Société
Une « école de la seconde chance » pour les détenus
Publié le jeudi 1 janvier 2015 | Sidwaya
© aOuaga.com par A O
Deuxième audience du procès de 50 étudiants au Burkina Faso Mardi 20 août 2013. Ouagadougou. Tenue de la deuxième audience du procès des étudiants interpellés au cours de la manifestation consécutive à la fermeture des cités et restaurants universitaires au début du mois d’août. Photo : les prévenus en train d`être reconduits à la Maison d`arrêt et de correction (MACO) |
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La prison, lieu de détention et de privation de liberté, peut apparaître pourtant comme un «centre» d'apprentissage, de «redressement» et de réinsertion sociale pour ses locataires. La Maison d'arrêt et de correction de Bobo-Dioulasso (MACB) en est la parfaite illustration où, en ce mois de décembre 2014, plus d'une cinquantaine de prisonniers mineurs, des femmes et des hommes, apprennent divers métiers durant leur séjour. Jardinage, menuiserie, élevage, soudure, couture et broderie, fabrication de savon et d'objets divers ... sont au menu du quotidien à la MACB, devenue pour eux, un centre d'apprentissage et de formation aux métiers.
On se croirait dans un jardin potager où de jeunes pousses de chou, de tomate et de haricot se côtoient dans des rangées bien arrosées et entretenues. De même, l'ambiance de cet atelier de décoration et d'art plastique, collé à deux autres ateliers de soudure et de blanchisserie, et enfin ce moulin, tous donnant sur l'Avenue du gouverneur Louveau, fait penser à n'importe quelle autre rue de la ville de Bobo-Dioulasso. Seulement, les strictes mesures sécuritaires dès que l'on franchit le portail avant d'arriver au jardin peignent une autre réalité : celle d'un autre milieu. Ce vendredi 5 décembre 2014, comme d'habitude d'ailleurs, des jardiniers sont en pleine activité. Alors qu'à gauche, certains s'affairaient à enlever les mauvaises herbes qui poussent dans les périmètres parsemés de manguiers et d'orangers, à droite, ce sont des jardiniers en bottes de protection, arrosoirs en main qui étaient commis à arroser les pousses de haricot et de choux sous des citronniers. Plus loin, un atelier de menuiserie sous des manguiers jouxte une salle de classe qui n'est autre qu'un hangar coiffé de tôles et entouré d'un mur d'un mètre de hauteur environ, se distinguant par des bancs qui y sont rangés. Un poulailler visiblement vide, parce que non en activité, complète le décor, donnant au visiteur l'impression d'être dans un centre de formation professionnelle, ou encore dans une ferme agropastorale. Pourtant, il s'agit bien de la Maison d'arrêt et de correction de Bobo-Dioulasso (MACB). En effet, au fond de la cour et à droite, trône la geôle, cette «forteresse» dont la porte est bien surveillée par des Gardes de sécurité pénitentiaire (GSP). Les jardiniers, ce sont en réalité des détenus qui ont fait de cette activité leur passe-temps, mais aussi un possible métier qu'ils exerceraient à leur sortie de prison. Comme le jardinage, plusieurs autres métiers, notamment la couture, la broderie, la soudure, l'élevage, la menuiserie, la fabrication de savon, de chaussures, de sacs et d'objets divers, mais aussi l'alphabétisation en français et en langue nationale dioula occupent à longueur de journées, de mois, et même d'années, de nombreux prisonniers. Il en est de même pour les activités que les détenus peuvent mener sans que cela ne porte atteinte à la réglementation et à la sécurité pénitentiaire. Seulement, le choix des prisonniers admissibles à cet apprentissage s'opère selon des critères bien définis.
Qui sont les «heureux élus» à ces activités ?
