Politique
La Transition Burkinabè: Entre Impostures Et Espoir De Renouveau Démocratique
Publié le mardi 9 decembre 2014 | FasoZine
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1 – LA TRANSITION SERA- T- ELLE LE TEMPS DE LA JUSTICE OU CELUI DES RÈGLEMENTS DE COMPTE ?
Depuis l’insurrection populaire des 30 et 31 Octobre dernier, la presse et les réseaux sociaux burkinabè se font l’écho, avec complaisance, de déclarations haineuses, assorties des menaces les plus variées sur le sort qui sera réservé aux partis politiques, aux associations et aux personnes qui ont commis le « crime » d’avoir soutenu le projet du Président Blaise Compaoré de consulter le Peuple, ou ses représentants à l’Assemblée Nationale sur la révision de l’article 37 de la Constitution. Cela va même plus loin. À lire, ou à écouter certaines déclarations, le simple fait, pour une formation, de ne s’être pas opposée ouvertement à ce projet, constituerait en soi un « crime », passible de sanctions politiques, civiques et pénales. C’est vrai que les manifestations de caractère insurrectionnel, surtout lorsqu’elles ont réussi, sont propices aux excès en tous genres : violences physiques, propos et actes incendiaires. Mais il faut aussi, une fois passée la période de fièvre, savoir retrouver la raison pour analyser de façon objective les faits qui ont conduit à cette situation de crise et, surtout, rechercher les voies d’un meilleur avenir, plus démocratique, plus équitable, plus juste pour l’ensemble des burkinabè.
Cela n’implique pas l’impunité pour les délits qu’une procédure judiciaire régulière aura permis de mettre à jour. Mais cela exige que les poursuites qui seront engagées contre tel ou tel des responsables de l’ancien régime soient conduites dans le strict respect de la loi. En somme, si elle veut asseoir les bases d’une refondation de la démocratie burkinabè, expurgée des dérives réelles ou supposées du régime précédent, la transition doit être tout sauf une période de « règlement de comptes ». On ne rassemblera pas la Nation et on ne rétablira pas la confiance dans notre justice sur la base de règlements de comptes. Un tel choix ne fera qu’ouvrir la voie à un cycle de règlements de vengeances.
Ces préalables étant posés et pour que les choses soient claires, je voudrais affirmer que je n’ai rien contre la réouverture des dossiers les plus emblématiques, dont le dénouement judiciaire est présumé avoir été étouffé : affaire Norbert Zongo, affaire David Ouedraogo, contentieux divers liés à l’assassinat de Thomas Sankara, dossiers relatifs à des détournements de fonds, ou à des présomptions d’enrichissement illicite, etc… Mais il faut rappeler également que les assassinats demeurés inexpliqués et les soupçons qui pèsent sur l’origine du patrimoine de certaines personnalités du monde des affaires et de la politique ne concernent pas seulement les personnes qui sont réputées avoir appartenu au dernier carré des fidèles de Blaise Compaoré. La justice ne doit pas être sélective.
2 – TOURNER LA PAGE BLAISE COMPAORE
Blaise Compaoré n’est pas tombé parce qu’il voulait porter le nombre maximum des mandats consécutifs du President du Faso de 2 à 3 mandats. Même si ce sujet est celui qui a déclenché l’insurrection. Blaise Compaoré est tombé parce qu’il est est resté trop longtemps au pouvoir, dans une Afrique de l’Ouest où tous les autres Présidents ont moins de 10 ans de présence à leur poste et dans un monde où l’alternance est perçue, de plus en plus, comme un dogme de la démocratie. Il est tombé parce que, à tort ou à raison, il a laissé s’installer dans l’opinion l’idée qu’il préparait une succession dynastique, en cherchant à retarder son départ pour attendre le moment propice de transmettre le pouvoir à son frère, François Compaoré. Il est tombé parce que, usé à la longue par le pouvoir, il s’est coupé des réalités de la société burkinabè, n’écoutant que des courtisans recrutés principalement dans son cercle familial, qui abusaient de leur position pour accaparer de plus en plus de marchés publics. Il est tombé enfin, parce que persuadé d’être un dirigeant providentiel, il n’a pas ressenti la nécessité d’ouvrir un dialogue véritable avec l’opposition sur les questions politiques essentielles ( y compris l’article 37), ni même avec le CDP ou les autre partis de la majorité.
