Politique
Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception »
Publié le samedi 13 decembre 2014 | Le faso
© Présidence par DR
Distinctions : feu Bata Mathias Konaté fait chevalier de l`Ordre national Jeudi 11 décembre 2014. Dédougou (région de la Boucle du Mouhoun). Le Grand chancelier des Ordres burkinabè, Mamadou Djerma, a élevé au grade de chevalier de l`Ordre national à titre posthume Bata Mathias Konaté |
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Jour de fête au Burkina Faso où on commémore le 54è anniversaire de l’indépendance. Cette année, Dédougou, dans la région de la boucle du Mouhoun, est à l’honneur. Hier, mercredi 10 décembre 2014, s’y tenait le conseil des ministres. En Bwamu, Dédougou signifierait « Je suis heureux et fier » ou encore « Je me suffis ». Cela ne pouvait pas mieux tomber alors qu’il y a six semaines, le jeudi 30 octobre 2014, les Ouagalais s’emparait de leur ville et allait faire tomber en quarante-huit heures le régime en place.
Aujourd’hui, si le Burkina Faso vit une transition « d’exception » (dans tous les sens du terme), le sentiment qui domine est que le pays s’est remis seul sur les rails, sans ingérence étrangère. C’est « l’exception burkinabè » que n’a pas manqué de souligner le Président de la Transition, Président du Faso, Président du Conseil des ministres, Michel Kafando, devant les diplomates rassemblés le lundi 8 décembre 2014, au ministère des Affaires étrangères. « Je suis heureux et fier » et « je me suffis ». Cela pourrait être les nouvelles devises du Burkina Faso nouveau. Sauf que ce bonheur, cette fierté et cette suffisance ne s’accordent qu’aux événements passés. Restent le présent et l’avenir. Et ce ne sera pas, si j’ose dire, la même partie de plaisir. Il est plus facile de faire l’unité « contre » que « pour ». Et, pour l’instant, nous n’en sommes qu’aux déclarations de bonnes intentions.
C’est d’ailleurs le message qu’a fait passer l’ambassadeur des Etats-Unis, Tulinabo Mushingi. Après avoir salué les étapes d’ores et déjà franchies, il a précisé : « Nous, nous attendons d’ici janvier pour voir effectivement ce qu’ils vont décider […] Il faut qu’on commence à parler des élections dans le discours public. Je dois le dire et je vais le répéter aussi, vous savez, la patience de la communauté internationale, c’est comme pour le peuple. Pour le moment, ça va et on souhaite que cela continue […] Mais il faut qu’on voie du progrès à l’approche de l’année 2015 »*. Tulinabo Mushingi (il est originaire de l’Est de la RDC) est bien placé pour alerter les responsables politiques burkinabè sur le temps qui passe. Dès sa nomination, il avait entrepris de parcourir 34 localités dans les treize régions du Burkina Faso, avait rencontré les leaders de l’opposition et dit ce qu’il avait à dire : « Une démocratie est renforcée quand le gouvernement respecte la Constitution ». Alain-Edouard Traoré, ministre de la Communication, Porte-parole du gouvernement, avait répliqué : « Le peuple burkinabè est souverain, c’est lui qui décide », tandis que Blaise Compaoré, depuis Washington, avait affirmé quelques semaines plus tard : « Il n’y a pas d’institutions fortes, sans hommes forts… ». De ces « coups de menton », il ne reste plus rien aujourd’hui, le peuple ayant « décidé » de renvoyer les « hommes forts » à leur salle de gym !
L’ambassadeur de France, Gilles Thibault, est tout autant dans l’attente du concret : « Que la transition conduise à l’organisation d’élections libres et transparentes dans les délais fixés »*. La chute de Compaoré avait pourtant été saluée avec lyrisme par Thibault qui évoquait « le courage du peuple burkinabè pour son combat au service de la liberté et de la démocratie » évoquant une « victoire » qui « est la sienne », son « admiration face à la détermination de la jeunesse, des organisations de la société civile et de l’ex-opposition politique » et relevant « le professionnalisme et le sens des responsabilités des forces armées et de sécurité »**.
