C’est fait. L’Egypte post- Moubarak a sa Constitution. Le référendum en deux phases a connu son épilogue samedi avec des résultats donnant 64% des suffrages au « oui » et 36% au « non ». Mais que de péripéties, de controverses, de dissensions, d’affrontements et d’illusions perdues pour en arriver là ! Car ce scénario n’est pas celui auquel s’attendaient tous les Egyptiens qui ont arraché de haute lutte le pouvoir des mains du dictateur Hosni Moubarak. La révolution fut menée par diverses forces pro- démocratiques ou se présentant comme telles, mais à l’arrivée, certaines sont restées sur le quai de la gare. Elles ont refusé d’emprunter un train dont elles préfigurent que la destination finale ne leur conviendra pas. Car les islamistes, vainqueurs de la présidentielle, ont décidé que l’Egypte sera presque uniquement aux couleurs de leur idéologie. C’est donc un pays qui se réveille d’un processus électoral censé jeter les bases d’une nouvelle ère, avec la gueule de bois. Malgré les critiques diverses sur la régularité du scrutin, une chose est sûre, le président Mohamed Morsi et ses partisans ont réussi leur coup : doter l’Egypte d’une Constitution modulable comme un meuble IKEA et donc interprétable selon le prisme islamiste. Peut-on leur en vouloir d’avoir usé des moyens qu’offre la démocratie, à savoir les élections, pour arriver à leurs fins ? Les islamistes pourront toujours arguer de leur esprit démocratique en invoquant la volonté de la majorité. Et ce n’est pas faux. Mais dans les jeunes démocraties, le référendum a parfois des effets pervers. Les dirigeants ont l’art d’utiliser la démocratie pour, en réalité, tuer la démocratie. Face aux pressions occidentales, de nombreux chefs d’Etat se sont convertis à la « religion démocratique » sans en avoir la foi. Ils sont devenus « démocrates » par pur opportunisme et par instinct de survie. Quand un chef d’Etat fait réviser une Constitution par voie référendaire pour se maintenir éternellement au pouvoir, est-il démocrate ou dictateur ? Voilà la problématique qui se pose à bien des Etats africains. Mais, l’expérience égyptienne a cette particularité d’être acceptée par la majorité du peuple. Personne ne peut nier la domination des Frères musulmans, le mouvement du président Morsi, sur l’échiquier politique égyptien. L’histoire de ce pays s’écrira donc forcément en tenant compte de leur vision. Mais en même temps, le pays a besoin d’être uni pour affronter les grands défis à la fois politiques, économiques et sociétaux. C’est pourquoi le passage en force opéré par le pouvoir, aussi légitime soit-il, apparaît comme un coup de massue à l’unité nationale. L’Egypte post-Moubarak sera peut-être démocratique. Mais, elle sera sûrement sous l’emprise de la dictature de la majorité, les islamistes.