Il a préféré s’emmurer dans le silence hautain qui lui a permis, par le passé, de surmonter bien des obstacles, en usant l’énergie et la résistance de ses adversaires. Il est tombé par l’usure même de son pouvoir, dont tous les fondements se sont effondrés en l’espace d’une journée, montrant que tout son système de gouvernement, qui semblait inexpugnable, ne reposait en réalité que sur du sable. L’ascendant qu’on lui prêtait sur l’armée et la loyauté indéfectible que le Régiment de Sécurité Présidentielle était censé lui témoigner se sont révélés inopérants. Le CDP, colosse aux pieds d’argile, n’a pas été capable, le jour où cela était vraiment nécessaire, de mobiliser ses militants pour opposer une résistance populaire à l’assaut pourtant prévisible des manifestants anti référendum. Le dispositif sécuritaire du Gouvernement s’est montré totalement défaillant. Sans doute, il y eut l’audace et la détermination des hordes de manifestants, encouragées par la molle résistance des forces de sécurité, qui a favorisé la prise facile du symbole que représente l’Assemblée Nationale.
Mais la vérité est que tout l’appareil d’Etat s’est dérobé d’un seul coup, laissant, deux jours durant, la ville de Ouagadougou et plusieurs localités de l’intérieur à la merci de vandales et de pilleurs et offrant aux multiples adversaires du régime la divine surprise d’une vacance soudaine du pouvoir. Donc Blaise Compaoré est tombé par sa propre faute, parce qu’il s’est accroché aux apparences d’un pouvoir qu’il avait cessé d’assumer et de contrôler.
Cette fin peu glorieuse ne doit pas faire oublier les progrès indéniables qui ont été réalisés par le Burkina Faso, sous son long règne. Sous sa direction l’économie nationale a connu une croissance soutenue pendant près d’une dizaine d’années qui, sous réserve d’inventaire, a quand même profité à l’ensemble de la Nation. Les revenus du monde paysan se sont accrus, au fil de productions céréalières souvent excédentaires et grâce à des programmes de modernisation des techniques culturales. Les producteurs de coton, en particulier, ont bénéficié d’un appui constant du Gouvernement pour améliorer leurs conditions de production et , partant, la rentabilité de leur activité. Une classe moyenne disposant de revenus qui permettent de vivre correctement a commencé à émerger dans les centres urbains. Des pôles de croissance sont en voie active de création sur au moins trois sites. De nombreuses infrastructures ont été réalisées
pour assurer le désenclavement progressif du pays, à l’intérieur, comme dans le trafic transfrontalier. La célébration tournante de la fête de l’Indépendance a permis de doter plusieurs villes d’équipements publics à usage collectif. Notre capitale, Ouagadougou, dispose d’infrastructures qui la placent , sur bien des points, à un niveau enviable dans la sous région ouest africaine, même si beaucoup reste à faire pour qu’elle devienne une ville moderne, fluide et accueillante.
Certes, la vie demeure chère et difficile pour la majorité de la population, notamment dans les zones rurales. La pauvreté est loin d’être vaincue. Le chômage croissant des jeunes ne trouve pas de solution massive et durable. La corruption gangrène toujours les circuits économiques et l’activité de nombre de services publics. Les performances du Burkina demeurent faibles dans les domaines
vitaux de l’éducation et de la santé. Outre que ces contre performances sont le lot commun des pays en développement, on ne peut pas reprocher aux gouvernements successifs de Blaise Compaoré de n’avoir rien fait pour les corriger.
Il est indéniable également que la démocratie, la liberté d’expression et le respect des droits humains ont progressé sous le régime de Blaise Compaoré. La notion même de prisonnier politique a disparu des mémoires. Au cours des dernières années, la presse n’a subi aucune forme de censure, même lorsqu’elle s’attaquait de façon frontale et virulente au pouvoir. Les marches et meetings de la campagne contre le référendum ont montré la liberté totale dont bénéficiaient les partis politiques et mouvements de la société civile pour exprimer leur opposition au régime. Des dispositions transparentes et équitables ont été prises pour assurer le financement des partis politiques par le budget national.
