Politique
Situation nationale : appelons un chat, un chat et un coup d’État, un coup d’État
Publié le dimanche 23 novembre 2014 | CEDEV
© Autre presse par DR
Evariste Faustin Konsimbo, président de l`Association de culture civique et de défense des droits humains et sociaux (CEDEV) |
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La nomination du lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida ne rencontre pas l'assentiment du président du Comité exécutif du Cercle d'éveil, de culture civique et de défense des droits humains et sociaux (CE.D.EV.). Il le fait savoir dans la déclaration ci-dessous.
Depuis le 30 octobre, où le Peuple et lui seul, sous les balles criminelles des forces de sécurité inféodées au régime du tandem Compaoré/Diendéré, notre pays est tétanisé et comme voué à l'impuissance devant ce que le bon sens convient de désigner comme un coup d'État, perpétré par le lieutenant-colonel Zida, au profit du RSP et de son chef émérite en répression, le général Diendéré.
Si nous reprenons aujourd'hui la parole, avec force et véhémence, c'est pour dire à ce Peuple courageux que la situation est encore plus grave qu'avant le départ de Blaise Compaoré et que le pronostic vital de notre démocratie est engagé, parce que celle-ci est minée de l'intérieur par une bande d'usurpateurs galonnés manipulant l'ensemble des acteurs politiques, civils et religieux. Ces usurpateurs qui prétendent parler et agir au nom du Peuple sont ceux qui ont entravé l'aboutissement de notre insurrection populaire à la place de la Révolution, à l'État-major général des armées, devant le palais de Kosyam, et enfin dans tous les salons où ont eu lieu les discussions pour aboutir à la mise en place d'une transition que je ne pourrai qualifier de civil tant les évènements que nous vivons cadrent mal avec la nature civile de notre transition. Du reste, quelle était la hantise de ces usurpateurs le 30 octobre ? Que le Peuple lui-même chasse le duo Compaoré/Diendéré de son palais et que du jour au lendemain le RSP et sa clique de dictateurs en herbe se retrouvent hors jeu.
La présence arrogante de Diendéré
Ce plan de récupération, sans doute concocté avec l'appui de puissances étrangères au nombre desquelles cette France dont les gradés infestent tous les bureaux de nos états-majors et qui prend le Peuple burkinabè en révolte pour un terroriste contre lequel elle mobilise ses forces spéciales, a hélas fonctionné jusqu'à présent. Pour preuve, la présence arrogante du général Diendéré au premier rang dans la salle où le tout nouveau Président de la transition a prêté serment.
Aujourd’hui, nous disons que rien n'a changé et que, au contraire, les choses s'aggravent de jour en jour. Comment ne pas voir dans les mesures que le lieutenant-colonel Zida prend, de son propre chef, sans en référer à qui que ce soit et prétendument au nom du Peuple, le comportement d'un homme solidement installé à la tête d'un régime d'exception, sûr de sa puissance de feu et de ses appuis, et dont la démocratie, la Charte de transition et la Constitution rétablie ne sont que les cache-sexes. Dans quel régime peut-on mettre aux arrêts (dans une république civile, on parle de garde-à-vue !) le directeur d'une société nationale, un ancien maire ou l'ex-directeur général de la douane sans que la justice n'ait son mot à dire, quels que soient les faits reprochés ? Dans quel régime peut-on dissoudre, au petit déjeuner, les conseils municipaux alors que notre constitution en vigueur organise strictement cette procédure ? Dans quel régime est-on quand, par populisme, on focalise l'attention des gens sur des crimes économiques pour cacher les crimes de sang de ceux dont on partage le quotidien, comme si les milliards volés valaient plus que le sang versé par nos martyrs ? Dans quel régime organise-t-on des perquisitions illégales dans les quartiers pour récupérer quelques sacs de riz, alors que dorment dans les casernes du RSP des hommes qui ont assassiné, parfois sous l'œil des caméras, des citoyennes et des citoyens burkinabè, et en premier lieu les chefs qui ont donné les ordres, en l’occurrence un certain général Diendéré, un certain lieutenant-colonel Zida…?
