Diplomatie
Hassan Alibakhshi, Ambassadeur d’Iran à propos de l’insurrection populaire au Burkina:« Le peuple burkinabè est vaillant »
Publié le samedi 27 decembre 2014 | Le Pays
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Depuis un certain temps, nous avons constaté la fermeture du bureau de l’ambassade de la République islamique d’Iran au Burkina Faso. Mais on aperçoit de temps à autre l’ambassadeur d’Iran dans la capitale burkinabè. Y a-t-il des couacs entre le Burkina Faso et l’Iran ? Pour en savoir plus, nous avons eu, le 15 décembre 2014, un entretien avec Son Excellence Hassan Alibakhshi, qui nous parle non seulement de son absence du pays, mais aussi des relations entre les deux pays, du printemps arabe, sans oublier l’insurrection populaire au pays des Hommes intègres.
« Le pays » : Excellence, vous êtes maintenant beaucoup absent du pays. Quand on apprend votre arrivée, c’est juste pour 48 ou 72h. Qu’en est –il exactement ?
Son Excellence Hassan Alibakhshi : Vous savez, au départ, j’avais comme mission d’être l’Ambassadeur au Burkina Faso. Après, on m’a ajouté le Bénin, puis le Sénégal, la Gambie et le Cap-Vert. Donc, j’ai dû aménager au mieux mon programme pour pouvoir assurer toutes ces responsabilités qui ne sont pas du tout faciles. Toutefois, je viens régulièrement à Ouagadougou, surtout quand la situation l’exige. Généralement, je fais la navette entre Dakar, Ouagadougou et Cotonou. En outre, ne pas être en permanence à Ouagadougou ne veut pas dire qu’on ne travaille pas ou qu’on travaille moins. Car je suis en contact permanent avec les autorités de ce pays, à travers le Ministère des Affaires étrangères et de l’intégration régionale. C’est comme votre pays qui n’a pas rouvert son ambassade à Téhéran. Il n’empêche, le Burkina travaille avec nos autorités depuis son ambassade à Riyad. Alors, comparez vous-même ma présence à Ouagadougou et la présence de votre Ambassadeur à Téhéran !
Quelle lecture faites-vous de la situation sociopolitique au Burkina Faso, de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 ?
En tant qu’Ambassadeur et sympathisant du Burkina Faso, je suivais de près les événements et je suis très content du dénouement, de voir le tact dont les Burkinabè ont fait preuve pour maîtriser la situation et revenir à une stabilité après le départ du Président Blaise Compaoré. Cela démontre une fois de plus la maturité de ce peuple. J’espère que le gouvernement de transition sera à la hauteur de la tâche, afin que des élections transparentes soient organisées le moment venu, et que le peuple burkinabè marche vers son développement.
Y a-t-il une similitude entre cette insurrection populaire burkinabè et celle de la révolution iranienne de 1978 ?
Naturellement, il peut y avoir des similitudes entre les révolutions dans le monde, car souvent, les aspirations des peuples sont les mêmes. Toutefois, évoquons ici l’adage « comparaison n’est pas raison ». Notre Révolution a été nourrie pendant plus de 50 ans et je vous exhorte ainsi à l’étudier plus amplement. Cependant, ce qui s’est passé au Burkina Faso, pourrait être assimilé à un «printemps du peuple burkinabè ». Mais je ne pense pas que ce printemps puisse avoir les mêmes conséquences, car le peuple burkinabè est vaillant et épris d’idéaux révolutionnaires.
Dès votre arrivée au Burkina Faso, vous vous êtes engagé, selon vos propres expressions, à « réchauffer les relations qui existent entre le Burkina et l’Iran. » A présent, quel bilan faites-vous de ces relations ?