Au point que, en 2014, le CDP, bien que parti du Gouvernement, s’est vu refuser le versement de la subvention ( de l’ordre de 400 millions de francs) à laquelle il pouvait prétendre, faute d’avoir fourni à la Cour des Comptes les pièces justificatives de ses dépenses dans les formes prescrites par la loi. S’inscrit dans le même sens, la décision d’instaurer un statut de Chef de file de l’Opposition, organe inusité dans les systèmes démocratiques inspirés du droit constitutionnel français. Pour assurer que cet organe ne soit pas une coquille vide, il a même été doté d’un financement sur le budget de l’Etat, à hauteur de 100 millions de francs. De même, à l’initiative du pouvoir, une loi a été votée pour interdire le » nomadisme politique « , qui conduisait des élus de l’opposition à migrer vers la majorité, affaiblissant ainsi leur formation d’origine.
Sur le plan électoral, le choix qui a été fait par le régime de Blaise Compaoré d’appliquer le mode de scrutin de la proportionnelle au plus fort reste, pour les élections législatives, n’avait d’autre but que de permettre aux petits partis d’accéder à l’Assemblée Nationale. Sans un tel système de scrutin, qui obéit à une logique de discrimination positive (consistant en quelque sorte à donner un avantage électoral exorbitant aux formations les plus faibles), il est vraisemblable que plusieurs des partis qui se targuent aujourd’hui d’avoir le monopole de la représentation du peuple n’auraient jamais eu un seul député.
Paradoxe de la magie « révolutionnaire », ce sont ces mêmes partis, appuyés par quelques activistes de la société civile, qui aujourd’hui se proclament majoritaires au Conseil National de la Transition, se déclarant, sans vergogne, investis comme tels par le mouvement insurrectionnel. Ce qui laisse augurer un bien sombre futur pour la démocratie burkinabè. À moins que les élections prochaines se déroulent de façon vraiment démocratique et les ramènent à leur statut ultraminoritaire.
En définitive, s’il fallait un argument supplémentaire pour justifier la nécessité d’une limitation de la durée totale des mandats présidentiels, le cas de Blaise Compaoré en fournit une bonne illustration. Il a, au cours de ses mandats, rendu d’éminents services à son pays et à la sous région ouest africaine. Mais il a duré au pouvoir plus que de raison et n’a pas su se retirer lorsque le moment fut venu, en laissant simplement aux burkinabè, comme c’est leur privilège, le soin de désigner librement son successeur.
3 – MYTHES ET RÉALITÉS SUR LA LIMITATION DU NOMBRE DES MANDATS PRÉSIDENTIELS.
Blaise Compaoré étant parti, on aurait pu supposer que la question de la limitation des mandats serait mise en suspens ( dès lors qu’elle n’est plus un enjeu dans cette période de transition ), pour être définitivement régulée par les institutions républicaines et démocratiques qui sortiront des élections générales de Novembre 2015. Or des voix s’élèvent déjà pour réclamer qu’une révision constitutionnelle intervienne avant la fin de la période transitoire, dans le but de « verrouiller » les dispositions de l’article 37.
Compte tenu du traumatisme créé par ce débat dans la communauté nationale, on peut comprendre l’empressement de certaines personnes à s’assurer qu’il sera définitivement clos pour l’avenir. Cela dit, je pense que ce n’est pas le rôle des institutions de la transition, qui n’ont pas été démocratiquement élues par le peuple burkinabè, de prendre une décision de cette nature. De manière plus générale, je considère d’ailleurs qu’elles n’ont pas vocation à modifier la Constitution, sauf, le cas échéant, dans ses dispositions qui touchent à l’organisation d’élections libres, démocratiques et transparentes en 2015.
