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«L’expérience de Michel Kafando dans les institutions internationales et son âge seront source de sagesse», Dr Doti Bruno Sanou
Publié le samedi 22 novembre 2014  |  AIB
Transition
© aOuaga.com par G.S
Transition : Michel Kafando investi des pleins pouvoirs
Vendredi 21 novembre 2014. Ouagadougou. Palais des sports de Ouaga 2000. Le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida a transmis le pouvoir au président désigné de la transition, Michel Kafando, au cours d`une cérémonie de passation de charges




Ouagadougou - Le vendredi 31 octobre 2014, une insurrection populaire démarrée la veille a emporté le régime de Blaise Compaoré. A Bobo-Dioulasso (Ouest, 360km) le ton avait déjà été donné lors de la marche-meeting du mardi 28 octobre 2014 où la statue de l’ex-dirigeant avait été déboulonnée par les populations sur le carrefour de Lafiabougou. Retour sur ces folles journées avec le directeur du Centre africain de recherche pour une pratique culturelle du développement (CAD), Dr Doti Bruno Sanou.


Agence d’information du Burkina (AIB): Comment avez-vous vécu le soulèvement populaire à Bobo-Dioulasso?

Doti Bruno Sanou (DBS): Comme tout le monde, je l’ai vécu dans l’espérance mais aussi dans l’inquiétude face à la violence de certains manifestants sur les personnes et contre les biens publics et privés. J’ai en ce moment une pensée pieuse pour tous ces jeunes qui ont perdu leur vie au cours des évènements et j’exprime aussi ma compassion pour ceux qui sont encore hospitalisés et ceux qui sont convalescents.

AIB: Quel est le sentiment qui prévaut chez les Bobolais après le départ de Blaise Compaoré?

DBS: Vous me posez là un problème. Je n’ai pas mené d’interview ni d’enquête. Et si je m’en tiens à mes discussions avec certains amis, je ne pourrais dire que leurs opinions sont celles des Bobolais. En me référant aux opinions de ces amis et proches qui sont intellectuels, paysans de certains villages de Bobo-Dioulasso ou de la région, des opérateurs économiques, etc., je crois que le sentiment général qui se dégage, c’est que la fuite de Blaise est le moindre mal ou du moins la solution salutaire, et c’est aussi mon opinion. De toute façon, vous êtes journaliste et vous connaissez, mieux que moi en tout cas, l’opinion des Bobolais à travers vos interviews et enquêtes. Peut-être que c’est mon opinion que vous vouliez savoir.

AIB: Lors de la marche-meeting du 28 octobre déjà, le peuple bobolais avait déboulonné la statue de Blaise Compaoré au rond-point de Lafiabougou, était-ce déjà le signe de la fin?

DBS: On pourrait dire l’un des derniers signes. En réalité, au niveau de Bobo-Dioulasso, il y a eu plusieurs signes qui montraient le ras-le-bol des citoyens face à la politique de Blaise. Il n’y a qu’à voir les marches contre les lotissements illégaux, même après que le gouvernement ait suspendu les lotissements à Bobo-Dioulasso, les réactions face au retard dans l’éclairage ou le bitumage de certaines voies, les manifestations pour la réhabilitation du Centre hospitalier Souro Sanou de Bobo-Dioulasso, etc. On pourrait croire qu’il s’agissait de mouvements contre les autorités municipales, mais en réalité, il s’agissait d’une interpellation à Blaise Compaoré sur le système qui montrait ses limites. Certains responsables du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, ex-majorité) lui ont fait croire que les Bobolais appréciaient le système alors que c’était le contraire. Avec tous les services de renseignement dont il disposait, je ne sais pas pourquoi il ne s’est pas rendu compte que son régime fonçait droit dans le mur.

AIB: Quelle appréciation faites-vous de la personnalité civile choisie par le conseil de désignation comme président du Faso pour conduire la transition?