Le départ de Compaoré, dans les conditions où cela s’est fait, a donné satisfaction à Paris : vite fait bien fait et les Français installés là-bas n’ont pas subi d’outrages. François Hollande, lors du sommet de la Francophonie de Dakar, le week-end dernier, a martelé avec insistance sa satisfaction. Mais la « transition » ne peut pas être, vue de Paris, la « révolution ». Thibault l’a dit : la transition doit conduire « à l’organisation d’élections libres et transparentes dans les délais fixés ». Le reste, tout le reste, n’est que bavardage et perte de temps. Et ce n’est pas en douze mois (il n’en reste que onze et, compte tenu des fêtes de fin d’année, autant dire dix seulement !) que le Burkina Faso va changer de physionomie.
Or, depuis L’Elysée et le Quai d’Orsay, l’impression domine que le vent du changement souffle parfois en tempête et qu’à vouloir tout changer on risque fort de ne rien changer, hormis la tête des uns et des autres. Sauf bien sûr que L’Elysée se trouve rue du Faubourg Saint-Honoré et pas à Kosyam et que la population burkinabè ne veut plus, désormais, l’alternance pour l’alternance mais l’alternance pour le changement en profondeur : faire tomber Blaise était une chose ; mais pas question, dès lors, de « supporter l’insupportable et d’accepter l’inacceptable ». Kafando et Zida doivent gérer cette exigence de radicalité, parfois même à leur corps défendant.
Ne pas aller trop vite trop loin et, surtout, savoir jusqu’où il faut aller, c’est le règle du jeu fixée par les PTF. Les partenaires techniques et financiers du Burkina Faso n’avaient pas à se plaindre de Compaoré et des équipes qui ont assumé la gestion des affaires publiques. Dans une Afrique de l’Ouest qui, depuis la mort du « Vieux » à Abidjan, a connu des crises multiples, le « Pays des hommes intègres » était le meilleur ancrage pour la « communauté internationale » ; certes, il y avait les problèmes de la sous-région et les problèmes nationaux, mais Blaise et les siens paraissaient à même de les gérer avec ce qu’il faut d’hypocrisie et de perversité pour faire, aux yeux des puissances étrangères, une bonne diplomatie. Une diplomatie dans laquelle chacun trouvait son compte.
Peu enclin à s’exhiber sur la scène africaine et internationale à la façon d’un Khadafi ou d’un Bongo (Omar), pas bling-bling à la façon de N’Guesso ou de Biya, plus cohérent dans ses choix que n’a pu l’être un homme aussi charismatique et intelligent qu’Abdoulaye Wade, ouvert à toutes les propositions qui allaient dans le sens de ses intérêts bien compris (cela a été probant en Côte d’Ivoire), Compaoré n’a jamais pu faire oublier à son peuple les conditions dans lesquelles il a accédé au pouvoir en 1987, ni la façon dont ses proches ont tenu à l’y maintenir dès lors que la démocratisation politique a été suivie d’une libéralisation économique qui a suscité des ambitions démesurées pour un pays enclavé, pauvre mais dont la population n’a jamais été arriérée.
Dans la comptabilité à partie double dressée par les partenaires techniques et financiers, l’actif international équilibrait le passif national. Ces PTF n’entendent pas que les choses changent fondamentalement. La situation militaro-diplomatique dans la région reste sous tension ; au Mali, la Minusma a de plus en plus de mal à assumer sa mission ; la Côte d’Ivoire va entrer en campagne présidentielle cahin-caha alors que ni le Togo, ni le Bénin, ni le Niger – sans oublier le Nigeria à la jonction Afrique de l’Ouest/Afrique centrale – ne sont au mieux de leur forme. Sans parler de la Guinée, de la Sierra Leone, du Liberia confrontés à Ebola, tandis qu’ailleurs (Bissau, Dakar, Nouakchott…) rien n’est acquis.
C’était tout le sens de la lettre de Hollande à Blaise, le 7 octobre 2014, dans laquelle il considérait que « le Burkina Faso pourrait être un exemple pour la région » à condition d’éviter « les risques d’un changement non consensuel de Constitution ». Le message n’a pas été entendu. Aujourd’hui, Paris et ses partenaires veulent une transition qui aille vite et bien afin que le Burkina Faso ne retrouve pas ses vieux réflexes : un débat politique interminable qui débouche sur une instabilité institutionnelle. Il n’y a plus « d’homme fort » au Burkina Faso ; il faut qu’il y ait encore des « institutions fortes ». C’est le message de Paris et de Washington.
* Cité par Samuel Somda, lefaso.net du mardi 9 décembre 2014
** Message de Gilles Thibault, ambassadeur de France au Burkina Faso, Ouagadougou, le 4 novembre 2014.
Jean-Pierre BEJOT
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