Le débat sur l’article 37 n’étant plus obscurci par l’hypothèque du maintien au pouvoir de Blaise Compaoré, ni par aucune velléité de créer les conditions d’une présidence à vie, je pense qu’il sera temps, après les élections de 2015, d’avoir à ce sujet une discussion rationnelle et apaisée au sein de la classe politique.
En effet, je suis de ceux qui pensent que si la limitation des mandats présidentiels est nécessaire, pour éviter les dérives que nous avons connues et pour donner un surcroît de dynamisme à notre démocratie, la règle des deux mandats de 5 ans ne doit pas être pour autant érigée en panacée universelle.
Nous sommes un pays en développement et le Président qui accède au pouvoir dans un pays comme le notre doit disposer d’une durée suffisante pour mettre en œuvre un programme de gouvernement, dont on peut supposer qu’il nécessitera un délai de 10 à 15 ans. Sur ce plan, notre pays n’est pas dans la même position que les États Unis d’Amérique, la France ou la Russie, qui ont choisi de fixer la limitation du nombre des mandats, respectivement, à deux périodes de 4 ans, ou de 5 ans. Les systèmes économiques et sociaux de ces pays n’exigent pas forcément des changements structurels aussi profonds que ceux qui s’imposent à un État en développement.
Or l’expérience nous montre que lorsqu’un Président entame ses fonctions, il faut pratiquement une année avant que les organes gouvernementaux deviennent vraiment opérationnels et que les stratégies de développement qu’il a élaborées puissent commencer à être mises en oeuvre. Ensuite, dès la 4ème année de son mandat, il sera amené à se concentrer davantage à sa réélection qu’à la gestion des affaires gouvernementales. S’il est réélu, il est vraisemblable que dès la 3ème année de son second mandat, l’activité politique et celle du Gouvernement sera dominée par la perspective de l’élection d’un nouveau Président.
Il est donc raisonnable de penser que sur la durée de 10 ans le Président ne disposera en fait que de 6 à 7 ans pour conduire vraiment un programme de développement, sans que son action soit subordonnée au calendrier électoral. Sans doute ces contraintes peuvent être gérées de manière optimale, afin que le temps présidentiel soit utilisé de la façon la plus efficace pendant toute la durée des 2 mandats. Mais le risque d’une déperdition de temps, consacrée aux questions électorales existe. C’est la raison pour laquelle il me semble qu’un pays comme le Burkina gagnerait à fixer la limitation du nombre des mandats présidentiels à 3 périodes consécutives de 5 ans, soit une durée maximale de 15 ans.
Le fait que ce régime soit celui qui avait été finalement proposé par Blaise Compaoré ne doit pas constituer une raison pour le rejeter d’emblée, sans aucune réflexion. En tout cas, avant de verrouiller le système des 2 mandats, il faut s’assurer qu’on ne s’enferme pas dans un carcan contre productif. Il ne s’agit plus de faire partir un Président. Il s’agit de la stabilité institutionnelle et du développement du pays.
4 – FICTION D’UNE TRANSITION CONSTITUTIONNELLE, INCLUSIVE ET CONSENSUELLE.
# La transition est elle constitutionnelle ?
Sous la pression de la communauté internationale et notamment de la CEDEAO, il a été décidé que la transition ouverte après la vacance de pouvoir créée par la démission du Président Blaise Compaoré s’exercerait dans le respect de la Constitution burkinabè. Toutefois, par souci de réalisme, les Chefs d’Etat de la CEDEAO, désignés comme facilitateurs du règlement de la crise burkinabè, ont admis que certaines dispositions de la Loi Fondamentale devaient nécessairement être mises en suspens, pour tenir compte des circonstances de la démission du Président du Faso, qui rendaient difficile la stricte application des règles constitutionnelles régissant la vacance du pouvoir.
Il faut dire les choses clairement. En approuvant ce subterfuge constitutionnel, les Chefs d’Etat de la CEDEAO ont tout simplement avalisé un coup d’Etat. Car il y a bien eu un coup d’Etat et on aurait pu se contenter d’en prendre acte, bon gré mal gré, en aidant le Burkina à organiser une transition consensuelle vers un retour à une vie constitutionnelle normale et, notamment, en atténuant l’impact des sanctions internationales éventuelles.