Pour ce qui est de l’état des relations Burkina-Iran, c’est satisfaisant et on peut en dresser un bilan positif. Bien vrai que les autorités des deux pays souhaitent les développer davantage. Rappelons la visite historique du Président Blaise Compaoré en Iran, pour participer au Sommet des « Non Alignés » qui a ouvert de grandes opportunités. En dehors des échanges commerciaux entre les secteurs privés des deux pays, nous coopérons dans tous les domaines : éducation, social, enseignement, scientifique… Il faut souligner également que de grands pas ont été faits ces dernières années. Nous avons, ensemble, certains projets en cours de réalisation et d’autres en instance de discussion. Les sociétés iraniennes sont disposées à accompagner le gouvernement de transition burkinabè dans tous les domaines de développement, surtout les prioritaires tels l’énergie, l’agriculture. Quant à moi, j’ai facilité les délivrances de visas pour les ressortissants burkinabè qui fréquentent régulièrement le marché iranien. Pour dire que les relations entre Burkinabè et Iraniens sont comme les liens fraternels qui lient notre pays aux autres de la sous-région africaine ; il est bien vrai qu’on aurait souhaité une plus grande réciprocité de la part des autorités burkinabè, en accréditant la réouverture d’une ambassade burkinabè en Iran.
Qu’attendez-vous du Conseil National de Transition (CNT) après la chute du régime Compaoré ?
En tant qu’Ambassadeur accrédité au Burkina Faso, je souhaite que le CNT puisse travailler dans le sens de répondre aux aspirations de l’ensemble du peuple burkinabè, et que la transition puisse réconcilier les politiques et les couches sociales, et qu’ensemble, elles puissent marcher vers le développement du pays. Tout récemment, je viens de rencontrer quelques responsables du CNT avec qui j’ai échangé et je pense qu’ils sont engagés dans ce sens.
Quelle est la position de l’Iran face à l’Organisation de l’Etat Islamique en Irak et au Levant, proclamée le 29 juin 2014, avec pour objectifs l’établissement d’un kalifat dans le monde musulman et l’instauration de la charia, et qui sème la terreur au sein des populations ?
Comme mon Ministre de tutelle l’a déjà dit, la position de l’Iran face à l’EI est claire. Ces gens-là ne peuvent constituer ni un Etat, ni prétendre donner à leurs actions un quelconque caractère islamique. Ils sont juste des groupes armés criminels qu’on a toujours combattus partout où ils ont eu à sévir. On ne permet pas que des individus, agissant au nom de l’Islam, religion de paix, respect et tolérance, puissent commettre des actes de barbarie. Ils sont juste une fabrication des services secrets occidentaux.
Pourquoi refusez-vous de vous rallier aux pays occidentaux et américains pour combattre l’ennemi commun ?
Il y a peu de temps encore, l’Iran était très solitaire du combat contre ces mêmes groupes armés qui tentaient de déstabiliser la Syrie. On n’a pas oublié comment ces groupes terroristes se sont constitués et ceux qui, principalement, les soutenaient financièrement et logistiquement. Aujourd’hui, ce sont ces mêmes pays parrains qui sont en train de vouloir les combattre. Et encore avec des stratégies peu efficaces. Quand les Occidentaux auront compris qu’il n’y a pas de bons et de mauvais terroristes et que ces groupes constituent une menace pour tout le monde entier, eux-mêmes y compris, alors, l’Iran pourra s’allier avec eux pour lutter contre le terrorisme international. Je souhaite maintenant que l’Occident saisisse cette fois-ci l’occasion en Irak pour corriger son erreur en Syrie. Mais, l’Iran mène son combat en coordination avec le gouvernement irakien.
L’Iran est cité comme un des principaux alliés de la Syrie. Pourquoi continuer à soutenir Bachar El Assad dans la guerre qui l’oppose aux insurgés, en dépit des millions de victimes enregistrées ?
