer. Mais il faut reconnaître aussi qu’elle a ses limites que tout le monde connaît et qui ne datent pas d’aujourd’hui. Elle est émiettée, elle n’est pas organisée et elle n’est pas si différente des partis politiques, en ce qui concerne les agendas personnels. Vous avez suivi cette bataille épique à laquelle nous avons assisté lorsqu’il s’est agi d’élaborer la Charte de la transition, de discuter avec la communauté internationale, de désigner des représentants au Conseil national de transition (CNT). Il y a des méthodes qui ont été utilisées, que je comprendrais si elles venaient des partis politiques, mais venant de la société civile, parfois, on est choqué. Personne n’est parfait, ni la société civile, ni les partis politiques. Mais il faut reconnaître qu’elle a apporté une contribution pour la réussite de la transition, et on espère qu’elle continuera à le faire.

Si on a réussi à terrasser Blaise Compaoré, c’est parce que nous avons tiré tous dans la même direction

Mais pour cela, il faut que les initiatives individuelles, les agendas personnels, soient mis de côté. Si on a réussi à terrasser Blaise Compaoré, c’est parce que nous avons tiré tous dans la même direction. Si la société civile veut continuer à peser sur le cours des évènements, en particulier sur cette transition, il faut qu’elle avance de manière concertée, en mettant en avant le bien commun. Je souhaite que la société civile avance comme un mouvement d’ensemble, même si chacun garde ses particularités idéologiques et politiques, ce qui est normal. Il ne s’agit pas d’unanimité, mais de s’organiser pour réussir cette transition. Je pense que nous sommes capables de privilégier le bien commun dans les initiatives que nous développons. Si c’est dans ce sens, ce sont des initiatives à soutenir. Mais si elles sont développées pour satisfaire des agendas purement personnels, partisans, cela ne va pas, à mon avis, dans le sens de l’histoire.

Il y a des débats sur les émoluments des membres du CNT, quel est votre avis sur cette question ?

C’est un débat qui mérite d’être mené à mon avis. Est-ce que c’est indécent, comme l’a dit « Le Pays » dans son édition du 9 janvier ? Je laisse la question ouverte, c’est aux citoyens d’apprécier. S’ils pensent que c’est trop, c’est à eux de s’organiser pour dire au CNT que c’est trop ! Voici notre avis. Mais si chacun reste dans son petit coin et se contente de critiquer, je ne pense pas que cela aura un impact. Je pense que c’est à la société civile de s’organiser pour exprimer sa vision des choses. Ce qui s’est passé est humain ; c’est parce que les gens se disent que ça va passer comme une lettre à la poste, les gens ne seront pas choqués, qu’ils peuvent se permettre ce genre de choses. Si à l’extérieur, les citoyens estiment que c’est indécent, c’est à eux de s’organiser pour entrer en contact avec le CNT et exprimer leur vision des choses, et on verra. Je sais que sous la IIe République, le mandat était gratuit. Mais est-ce aussi réaliste de vouloir que le mandat soit gratuit ? Il faut se poser des questions, il faut être raisonnable. Je sais qu’il y a des gens auxquels la gratuité ne pose aucun problème. Mais pour d’autres, cela posera problème. Le plus important est donc la concertation pour parvenir à des solutions raisonnables.

Quelle est votre réaction suite à la démission du ministre des Infrastructures et du désenclavement, Moumouni Diéguimdé?

On aurait pu faire l’économie de tout cela. Mais c’est arrivé et je pense qu’il faut que chacun d’entre nous en tire les leçons. Cela montre que la société civile est une force qui compte. Mais j’aurais aimé aussi que, s’agissant de moralité, la société civile s’intéressât au rapport que le Contrôleur général a présenté au chef de l’Etat. Ce serait bien de l’ouvrir pour agir également, puisqu’il s’agit de faire la traque de tous les agents investis d’une autorité qu’on pense de moralité douteuse. Il faut être cohérent jusqu’au bout. C’est ce qu’on attend de la société civile et je m’appuie justement sur le commentaire qui a été fait par le Contrôleur général qui aurait souhaité que, passée la période médiatique de lancement des rapports, les gens continuent de s’y intéresser.

Quel commentaire faites-vous de la fusillade au siège du journal satirique français Charlie Hebdo ?

Personnellement, je me demande s’il faut rire de tout. Je pense que non, il y a des choses pour lesquelles je ne ris pas, notamment la foi et la religion. Mais ôter la vie à quelqu’un parce qu’il a ri de sa religion, pour moi, on n’en a pas le droit. La tolérance est fondamentale dans la vie des hommes. Il faut être tolérant vis-à-vis de la foi de l’autre, mais aussi vis-à-vis de ceux qui n’ont pas la même foi que nous et qui, à la limite, considèrent que les croyants qui ont la foi sont des gens anormaux. C’est ce que je retiens, il faut respecter la foi des autres, il ne faut pas les blesser dans leur foi. Mais en même temps, ceux qui tuent au nom de la foi sont forcément dans l’erreur. Comme l’a dit quelqu’un, Dieu est tellement Puissant qu’il peut se défendre lui-même. Il n’a donc pas besoin des hommes pour le défendre si c’est lui qu’on vise.

Quel commentaire faites-vous sur la saisie de 77kg d’or à l’aéroport international de Ouagadougou ?

Il faut se féliciter qu’on ait pu saisir cet or. Cela montre que le dispositif n’est pas si inefficace que cela. Mais j’espère qu’il n’y a pas eu d’hémorragie avant, et pour cela, j’ai des doutes. Et c’est pour cela que c’est important de renforcer le système de sécurité pour que notre pays ne perde pas ses ressources qui doivent être mises à la disposition du peuple. Puisque le système marche, il faut donc le renforcer pour que l’or profite au peuple burkinabè. Il ne faut pas qu’on sombre dans cette malédiction des ressources qu’on constate dans un certain nombre de pays.

Pensez-vous que l’insurrection populaire burkinabè fera école dans certains pays comme les deux Congo et le Togo ?

Oui et non. Je me rappelle que lorsqu’il y a eu le printemps arabe, et qu’il y a eu mutinerie au Burkina en 2011, les gens se sont demandé si c’était un effet du printemps arabe. Tout de suite, on a dit non, la Tunisie est la Tunisie et le Burkina est le Burkina. Mais du fait que Ben Ali soit tombé, de même que Moubarak, cela donne du courage aux autres. Ça permet de dire que si Ben Ali est tombé, Kadhafi et Moubarak également, notre despote local pouvait aussi tomber. C’est en cela que je pense que l’acte qui a été posé par le peuple burkinabè peut inspirer d’autres peuples. Naturellement, les contextes ne sont pas les mêmes. La capacité de répression des despotes locaux n’est pas la même, ainsi que la capacité de résistance et la détermination des peuples. Mais toute cette capacité se construit. Par-là, je veux dire que la lutte du peuple burkinabè n’a pas commencé les 30 et 31 octobre. C’est le fruit d’un long processus. Mais je suis convaincu que, comme l’a dit le Président Thomas Sankara, lorsque les peuples sont debout, ce n’est pas seulement l’impérialisme qui tremble, mais c’est aussi les despotes locaux qui, parfois, vacillent et tombent.

Propos recueillis et retranscrits par Christine SAWADOGO et Thierry Sami SOU
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