Pour évacuer le problème et se débarrasser du casse tête burkinabè, on a préféré demander aux protagonistes nationaux de se « débrouiller » pour inventer un dispositif transitoire, en leur imposant deux contraintes factices : la levée (partielle) de la suspension de la Constitution, qui avait été décidée par le pouvoir militaire et l’obligation de confier la fonction de Président de la Transition à une personnalité civile.
Nous savons tous que, dans les faits, la Constitution n’est plus respectée et les militaires exercent la réalité du pouvoir.
La Constitution est le fondement de notre système d’Etat de droit. Elle constitue un tout. Nul ne peut, en fonction des circonstances, ou de l’évolution du rapport de force militaire ou politique, décider que telle ou telle de ses dispositions sera suspendue, en dehors des cas où elle même prévoit et organise cette suspension. Nulle exégèse n’est utile pour comprendre cette vérité simple.
Personne ne met en doute le fait insurrectionnel. C’est bien l’ampleur de ce soulèvement populaire qui a conduit le Président Compaoré à se retirer. Mais il va de soi aussi que l’insurrection ne peut être considérée comme un procédé constitutionnel de désignation du Président du Faso et de création d’un organe législatif, en lieu et place de l’Assemblée Nationale.
Loin de moi l’idée de m’inscrire dans la logique des menaces de sanctions diverses, qui est actuellement l’apanage de certaines factions politiques, mais il est utile de rappeler à nos compatriotes quelques règles claires et simples de notre Constitution, dont ils pourront apprécier si elles sont respectées ou bafouées.
Article 166
» La trahison de la patrie et l’atteinte à la Constitution constituent les crimes les plus graves commis à l’encontre du peuple. »
Article 167
« La source de toute légitimité découle de la présente Constitution. Tout pouvoir tire sa source de cette Constitution, notamment, celui issu d’un coup d’Etat ou d’un putsch est illégal.
Dans ce cas, le droit à la désobéissance civile est reconnu à tous les citoyens. »
Article 168
« Le peuple burkinabè proscrit toute idée de pouvoir personnel. Il proscrit également toute oppression d’une fraction du peuple sur une autre. »
Donc la transition n’est pas constitutionnelle. Pour qu’il en soit ainsi, il aurait fallu recourir aux dispositions de la Constitution applicables en cas de vacance de la fonction de Président du Faso. L’article 43 de la Constitution dispose, à cet égard, que dans ce cas de vacance, la fonction de Président du Faso est dévolue au Président de l’Assemblée Nationale. Une nouvelle élection présidentielle doit être organisée dans un délai de 60 jours au moins et de 90 jours au plus, le Président intérimaire n’étant pas autorisé à faire acte de candidature à ce scrutin.
Or qu’avons nous constaté ? L’hypothèse d’une application des dispositions constitutionnelles n’a même jamais été envisagée. La Constitution a été temporairement suspendue. Face au vide créé par le départ soudain de Blaise Compaoré l’armée a pris le pouvoir et l’a exercé jusqu’à la désignation du Président de la Transition, dans les conditions fixées par la Charte de la Transition. Il y a donc eu une insurrection, qui a entraîné la démission du Président du Faso. Puis l’armée a pris le pouvoir, en suspendant la Constitution. Et des organes de transition qui ne tirent évidemment pas leur source de la Constitution ont été mis en place, même s’il a été proclamé que celle ci était rétablie partiellement. Cela s’appelle un coup d’Etat.
# La transition est elle consensuelle et inclusive ?
La Charte de la transition a été élaborée à l’issue de discussions entre 3 groupes qui se sont cooptés mutuellement comme seuls représentants légitimes du peuple burkinabè : les partis politiques qui constituaient antérieurement l’opposition, les organisations de la société civile ( incluant les autorités coutumières et religieuses), les forces de défense et de sécurité . Les partis qui appartenaient à l’ancienne majorité, ou au Front Républicain ont délibérément été écartés de ces discussions. Mieux, ou pire, des menaces véhémentes ont été proférées à l’encontre de leurs représentants par les délégués des partis d’opposition et de la société civile, lorsqu’ils se sont rendus à une rencontre convoquée par les Chefs d’Etat de la CEDEAO, à laquelle ils avaient été expressément conviés.
