Société
Pour une independance de la justice burkinabe : « il y a lieu de mettre fin à la transhumance des magistrats »
Publié le mercredi 3 decembre 2014 | Le Pays
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L’auteur du point de vue ci-dessous est un acteur du monde de la Justice. Greffier en chef de son état, il s’intéresse à la récente nomination du sieur Adama Sagnon au poste de ministre de la Culture et du tourisme. Selon lui, il y a lieu de revoir le positionnement des magistrats à des postes de responsabilités dans l’administration, car, selon lui, cela peut entamer l’indépendance du corps.
Le 23 novembre 2014, après 72 heures de retard sur le chronogramme prévu, le Premier ministre du Gouvernement de Transition livrait la liste de son équipe de travail, pour des perspectives de réformes et de lutte contre la corruption. A la découverte des membres de ce gouvernement tant attendu, l’opinion publique nationale a exprimé sa consternation de façon explosive. Et pour cause ? La présence dans ce Gouvernement d’El Hadj Adama Sagnon, magistrat de son état, au poste de ministre de la Culture et du Tourisme.
Dès le 25 novembre 2014, soit au lendemain du 1er Conseil de ministres du gouvernement de Transition, le tout neuf ministre rendait le tablier.
La promptitude du rejet de ce membre du Gouvernement Zida n’a eu d’égal que l’amplitude de son écho. Comme si l’opinion publique internationale avait été prise de la même colique, tant la pilule s’avérait difficile à avaler. Il faut le dire, les éclaboussures de l’affaire Norbert Zongo, chacun devrait s’en convaincre désormais, ont tâché de façon indélébile certains acteurs clés de la scène publique et surtout judiciaire. Seize (16) ans après, le souvenir de la tragédie, ainsi que des enchanteurs de tous ordres commis à son traitement et à son étouffement, est resté intact dans la mémoire populaire.
Les griefs à l’encontre du magistrat-ministre (ou vice-versa) Adama Sagnon sont les suivants : sa compromission (présumée) dans le traitement de l’affaire Norbert Zongo, et son extranéité (avérée) à l’environnement culturel et touristique. D’où son renvoi à aller « s’occuper de son droit… » !
A propos de la première charge, il y a lieu de noter que les frondeurs ont été subtilement galvanisés dans leur détermination par des déclarations à charge provenant d’acteurs judiciaires. Les unes sont de bonne guerre car provenant de personnes plus ou moins concernées par le dossier Norbert Zongo ; les autres pourraient paraître inconvenantes car tenues par des contempteurs magistrats, collègues du ministre Sagnon. En effet, il est quand même curieux de voir des magistrats, ordinairement défenseurs chevronnés et habiles invocateurs, autant de la proverbiale obligation de réserve que de l’indépendance de la magistrature et autres subtilités ou complexités des procédures judiciaires, épiloguer avec force délectation et fébrilité sur un sujet qui devrait plutôt les embarrasser. De quoi se demander sur quelle planète vivaient ces maestro de l’orthodoxie procédurale et Zorro de circonstance. Occasion faisant le larron, ou opportunité de reddition collégiale de comptes ?
Dans tous les cas, compromission avérée ou pas, le magistrat Sagnon est placé à très bonne enseigne pour savoir que notre système judiciaire fonctionne foncièrement et allègrement sur le principe de la présomption de culpabilité. Conformément à une telle logique, « ne rien avoir à se reprocher » n’a jamais et ne saura nullement prospérer efficacement comme moyen de défense. La sentence, ce coup-ci, relève de l’intime conviction populaire ; l’intime conviction étant l’ultime évidence requise.
S’agissant de la deuxième charge, la boutade des acteurs et clients de l’univers culturel et touristique est intéressante à plus d’un titre. Elle permet de jeter un lourd pavé dans la mare judiciaire. « Qu’il aille s’occuper de son droit… » signifie non seulement que « ce n’est pas l’homme qu’il faut » (erreur de profil), mais aussi qu’il «n’est pas à la place qu’il faut » (erreur d’emploi) ! Le magistrat Adama Sagnon n’était réellement ni dans le rôle, ni dans le cadre. Que diable était-il donc allé chercher dans ce galion ?
L’homme qu’il faut, à la place qu’il faut !