Si nous regardons la Syrie, il y a trois ans encore, ce pays n’avait pas de problème. Le peuple syrien vivait dans la paix et la tranquillité. Mais, pourquoi alors a-t-on décidé de détruire ce pays ? La Syrie est un pays souverain et le gouvernement de ce pays est légitime. Pourquoi décide-t-on d’imposer une démocratie par les armes et par des terroristes? Par quelle légalité en Droit International arme-t-on une rébellion et exporte-t-on les terroristes du monde entier pour détruire ce pays et faire partir un président légitime ? Si c’est le cas, il y a, dans notre région, des pays pires que la Syrie. Pourquoi ne sont-ils pas montrés du doigt ? Parce qu’ils arrangent ? Parce qu’il y a des intérêts là-bas ? Le cas de la Lybie parle de lui-même et si les Iraniens n’avaient pas épaulé la Syrie, on aurait alors pareille situation au Moyen-Orient. Nous sommes contre tout changement d’un régime légitime par les armes et l’ingérence étrangère; et le changement du régime syrien appartient au peuple syrien. C’est dommage qu’ils utilisent des terroristes pour arriver à leurs fins en Syrie. Mais qu’est-ce qu’ils vont répondre à l’opinion publique internationale ? Comment la future génération va-t-elle les juger ? Est-ce que les terroristes qui sont en Syrie sont de bons terroristes et ceux du Mali de mauvais ? Comment digèrent-ils cette contradiction ? A mon avis, l’Occident est responsable en grande partie de la crise en Syrie et de ses victimes. C’est pourquoi nous sommes contre cette imposition étrangère en Syrie, parce que ce serait une déviation des principes du Droit International.
Quelle analyse faites-vous du printemps arabe ? Et comment expliquez-vous l’échec de ces différents mouvements de révolte de la population de l’Egypte à Bahreïn en passant par la Syrie ?
A mon humble avis, le printemps arabe est devenu un automne noir, parce que les idées révolutionnaires, les aspirations des peuples n’ont pas pu voir le jour. Voyez-vous, en Egypte, après la révolution avec tous ces morts enregistrés, on est retourné très rapidement à un régime militaire. Même le gouvernement de Morsi n’avait pas bien fonctionné. Donc, des questions essentielles se posent, à savoir si le printemps arabe était une révolution. Ou tout simplement des revendications plus populaires, ou des émeutes ? Encore, est-ce que le printemps arabe n’a pas été dévié de son essence ? Mais, si vous comparez ces révolutions à la révolution iranienne, il y a une grande différence. Chez nous, il n’y avait pas un leader fort comme l’Ayattollah Khomeyni. Il faut signaler aussi qu’une révolution se prépare pendant un certain temps et doit être mûrie, réfléchie longuement. C’est à différencier avec une rébellion des forces armées. Pour dire que je ne suis pas très optimiste quant à l’aboutissement du printemps arabe. Déjà, il y a même des gens qui regrettent l’ère des anciens dirigeants, notamment en Lybie parce qu’au moins, il y avait la sécurité.
Comment appréciez-vous cette main tendue de la Communauté internationale avec la levée progressive des sanctions sur votre pays ? Et qu’est-ce qui bloque actuellement les négociations internationales sur le nucléaire iranien ?
Je suis très satisfait de voir que les négociations entre l’Iran et les 5+1 ont donné un certain résultat. Vous savez, cela fait dix ans qu’on négocie, beaucoup de rencontres ont eu lieu, mais c’est récemment qu’on a trouvé un terrain d’entente et une feuille de route pour résoudre définitivement ce problème. Dans ce cadre, pour témoigner de notre bonne foi, nous avons volontairement accepté de réduire nos activités nucléaires. De même, les techniciens de l’Agence internationale de l’énergie atomique ont augmenté leurs inspections, les visites sur nos sites, et ont visité pour la première fois les mines d’uranium et les installations qu’ils soupçonnaient. Résultat, l’Agence n’a rien trouvé de suspect. C’est pour cela que les Occidentaux viennent d’alléger les sanctions. Actuellement, je pense qu’ils sont dans une logique d’aller de l’avant. Alors, pourquoi ne devrait-on pas être optimiste ? De notre côté, nous sommes résolus à mener cette discussion pour avoir un résultat concret, pour le bénéfice de toutes les nations.
Qu’est-ce qui vous tient à cœur à transmettre à nos fidèles lecteurs ?
Je remercie le Directeur du quotidien « Le Pays », ainsi que toute son équipe, pour m’avoir accordé la chance de pouvoir rendre publique la diplomatie iranienne. J’en profite aussi pour présenter mes meilleurs vœux pour l’année 2015, tout en souhaitant au CNT et à l’ensemble du peuple burkinabè, la santé, le succès et la prospérité. Encore un grand souhait à la parfaite stabilité du pays. Vive les relations diplomatiques entre nos deux peuples amis et frères !
Propos recueillis par Hamadi BARO (Collaborateur)
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