Selon l'inspecteur de sécurité pénitentiaire, Sidi Mohamed Sana, directeur régional de la garde de sécurité pénitentiaire du ressort de la Cour d'appel de Bobo-Dioulasso, la Maison d'arrêt et de correction de Bobo-Dioulasso (MACB) compte aujourd'hui (NDLR : 5 décembre 2014), 578 détenus, toutes catégories confondues (prévenus et condamnés, femmes, mineurs et hommes). Sur cet effectif, seulement une cinquantaine de détenus (effectif variable selon les mois de l'année) ont été retenus pour apprendre les différents métiers. Le choix de ces «heureux élus», a soutenu M. Sana, est conditionné par le fait que le sujet ait d'abord été jugé et condamné. De plus, a-t-il signifié, «il s'agit surtout de ceux qui présentent des gages de réinsertion sociale, notamment leur comportement. Nous les sélectionnons en tenant compte de l'infraction, de la peine. Par exemple, celui qui a fait la moitié de sa peine a encore plus de chance et est plus disposé à mener ces activités». Et le chef du service social de la MACB, Hamado Kafando, de préciser que les jeunes sont prioritaires en ce qui concerne l'alphabétisation et la menuiserie. Il y a la couture et la saponification (production de savon) chez les femmes et l'artisanat, la décoration, le jardinage, le tissage et l'élevage chez les hommes, a-t-il laissé entendre. Après un certain moment, au regard de leur assiduité à la formation et à l'alphabétisation et de leur problématique, ceux qui peuvent réussir ailleurs que dans les prisons sont identifiés et proposés à des structures spécialisées, plus aptes à les former comme à la Maison de l'enfance André Dupont de Orodara (MEADO) ou le Centre de mineurs en conflit avec la loi à Laye. Quant à la philosophie qui sous-tend l'initiative des activités à la MACB, selon Sidi Mohamed Sana, certains détenus sont en prison parce qu'ils ont commis des délits ou même des crimes qui auraient pu être évités s'ils avaient des emplois et des activités génératrices de revenus. Il a précisé que les détenus sont à la MACB parce qu'ils ont commis des fautes qu'ils doivent purger. «La politique actuelle de nos prisons est de mettre à profit ce temps pour que la personne apprenne à faire quelque chose de ses dix doigts qui puisse lui rapporter de l'argent. Peut-être qu'à sa sortie de prison, elle pourra exercer ce métier», a ajouté le directeur de la MACB. Du reste, cela permet, selon lui, d'occuper les détenus pendant leur séjour. Même si les activités ont pour but principal d'apprendre aux prisonniers un métier, a-t-il dit, les fruits de la vente des divers produits fabriqués servent également à entretenir le matériel de travail, à acheter la matière première de production et à la prise en charge des détenus (santé et petits besoins). «Par exemple, les légumes sont utilisés pour leur repas et quand la production dépasse leur consommation, on vend les légumes pour entretenir l'activité», a soutenu Sidi Mohamed Sana.
Des reconversions réussies
Il y a 5 ans, Nassita Tanou était condamnée à 10 ans de prison ferme pour avoir versé de l'eau chaude sur sa coépouse. Dès lors, elle séjournait à la MACB. Mais aujourd'hui, elle est connue dans le quartier Dioulasso-Bâ comme une coiffeuse «professionnelle» après avoir purgé la moitié de sa peine. Ayant fait de son domicile un salon de coiffure, elle consacre depuis plus d'un an déjà, la majeure partie de son temps à son métier. Le soir venu, Nassita Tanou se transforme en fabricant de chaussures, fait la broderie, la laine pour bébé ou encore des porte-monnaie pour femme et des sacs d'achat de condiments au marché. De nos jours, dit-elle, «franchement, je ne me plains pas ... Je m'en sors bien. Souvent la commande même dépasse mon offre». Pourtant, il y a six ans, elle a été condamnée à 10 ans de prison ferme. Comme elle, Marius Bado, alors enfant de la rue, était condamné en 2010 pour vol. A présent, il est connu des Bobolais, et surtout de ses clients comme un «bon» électricien-bâtiment. Ayant d'abord travaillé avec un patron en 2013, il est aujourd'hui installé à son propre compte. «Je suis sur le terrain et avec le courage, je m'en sors. J'installe l'électricité des bâtiments, je fais le dépannage et les travaux en électricité. Jusqu'à présent, je vis du fruit de ce travail. Mon patron me chargeait de certains travaux. Mais depuis peu, je suis installé à mon propre compte et j'ai eu quelques chantiers personnels», a-t-il raconté.
«Mon rêve est de devenir mon propre patron»
Même si la MACB ne dispose pas de chiffres sur les détenus ayant pu exercer les métiers appris en prison, son directeur reconnaît que certains d'entre eux font aujourd'hui leur fierté. Fernand Sanou, détenu à la MACB, électricien, décorateur, artiste-plasticien a été condamné à 5 ans fermes de prison depuis juillet 2012 pour vol. Bien avant, il avait un atelier au secteur n°15 (Ouezzin-ville) de Bobo-Dioulasso. Son comportement, son attitude ont largement milité en sa faveur. Désormais, il fait des dessins sur des tableaux au portail de la MACB qu'il vend entre 5 000 et 6 000 F CFA, et aussi des décorations sur des calebasses vendues à 2 000 F environ. «L'homme, quand tu n'es pas coincé, tu ne peux pas créer. Etant ici, j'ai pu développer ce que je savais faire», a-t-il avoué. A sa sortie de prison, il projette continuer son travail, agrandir son entreprise et même employer des jeunes et les former. Devenir entrepreneur et travailler à son propre compte, c'est aussi le rêve de Soungalo Konaté, un mineur de 15 ans. Après avoir purgé la moitié de sa peine de trois ans en prison pour vol, il s'essaie à la menuiserie. «Actuellement, je suis en stage de perfectionnement dans un atelier. J'ai appris à faire les guéridons, les lits, les tables de bureau», a-t-il confié. Son sérieux et sa volonté d'apprendre ont prévalu et depuis quelques mois, il est en semi-liberté. Il a été placé en stage de perfectionnement dans un atelier de menuiserie dans la ville de Sya. «Mon rêve est de devenir mon propre patron», a-t-il espéré. Si certains cas sont des exemples parfaits, leur apprentissage a été émaillé de difficultés de plusieurs ordres.