Il convient de tirer leçon et profit de « la jurisprudence Adama Sagnon», afin d’en dégager des règles et principes directeurs, susceptibles de contribuer à l’instauration d’une réelle stabilité et efficacité du fonctionnement de nos organisations et structures.
La dynamique insurrectionnelle- à accent révolutionnaire- qui prévaut dans notre pays se prête aux réformes attendues depuis des lustres. Toutefois, cette légitime ambition exige de s’attaquer, sans complaisance, aux causes (aspects institutionnels et systémiques) des dysfonctionnements et crises de nos administrations, plutôt qu’aux pansements, sous anesthésie, des manifestations (aspects conjoncturels, épidermiques) de la mal gouvernance sectorielle. La conscience collective des Burkinabè, émergeant enfin de sa longue torpeur, doit désormais demeurer vigilante et réaliste, pour ne plus se contenter de satisfactions euphoriques et éphémères. Les problèmes doivent donc être à l’avenir posés sans obligeance, et en solliciter ainsi un traitement institutionnel et non conjoncturel. Il s’agit tout simplement de crever courageusement les abcès de frustrations contenues et autres embuches, fortement préjudiciables au bon fonctionnement de nos services publics respectifs.
Aussi, acteur et observateur avisé du secteur judiciaire, nous paraît-il propice d’interpeller sur le phénomène caractéristique du nomadisme administratif des « juges » (le mot est pris ici dans son acception populaire). En effet, au-delà de la jurisprudence Adama Sagnon, il est judicieux de se demander si la chasse tous azimuts au positionnement dans les sphères de responsabilités administratives et/ou politiques, n’entame pas de façon pernicieuse l’image de la magistrature. En d’autres termes, l’immixtion des juges dans la détention et la gestion du pouvoir exécutif ou législatif ne vicie-t-elle pas l’équilibre voulu entre les institutions républicaines et leurs animateurs respectifs ?
Le « pouvoir judiciaire » est déclaré « indépendant » et « confié aux juges ». Cette affirmation résulte de la catégorisation à laquelle procède notre Constitution, mettant en parallèle les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. L’ordre de citation ne se rapporte à une quelconque prépondérance dans l’institution desdits pouvoirs. Le pouvoir judiciaire, confié expressément aux juges, est aussi déclaré « gardien des libertés individuelles et collectives » ; à ce titre, il veille au respect des droits et libertés définis dans la Constitution. Le pouvoir exécutif, lui, est conduit par l’organe que représente le Gouvernement et dont le chef et coordonnateur est le Premier ministre ; il exerce le pouvoir réglementaire et assure l’exécution des lois. Quant au pouvoir législatif, confié au Parlement (Assemblée Nationale et Sénat), il est détenu (en principe) par les Députés et les Sénateurs. Sa mission est de voter la loi, consentir l’impôt et contrôler l’action du Gouvernement, conformément aux dispositions de la Constitution. En somme, les missions dévolues à chaque pouvoir institué sont nettement distinctes, complémentaires et interférentes, de même que les personnalités chargés de les réaliser.
Des pouvoirs de fait subsistent : il s’agit des pouvoirs coutumiers et religieux, confiés respectivement aux dignitaires traditionnels et confessionnels. Ils sont même relativement influents, au point d’en arriver à défier les pouvoirs institués, du fait de dialectiques par moments divergentes. La contribution de certains acteurs clés de ces entités morales et spirituelles a été très déterminante dans le « printemps burkinabè » du 30 octobre 2014, par l’éveil et le raffermissement des convictions contre les velléités de tripatouillage constitutionnel du régime déchu.
Le magistrat (communément appelé « juge ») a donc sa place dans l’institution judiciaire, en qualité d’acteur de proue, en pole position. Il y joue le rôle de gardien des droits et libertés, par la sanction des dérogations aux lois et la protection des prérogatives que celles-ci confèrent. Ce rôle d’arbitre et de censeur du fonctionnement de la République est d’une sensibilité et d’une gravité telle qu’il ne devrait en aucun cas être mis en cause par des positions ou ingérences hautement propices aux délits d’initiés ou autres conflits d’intérêts, facteurs d’une rupture de confiance avec la population. En effet, que fait un magistrat dans un Parlement ou un Gouvernement ?
