Les élections couplées Législatives-Municipales du 2 décembre dernier ne finissent pas de faire des gorgées chaudes. Après un recours en annulation des résultats de l’Arrondissement 4 de Ouagadougou dans lequel Le Faso Autrement et d’autres partis ont eu raison devant la justice, Ablassé Ouédraogo revient à la charge avec cette lettre adressée au chef de l’Etat, Blaise Compaoré. Il s’insurge contre le silence du président devant « certains faits et gestes graves qui remettent en cause certaines valeurs démocratiques, de justice ou de bonne gouvernance ». Il appelle de ce faite le chef de l’Etat à prendre ses responsabilités afin de faire appliquer les décisions de justice rendues sur les recours en annulation.
« Ouagadougou, le 20 décembre 2012
LETTRE OUVERTE A SON EXCELLENCE MONSIEUR LE PRESIDENT DU FASO
Excellence Monsieur le Président du Faso, Chef de l’Etat, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, Le 02 décembre 2012, le Burkina Faso, a eu rendez-vous avec l’histoire. Après un peu plus d’un demi-siècle d’exercice de la souveraineté nationale et internationale, notre pays a organisé des élections couplées, municipales et législatives, une échéance électorale décisive qui le met sous le regard et l’écoute attentifs de ses voisins, de l’Afrique et du monde entier.
Et de la manière dont sera conduite la gestion de la période post – électorale dépendra une image, un modèle, une référence que le peuple du Burkina Faso mérite amplement, si seulement les autorités qui gèrent l’Etat ont le souci citoyen et patriotique de faire avancer notre démocratie et notre justice afin que le pays marche dans l’unité et dans la mobilisation de toutes et de tous vers une ère de développement concerté.
Dans votre prestation de serment de Président du Faso conformément à l’Article 44 de la Constitution, vous avez juré devant le peuple burkinabé et sur votre honneur « … de respecter, de faire respecter et de défendre la Constitution et les lois... » du Faso. Le respect de la constitution implique, au-delà du corpus de la constitution du 11 juin 1991, un ensemble de règles, de principes et de valeurs constitutifs du bloc de constitutionnalité, s’imposant comme des fondements de l’État de droit. Cependant, au lendemain des élections couplées du 02 décembre 2012, force est de constater un certain nombre de faits et gestes graves qui remettent en cause certaines valeurs démocratiques, de justice ou de bonne gouvernance mais qui bénéficient d’un soutien tacite de votre part résultant de votre silence.
Il en est ainsi, entre autres, des deux faits suivants :
1. De l’exécution intégrale des jugements rendus par les juridictions compétentes de notre pays dans le cadre des recours liés au déroulement et aux dépouillements des résultats du scrutin du 02 décembre 2012 : Conformément à la loi fondamentale et au code électoral en vigueur dans notre pays, des Partis politiques, des groupes de Partis politiques et des citoyens à titre personnel ont présenté des recours aux juridictions compétentes qui ont déjà rendu leurs décisions comme celle du Tribunal Administratif de Ouagadougou portant sur l’annulation du scrutin dans l’Arrondissement n°4 de la Commune de Ouagadougou à cause des fraudes et des irrégularités constatées.
Le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature que vous êtes, a la responsabilité de faire exécuter le droit qui a été dit par les juges et empêcher que certaines autorités judiciaires qui travaillent à faire changer les verdicts et dont nous avons les preuves sur les agissements, ne contribuent à ternir davantage l’image de notre justice déjà épinglée dans plusieurs affaires qui empoisonnent la situation politique et sociale de notre pays depuis un certain nombre d’années. Notre pays a besoin d’une justice équitable, impartiale et d’une sécurité judiciaire pour sauvegarder la paix sociale et assurer le développement durable.
2. De la position du Secrétaire Exécutif du CDP dans le Cabinet du Président du Faso : Le Directeur de Cabinet du Président du Faso continue de cumuler ses fonctions avec celles de Secrétaire Exécutif du Parti, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP). Il utilise la symbolique de l’Etat, la représentation du pouvoir dans ses activités privées. Il relaie l’image du pouvoir dans une activité purement politique et utilise les moyens matériels et financiers et les ressources humaines de l’Etat dans ses activités quotidiennes sans liens directs avec les attributions de ses fonctions officielles.
Il apparait naturellement dans tout ce qu’il fait aujourd’hui plus comme le leader du CDP que votre Directeur de Cabinet et cela avec les moyens mis à sa disposition en raison de son mandat public et non politique. Et quand bien même il viendrait à poser des actes en tant que votre Directeur de Cabinet, il est indéniable qu’il agira toujours en cherchant à favoriser son Parti dont il est le premier responsable et dont la victoire aux élections couplées représente avant tout sa toute première propre réussite. En tout état de cause, il ne peut pas continuer à bénéficier des avantages de l’État pour travailler au service de son Parti politique.
D’ailleurs, cela est d’autant trivial qu’en qualité de Directeur de Cabinet, donc d’interface du Président du Faso, il ne peut pas être Chef Exécutif d’un Parti Politique, comme le prescrit la Constitution pour le Chef de l’Etat. Par conséquent, un choix de fonction s’impose à votre Directeur de Cabinet et en même temps Secrétaire Exécutif du CDP pour des raisons évidentes de bonne gouvernance, d’équité et de transparence dans le fonctionnement des Institutions de la République.
Excellence Monsieur le Président du Faso, Chef de l’Etat, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, Comme nous le savons tous, en politique le pire ennemi c’est la famille et l’histoire passée et récente au Burkina Faso et en Afrique, nous édifie à suffisance, ainsi :
Dans notre pays en 1966, le Président Maurice YAMEOGO a perdu le pouvoir pour une large part en raison des actes et des comportements de son frère aîné, alors Ministre de l’Intérieur, Denis YAMEOGO ;
En Tunisie, en Egypte et en Lybie, les Présidents Ben Ali, Moubarak et Kadhafi ont été chassés du pouvoir en 2011 pour partie à cause des agissements et des actes des membres de leurs familles et belle familles ;
En Côte d’Ivoire en 2011, le Président Laurent GBAGBO sous l’influence de son épouse a perdu le pouvoir et se retrouve aujourd’hui à la Cour Pénale Internationale à la Haye ;
Plus récemment, au Sénégal en 2012, le Président Abdoulaye WADE a perdu en grande partie l’élection à cause du positionnement qu’il voulait donner à tout prix à son fils Karim.
Monsieur le Président du Faso, l’histoire nous enseigne que les acteurs politiques et judiciaires qui prétendent soutenir aveuglément les régimes en place sont les premiers à les abandonner et même à travailler contre eux dès l’apparition des premières turbulences.
Nos ancêtres ne disaient-ils pas en mooré que : « Tang Zugu Bougoum, Rakwessan Fan Néémin ». Ce qui se dit en français : « Le feu sur la montagne, même les nains le voient ».
Veuillez agréer Excellence Monsieur le Président du Faso, Chef de l’Etat, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, l’assurance de ma très haute et respectueuse considération. Le Président du Parti