Un cheval de Troie nommé Zida
Il faudra faire rapidement l'histoire des jours que nous vivons pour comprendre comment ce plan de récupération sur la base d'un cheval de Troie nommé Zida a pu prospérer et menace aujourd'hui notre démocratie. De cette récupération insidieuse, la Charte de transition porte tous les stigmates, au point de figurer comme le répertoire des compromissions successives des acteurs politiques, civils et religieux de l'insurrection populaire. Ainsi dans son titre même, pourquoi ne pas avoir maintenu l'expression : "transition civile", sinon pour permettre que cette transition ne soit pas forcément civile ? A l'article 3, portant sur les conditions à remplir par les candidats aux fonctions de Président de la transition, pourquoi avoir accepté l’expression candidat n'ayant "pas soutenu le projet de révision de l'article 37 de la Constitution" au lieu de celle de candidat s'étant "prononcé contre le projet de révision" (à l'instar du Peuple qui s'est prononcé contre cette révision au risque de sa vie) ? Qui ne dit mot consent, sauf pour les usurpateurs du RSP, qui voulaient garder la main pour promouvoir un homme sous contrôle, voire du sérail.
A l'article 11, qui prévoit le transfert des fonctions et des pouvoirs au Premier ministre en cas d'empêchement ou de vacance de la Présidence de la transition, pourquoi ne pas avoir maintenu, comme dans notre Constitution, le transfert du pouvoir au président de l'organe législatif de la transition, à savoir le Conseil national de la transition ? Sans doute avait-on déjà en tête le profil de celui qui devait occuper le strapontin du Premier ministère, quant il ne faut pas supposer que la répartition des postes entre le Président de la transition et le Premier ministre a fait l'objet de tractations, donnant-donnant, entre les usurpateurs militaires et leurs faire-valoir civils…
Zida tente un coup de Poutine
A l'article 13, portant sur la désignation des membres du Conseil national de la transition, et à l'article 15, portant sur la désignation du Premier ministre, pourquoi a-t-on précisé que les candidats "ne doivent pas être des personnes ayant ouvertement soutenu le projet de révision de l'article 37", alors que les candidats à la Présidence de la transition devait simplement "ne pas avoir soutenu le projet de révision" ? Parce que les candidats au Conseil national et au Premier ministère peuvent avoir soutenu non-ouvertement (!) le projet de révision, c'est-à-dire clandestinement, objectivement mais sans le crier sur les toits, ou en ayant été suffisamment rusés pour le faire sans se faire pincer ? Pourquoi encore, le Président de la transition ne peut pas être "une personne des forces de défense et de sécurité en activité, en disponibilité ou à la retraite" et pas le Premier ministre ? Il fallait lire l'Observateur Paalga pour savoir, avant même sa désignation arrangée, qui serait le Président de la transition, et il suffisait de lire notre Charte pour savoir qui serait le Premier ministre avant même sa nomination… Le diable est dans les détails, dit-on, et force est de constater que l'accumulation de tous ces détails va peu à peu, si nous ne réagissons pas vigoureusement, permettre aux usurpateurs de service d'habiller en démocratie le régime d'exception dont ils assurent l'intérim pour le tandem Compaoré/Diendéré.
Zida, le putschiste auto-proclamé président de la transition militaire, tente, avec la complicité évidente du Président de la transition apparemment civile, un coup de Poutine, puisqu'après avoir raflé le pouvoir suprême, ceint la grand-croix de l'Ordre national et exigé de bénéficier du statut d'ancien chef d'État, il atterrit sur un fauteuil de Premier ministre nanti en puissance de tous les pouvoirs au cas où le Président de la transition se montrerait peu coopératif. Si la France, les États-Unis et le reste du monde ont dénoncé la manipulation anti-démocratique du binôme Poutine/Medvedev, pourquoi ces grandes nations gardent-elles le silence devant les manœuvres liberticides du lieutenant-colonel Zida ? Doit-on voir dans ce silence, une complicité, un arrangement stratégique, un moindre mal pour leurs intérêts militaires dans la sous-région ? Si ce n'est pas le cas, pourquoi ces grandes nations ne prennent-elles pas leurs distances avec ce régime d'exception conduit par des putschistes ? Il serait temps que les stratèges français qui sont à la manœuvre dans cette récupération militaire relisent "Napoléon le petit" d'un certain Victor Hugo, pour sentir de quel côté souffle le vent de la démocratie…
Un Premier ministre civil, sinon rien !