La question ne se rattache à la vérification de quelconques aptitudes propres exceptionnelles ou supposées ; elle se pose en termes de compatibilité (convenance), d’éthique et de déontologie. Il suffit d’envisager le sens contraire de la passerelle pour se rendre compte de l’incongruité de la situation : un ministre ou un député dans la magistrature… Nous gardons d’ailleurs en mémoire la levée de boucliers provoquée par la perspective, à une certaine époque, de recrutements de profils de financiers et d’économistes pour intégrer la magistrature ! Et quoi ? Cela n’aurait-il pas enrichi et accru les capacités d’une Justice loin de disposer de toutes les compétences ?
Il y a donc lieu de mettre fin à la transhumance de ces personnels magistrats à profil prétendument panacée, désertant cours et tribunaux, sans abandon des avantages de traitement salarial liés au titre. La poursuite effrénée des positionnements dans la sphère administrative par ces dépositaires du pouvoir judiciaire, a son côté ô combien d’inconséquence (sans rapport avec une politique ajustée de recrutement et d’emploi ; chaque administration, par une politique adéquate de recrutement, dispose des cadres et techniciens suffisamment aptes et bien imprégnés des réalités et enjeux de leurs départements), de frustration (usurpation d’emplois : l’Administration burkinabè regorge de cadres compétents dans leurs domaines professionnels spécifiques ; et maintien, voire cumul irrégulier d’avantages pécuniaires). Ce phénomène est surtout favorable à l’atteinte à l’intégrité du statut du magistrat : la dignité et l’indépendance de sa fonction régalienne. En effet, la hiérarchie administrative est une échelle d’exécutions des volontés politiques d’un Chef (d’Etat ou de Gouvernement, même de Transition !). Difficile de concevoir un magistrat se complaire dans un tel rôle. Et dire que le Gouvernement tripatouilleur de Constitution avait en son sein deux (02) magistrats !
Au-delà donc de la jurisprudence Adama SAGNON, il est temps de sonner le retour de nos précieux magistrats de la diaspora dans les Cours et Tribunaux. Les statistiques judiciaires sont éloquentes sur la saignée occasionnée par l’exil administratif de ce personnel judiciaire. Cependant, et paradoxalement, ceux qui croulent sous le poids des dossiers judiciaires, en juridiction, appellent sans cesse à la rescousse. De même, ceux qui se retrouvent dans des situations illégales et insolites de cumuls de fonctions juridictionnelles sont aussi impatients de sortir de cette phase gênante. Ironie de la situation : ce sont les « magistrats administrateurs » qui édictent, entre deux missions ou voyages d’étude, des délais dits raisonnables de traitement de dossier…
En tout état de cause, les voies de la démission et de la disponibilité (avec pertes conséquentes d’avantages) sont ouvertes à ceux qui se sentent appelés à des vocations nouvelles ou plus épanouissantes. Il est impératif de mettre fin à cette scène obscène et injuste des uns qui se tapent le boulot, et des autres qui voltigent de villégiature en villégiature.
Cet appel rejoint l’action de sensibilisation menée, dans la foulée de l’insurrection populaire, par les professeurs Albert Ouédraogo et Augustin Loada, en direction des autorités coutumières. L’objectif est de persuader ces dignitaires et autorités de tutelle à regagner leurs palais et cours royaux, pour y jouer les rôles de régulateurs et d’unificateurs qui leur sont communément reconnus. Le même souci est à la base des positions non ambigües des dignitaires religieux (notamment l’Eglise catholique) sur le sujet. Ces derniers ont, en dépit des sollicitations insistantes, toujours fait comprendre fermement que leur vocation n’est pas dans l’immixtion ou la gestion du pouvoir temporel. Une attitude de transcendance qui rend plus fort, plus vigilant, plus courageux ; donc plus crédible, influent et respecté. C’est enfin le même souci de discipline et de respect des institutions qui commande (projet salutaire) le retour en caserne de l’Armée.
« Plus rien ne sera comme avant » ! C’est le slogan cher au Chef du Gouvernement de la Transition. Au département judiciaire, tandis que d’aucuns murmurent « attendons de voir, pour croire… », il y en a qui ont pris le risque d’y croire déjà… de peur que nos palais ne partent un jour en cendre ! L’institution judiciaire est à la croisée de la reconstitution du processus d’Etat de droit et de restauration de la quiétude sociale, qu’elle a malheureusement contribué à briser. A elle d’œuvrer maintenant à redorer son blason.
Maître Daniel WANGRAWA,
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