Même si la volonté de créer de véritables conditions de réinsertion socioprofessionnelle pour les détenus de la MACB existe, il n'en demeure pas moins que certaines difficultés entravent la bonne marche des activités.
De difficiles conditions d'apprentissage
«Les difficultés sont d'abord d'ordre financier. Par exemple en soudure, nous avons arrêté les activités pour l'instant parce qu'il nous faut du matériel et des équipements, de même que pour la fabrication de savon. Par moment, nous avons des idées comme la construction d'un poulailler, mais les finances manquent», a expliqué le directeur de la MACB, Sidi Mohamed Sana. Aussi, ils sont neuf mineurs sous la responsabilité de Boureima Tiendrébéogo, moniteur d'éducation spécialisée en menuiserie-bois au service social de la MACB. A l'entendre, il s'agit avec eux, d'un encadrement préprofessionnel. Durant tout leur séjour à la MACB, nous leur inculquons les vertus du travail et le goût du travail, afin qu'à l'après-prison, ils puissent savoir qu'il y a d'autres moyens de se réinsérer dans la société à travers le travail. Seulement, a confié M. Tiendrébéogo, des difficultés émaillent cet apprentissage. Il s'agit principalement du problème que les apprenants ont à se concentrer pour apprendre la menuiserie. A ce problème d'ordre psychologique se greffe surtout un autre qui est d'ordre matériel. «Nous avons un besoin crucial de matériel parce que la dotation qu'on a reçue depuis 2010-2011 n'a pas été renouvelée», a renchéri Boureima Tiendrébéogo. Cela, a-t-il regretté, parce que l'écoulement de la production issue de l'apprentissage se pose et par conséquent, il est impossible de renouveler le matériel et la matière première d'apprentissage. Comme M. Tiendrébéogo, Roseline Koné, monitrice en couture, broderie et tricotage à la MACB depuis 10 ans, explique que même si l'action sociale intervient souvent, il manque des moyens financiers pour payer les tissus, la laine et les fils. «Nous n'avons que deux machines pour l'ensemble des apprenantes. Pourtant, plusieurs femmes n'ont pas de parents à Bobo-Dioulasso. Elles font ces sacs pour les vendre et satisfaire leurs besoins», a-t-elle soutenu. En alphabétisation en langue nationale dioula, la monitrice, Irène Sanon, travaille avec neuf détenus de tous les âges. Monitrice depuis 2004, elle reconnaît que tout ne va pas comme sur des ROULETTES. «Nous travaillons avec des livres qui datent de plus de 10 ans, pourtant les livres pédagogiques se renouvellent chaque année. Il convient de prolonger les heures de cours au-delà de 10 h dans la matinée», a-t-elle ajouté. Même plainte chez Grégoire Sanou, formateur en français (alphabétisation). Cet enseignant à la retraite a été sollicité par le service social de la MACB, il y a maintenant une dizaine d'années, pour l'alphabétisation des jeunes détenus. «Il y en a de tous les niveaux. Certains n'ont jamais été à l'école, d'autres ont le niveau CP1 et d'autres encore le CEP ou le niveau 3e», a-t-il dit. Seulement, M. Sanou décrie surtout le manque d'infrastructures et de matériels pour la formation des détenus. En effet, il estime que «s'il faut apprendre, il faut au moins le matériel pour les aider. Nous sommes totalement démunis. Avant, nous n'avions qu'un tableau sur un mur, sans bancs, ni rien. On n'a jamais vu un maire venir voir ces enfants. Ils sont malheureusement parqués ici comme des animaux». Pourtant, a-t-il dit, il faut permettre à ces enfants d'avoir un minimum de connaissances pour qu'à leur sortie, ils ne se «retrouvent pas dans la nature et reviennent nous trouver encore à la MACB». Quant à la possibilité pour les détenus de participer aux examens scolaires (CEP, BEPC et BAC) et aux Certificats de qualification professionnelle (CQP), Sidi Mohamed précise que «la réglementation prévoit que les détenus peuvent participer aux examens, mais il n'existe pas une organisation suffisante pour ce faire, du fait du manque de moyens financiers et matériels».
Jean-Marie TOE
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