Exclus des discussions, les partis de la Majorité sortante et du Front Républicain ont été invités à la signature de la Charte de la Transition, avec l’injonction de désigner pour cette cérémonie un délégué choisi en dehors des dirigeants de leurs formations Page
respectives. Ils se sont pliés à cette parodie d’inclusion pour éviter la politique de la chaise vide, à laquelle certains voulaient sans doute les acculer.
Enfin, la Charte elle même contient de multiples dispositions discriminatoires à l’égard des personnes réputées appartenir à l’ancien régime :
– Les personnes ayant soutenu « ouvertement » le projet de modification de l’article 37 de la Constitution sont expressément écartées de certaines fonctions de la transition : Collège de désignation du Président de la Transition, Président de la Transition, Gouvernement.
Que signifie l’adverbe « ouvertement » dans ce contexte? S’applique-t-il à tous les militants de la majorité politique du Burkina qui, d’une manière ou d’une autre, ont exprimé leur soutien à ce choix ?
– Dans le Conseil National de Transition, 10 places sont accordées aux partis de l’ancienne majorité et du front républicain, tandis que les partis affiliés au Chef de file de l’opposition bénéficient de 30 postes.
Ces pratiques sont-elles de nature à favoriser une transition consensuelle et inclusive ? La réponse est non.
De surcroît, la Charte, en plus d’être contraire à la Constitution, contient elle même des contradictions flagrantes. En effet, la Charte énonce à son article premier certaines « valeurs de référence » qui doivent présider à la transition et guider l’action des organes qu’elle institue. Ces valeurs sont les suivantes :
. Le pardon et la réconciliation,
. L’inclusion,
. Le sens de la responsabilité,
. La tolérance et le dialogue,
. La probité,
. La dignité,
. La discipline et le civisme,
. La solidarité,
. La fraternité,
. L’esprit de consensus et de discernement.
À y regarder de près, aucune de ces soi-disant « valeurs de référence » n’est respectée, ni par la lettre de la Charte, qui est discriminatoire, ni par l’esprit de revanche et d’exclusion qui a présidé à son élaboration, ni par la pratique des institutions de la transition.
À cet article premier de la Charte, j’oppose les dispositions de l’article premier de notre Constitution qui, sont outrageusement bafouées par les pratiques actuelles de la transition :
Article 1
» Tous les burkinabè naissent libres et égaux en droits.
Tous ont une égale vocation à jouir de tous les droits et de toutes les libertés garantis par la présente Constitution.
Les discriminations de toutes sortes, notamment celles fondées sur…..les opinions politiques…sont prohibées. »
D’autres dispositions de la Constitution, qui elles aussi se passent de commentaire, méritent d’être rappelées :
Article 3
» Nul ne peut être privé de sa liberté s’il n’est poursuivi pour des faits prévus et punis par la loi.
Nul ne peut être arrêté, gardé, déporté ou exilé qu’en vertu de la loi. »
Article 5
» Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à faire ce que la loi n’ordonne pas…. »
Article 11
« Tout burkinabè jouit des droits civiques et politiques dans les conditions prévues par la loi. »
Article 12
» Tous les burkinabè sans distinction aucune ont le droit de participer à la gestion des affaires de l’Etat et de la société.
À ce titre, ils sont électeurs et éligibles dans les conditions prévues par la loi. »
Article 13
» Les partis et formations politiques se créent librement…
Ils mènent librement leurs activités dans le respect des lois.
Tous les partis ou formations politiques sont égaux en droits et en devoirs… »
Article 32
» La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce dans les conditions prévues par la présente Constitution et par la Loi. »
Je présente mes excuses au lecteur pour cette longue série de citations du texte de la Constitution. Mais en ces temps où l’on veut nous faire croire que les fondements de la République, de la Démocratie et des droits des citoyens ont changé, il est bon que tous nos compatriotes se remémorent les bases saines et intangibles sur lesquelles repose l’organisation de notre communauté nationale.
