Art et Culture
Nuit blanche à Ouaga : le spectacle qui a prédit la chute de Compaoré
Publié le vendredi 5 decembre 2014 | L`Observateur Paalga
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Ce spectacle de danse de Serge-Aimé Coulibaly avec le rappeur Smokey a été joué lors des Récréâtrales le 25 octobre 2014. Cette pièce fut une boule de cristal où se voyait l’avenir immédiat du pays. L’art a ainsi prédit ce que ni l’analyse politique ni l’intelligence militaire n’ont pu imaginer : l’insurrection populaire du 30 octobre.
Ceci a le confort de l’analyse après coup. Ce spectacle ne fut pas immédiatement perçu comme prophétique mais interrogeait parce qu’il dansait sur la lisière floue entre art engagé et agit-prop.
En effet, le texte de Smokey, très ancré dans la réalité burkinabè, apostrophant sans gant «Blaise» et appelant clairement à la révolte, inscrivait ce spectacle dans le cadre trop étriqué du Faso. Or l’art doit être singulier tout en touchant au général et à l’universel.
Il apparaissait donc que dans cette création, «l’art n’est qu’un moyen en vue d’une fin. Un moyen politique. Un instrument de propagande» comme Piscator définissait l’agit-prop. Mais après le 30 octobre 2014, tout s’éclaire. «Il y avait des paroles obscures qui chantaient dans la nuit comme une lampe allumée», comme le disait Benjamin Fondane.
Nuit Blanche à Ouaga est fait de tableaux de danse qui se succèdent, se décomposant et recomposant le visage inquiétant d’une capitale en ébullition. Sur un mode trépidant avec l’allure d’un film vidéo en mode accéléré. Avec la voix de Smokey telle un fil rouge qui traverse et relie ces différents tableaux.
Sur une place publique, quatre danseurs miment la vie du peuple, leurs souffrances, leurs luttes à travers une danse désaccordée, corps secoués de spasmes, vibrionnant comme frappés d’épilepsie sur une musique de Serge Bambara, alias Smokey.
On retiendra surtout la violence exercée sur la jeunesse à travers la figure d’un danseur que l’on tourne boule sans cesse : Marion Alzeu et Sayouba Sigué martyrisent Adama Nébié qu’ils projettent comme une pierre mais celui-ci, incassable et insubmersible, revient toujours et toujours. Et le tableau de la révolte du peuple est d’anthologie. C’est le seul moment dans ce spectacle volontairement bordélique où tous dansent à l’unisson, dans une chorégraphie harmonieuse
Un moment, des figures politiques apparaissent, patins mécaniques aux gestuelles empruntes de pantalonnade, se disputent l’audience et le pouvoir. Tout cela traversé par le slam rageur de Smokey, long manteau noir et voix apocalyptique, qui annonce que le Peuple, bientôt, chassera la Bête pour s’inviter au banquet et que «la Place de la Nation redeviendra la Place de la Révolution».
In ars veritas ! Tout cela eut lieu avec l’insurrection populaire. Tout y est : la révolte du peuple qui a retrouvé l’union sacrée en ce 30 octobre 2014 pour mettre fin au projet de règne à vie de Blaise Compaoré.
La place de la Nation a été effectivement rebaptisée Place de la Révolution par les jeunes. On a aussi assisté à la génération spontanée de chefs de transition autoproclamés. Trois hommes et une femme comme les trois danseurs et la danseuse de Nuit Blanche à Ouaga ! Parallélisme de forme entre fiction et réalité.
Nuit Blanche à Ouaga est inspiré des émeutes de la vie chère et des mutineries des soldats du 20 décembre 2006 et du 14 avril 2011 dans la capitale burkinabè et il explore aussi la vie de la capitale burkinabè à la veille des élections à risque de 2015.
Serge-Aimé Coulibaly précise: «J’ai proposé à Smokey de travailler sur ce spectacle il y a 2 ans. Nous avons commencé à travailler sur le spectacle en janvier-février à Kisangani puis à Dakar et elle s’est terminée à Bobo en septembre. Avant même que Smokey ne participe à la création du Balai Citoyen (ndlr : le mouvement de jeunesse qui a participé à l’insurrection populaire).»
S’il est admis que l’art est un miroir qui reflète la société depuis Stendhal, il peut être parfois une petite fenêtre ouverte sur le futur. Cette création a capté le frémissement souterrain qui courait dans le pays et a eu l’intuition du futur.
Mais Nuit Blanche… s’ouvre et se referme sur le jeune homme que l’on martyrise ad vitam aeternam. Circularité. Eternel recommencement ? Espérons que là se trouvera la différence entre la fiction de Serge-Aimé Coulibaly et la réalité du Burkina nouveau.
Saïdou Alcény Barry
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