Montrer que l'on est pour la démocratie et du côté du Peuple qui a perdu tant de vies pour se libérer des fers du binôme Compaoré/Diendéré, c'est dire haut et fort que le lieutenant-colonel Zida ne peut pas et ne doit pas être le Premier ministre d'une transition civile, d’abord , parce qu’un militaire n'est pas un civil, ensuite, par décence pour tous les gens qui sont morts dans les rues de Ouagadougou sous les balles des hommes dont il était le commandant en second, enfin et surtout, parce que cette nomination est anti-constitutionnelle aux yeux de la Constitution de 1991 et de la Charte de la transition ! Nous demandons, et nous appelons toutes les forces vives de ce pays à le faire avec nous, partout où la voix de la démocratie porte et par tous les moyens, que le Conseil constitutionnel tranche cette question capitale, conformément aux dispositions de la Charte qui l'y autorisent : peut-on considérer qu'un militaire ayant, de part sa fonction, participé activement à la mise en place du dispositif répressif et meurtrier le jour de notre insurrection et les jours précédents, ayant, par les instructions et les ordres donnés, relayé ou transmis dans la chaîne de commandement, participé au meurtre délibéré de civils désarmés par des militaires, ayant cautionné, en toute conscience, sans aucune réserve (y compris au regard du code militaire qui permet de refuser un ordre indigne) et jusqu'à ce que l'inévitable se produise, la folie du binôme Compaoré/Diendéré pour imposer dans le sang la modification de l'article 37, peut-on considérer ce militaire comme étant de "bonne moralité" et comme n'ayant pas "ouvertement soutenu le projet de révision de l'article 37", au moins par le sang qu'il a fait couler par action, omission ou abstention ? Quel sens faut-il donner constitutionnellement à l'adverbe "ouvertement" ? Un homme ayant du sang sur les mains est-il constitutionnellement de "bonne moralité"? Tant que ces questions constitutionnelles n'ont pas été tranchées sur le fond, la nomination du Premier ministre ne pourrait en aucun cas être considéré comme valide. A défaut, les membres de la société civile, les partis politiques et les représentants des autorités religieuses et coutumières doivent se retirer de toutes les instances de la transition pour que le Peuple découvre le vrai visage de cette transition : un régime d'exception aux mains de militaires putschistes.
Le TPI en guise de primature…
Nous demandons donc au Conseil constitutionnel, et au Président de la transition qui est le garant de notre Constitution et de notre Charte, d'imaginer en conscience à quelle aune serait jugée devant le Tribunal pénal international la responsabilité d'un tel officier ayant armé ou contribué à armer le massacre d'une trentaine de citoyens au motif que ceux-ci voulaient défendre légitimement leur constitution. Si cet officier peut être le Premier ministre d'un peuple rafalé par les soldats qu'il commandait, alors un génocidaire peut être le président d'un peuple mutilé par les machettes des bourreaux qu'il encourageait. L'actualité récente nous montre que le sort de chacun d'eux est davantage de répondre immédiatement devant la justice internationale de ses forfaits plutôt que de parader sous les ors de la république, fût-elle burkinabè…
Il pèse un risque de génocide sur la démocratie comme sur les peuples. Et si demain, nous ne voulons pas que notre démocratie soit génocidée par cette clique d'usurpateurs qui roulent pour le binôme Compaoré/Diendéré, si un matin nous ne voulons pas nous réveiller un canon sur la tempe et un bâillon sur la bouche, levons-nous comme un seul homme pour dire non à la nomination du lieutenant-colonel Zida au poste de Premier ministre ou de tout autre militaire, en exigeant une transition civile sans concession, recto verso.
Ouagadougou, le 21 novembre 2014
Le Président du Comité Exécutif
Evariste. Faustin. KONSIMBO
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