Les discriminations qui sont faites aux membres de l’ancienne opposition, au prétexte qu’ils ont soutenu la modification de l’article 37, sont iniques et contraires à la Constitution. Le fait de soutenir ou de ne pas soutenir la modification de l’article 37 relève d’un choix politique. Il reflète une opinion politique sur une question politique. Ce n’est pas un délit. Page 5/5
Que faire face à ces dénis de droit flagrants ? Dans un État de droit, la solution normale consisterait à déposer un recours devant la juridiction constitutionnelle, pour qu’elle statue sur la conformité des dispositions concernées de la Charte par rapport à la Constitution. Mais sommes-nous encore un Etat de droit ? Le Conseil Constitutionnel, lui même, a avalisé le coup d’Etat et ses multiples implications anti constitutionnelles, en approuvant la Charte et en recevant le serment du Président de la Transition.
Même s’il est évident qu’il a agi sous la contrainte des circonstances, dans un État de droit, les actes qu’il a commis, en donnant son blanc seing à ces violations de la Loi Fondamentale constituent une forfaiture. Il faut regarder les choses en face et les nommer par leur nom. Je n’en tire pas la conséquence qu’il faut envisager, aujourd’hui ou demain, d’engager des poursuites quelconques contre les membres de cette haute juridiction.
Notre pays souffre assez de la soif vengeresse de nombre de ses fils. Je me borne à constater ce qui est. Sachant, par ailleurs, que face à cette situation compliquée certains ont fait de leur mieux pour trouver des compromis dynamiques, tandis que d’autres ont profité des circonstances pour essayer de solder les comptes de leur misère intellectuelle, morale et matérielle.
Reste la possibilité de saisir de cette contestation les juridictions de la CEDEAO, ou de l’UEMOA, ou d’autres instances judiciaires internationales. Les formations et les personnes à qui ces mesures font grief en apprécieront l’opportunité.
5 – QU’ATTENDRE DES INSTITUTIONS DE LA TRANSITION DANS UN TEL CONTEXTE ?
Aussi imparfaites qu’elles soient, les institutions de la transition sont ce que nous avons pour baliser le chemin jusqu’aux prochaines élections générales. Disant cela, je me garde bien de jeter l’anathème sur tous les hommes et les femmes qui participent à la gestion de la transition. Je ne les connais pas tous. Grâce au ciel, j’en connais plusieurs qui sont des personnes sérieuses et de bonne foi. Je veux espérer qu’elles auront à coeur de faire en sorte que le Burkina retrouve une vie démocratique normale, à laquelle participeront toutes les filles et tous les fils de notre Nation.
Je me félicite, comme tous les burkinabè, que nos forces de défense et de sécurité aient su prendre leurs responsabilités, d’abord en évitant que l’insurrection des 30 et 31 Octobre tourne à un bain de sang et, ensuite, en assumant le pouvoir d’Etat pour mettre un terme au chaos qui menaçait le pays. Je considère également que l’équipe militaire qui dirigeait le pays pendant ces heures chaudes a montré un vrai sens politique, en naviguant intelligemment entre les réclamations exaltées de certains membres de la société civile et les manoeuvres de positionnement fébriles des partis de l’opposition.
Même si j’ai beaucoup à redire sur les textes et les pratiques de la transition, je pense que la présence de l’armée dans ce dispositif offre des chances pour que nous parvenions à organiser en 2015 des élections libres, démocratiques et transparentes. Il serait illusoire de rechercher une modification immédiate des textes de la transition. Cette démarche n’aurait d’ailleurs aucune chance d’aboutir, en dehors de la voie contentieuse. Et le temps presse d’aborder les vrais sujets de la transition, en restaurant l’esprit d’inclusion et de consensus qui a fait défaut aux premières initiatives de la transition.
J’espère simplement que les autorités de la transition auront le courage et l’intelligence nécessaires pour engager résolument le pays sur la voie de la réconciliation et du respect rigoureux de la légalité constitutionnelle. Hors la Constitution, point de salut.
Latif B.Kongo
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