DBS: Monsieur Michel Kafando qui vient d’être désigné par le collège de désignation, je ne le connais pas personnellement et je n’ai que quelques bribes d’informations à travers la presse notamment. Cependant, en écoutant ses premières interventions à la presse et notamment son discours après son choix, je crois il y a de quoi avoir confiance en lui et saluer le choix porté sur lui. Son expérience dans les institutions internationales et son âge seront, pour lui, source de sagesse dans la conduite de l’Etat durant ces douze mois. Et comme il n’a pas de prétention à demeurer au pouvoir, la charte est claire là-dessus, il fera tout pour rentrer dans l’histoire et je crois que c’est chacun d’entre nous qui doit jouer sa partition pour l’y aider et c’est cela la mission du service public qui incombe à tout citoyen.

AIB: Quel doit être le Burkina Faso de l’après Blaise Compaoré?

DBS: Vous savez, les historiens médiévistes ont assez démontré que la civilisation occidentale, née à la fin de la première moitié du 17è siècle est à la fin de sa course. Il ne fait aucun doute que nous sommes aujourd’hui à la fin d’un monde comme au 11èsiècle. De plus en plus, les peuples réinterrogent leur passé pour y retrouver les ressorts internes pour une réelle et profonde transformation sociale de qualité. Je crois que c’est ce que les altermondialistes s’efforcent de faire comprendre aux politiques et au monde des affaires aujourd’hui. Je crois que la question, c’est comment le Burkina Faso peut participer à la construction de ce nouveau monde. Que peut-il apporter à l’universel dans cette volonté de promouvoir un monde plus humain qui, non seulement s’inspire de l’héritage des générations passées, mais aussi qui prend en compte le quotidien des générations à venir. En ce sens, je crois que le Burkina doit arrêter de recourir à la croissance qui n’est souvent profitable qu’aux multinationales et à la classe politique locale pour engager un véritable processus de développement humain durable qui se fonde sur des ressorts internes et qui priorise le souci du quotidien des générations à venir dans mille, deux mille, trois mille ou un million d’années. En cela, les leaders politiques devraient pouvoir aussi projeter leurs partis politiques sur la longue durée, parce qu’il s’agit d’un projet de devenir humain viable qu’ils défendent en principe. Un parti politique devrait pouvoir se projeter sur cinq cents ans ou mille ans et c’est en ce moment que les militants sont en mesure de consentir des efforts et des sacrifices.

AIB: Le soulèvement a provoqué des dégâts préjudiciables aux populations elles-mêmes comme le fait de brûler la mairie centrale et le palais de justice ainsi que des pillages. Quel est votre regard sur cet aspect?

DBS: La violence au cours de cette insurrection populaire ne m’a pas surpris. C’est le signe que notre système éducatif est en panne. Ces jeunes qui ont saccagé, brûlé sont nos enfants, des enfants nés souvent sous le pouvoir de Blaise Compaoré. En tant qu’enseignant, je me remets en cause. Que devais-je faire et que je n’ai pas fait pour que tout cela arrive aujourd’hui? Evidemment, les torts sont partagés. Le premier tort revient à l’Etat qui semble n’avoir pas assumé ses responsabilités, notamment dans l’exécution de certains projets. Par exemple, pour une bonne frange de la population bobolaise, le cinquantenaire à Bobo-Dioulasso n’a pas apporté grand-chose à la commune par rapport aux autres communes où la commémoration a eu lieu. Ensuite, c’est le bitumage de l’avenue Nelson Mandela qui a été lancé en pompe avec des délais d’exécution qui n’ont pas été respectés. Ces frustrations viennent s’ajouter à celles consécutives à l’indépendance et par lesquelles l’opinion est convaincue que l’on a décidé de «tuer» Bobo-Dioulasso. Et certains anciens reviennent souvent sur certains propos du premier président Maurice Yaméogo allant dans ce sens. En définitive, je crois que les Bobolais ont perdu confiance en l’Etat et la jeunesse semble révoltée surtout que certains responsables communaux, proches du pouvoir de Blaise, ont tenu des propos souvent frustrants. A cela s’ajoute la gestion scandaleuse du foncier communal ou des habitants de certains quartiers non aménagés n’ont pas été attributaires au moment des lotissements alors que des individus venus d’autres pays ou d’autres villes ont été attributaires à certaines conditions. La spéculation foncière à Bobo avait pris une proportion à la limite insupportable. C’est tout cela qui a poussé à cette violence de la frange jeune. Ceci dit, je ne suis pas non plus d’accord avec la destruction des biens publics et privés. Lorsque vous séjournez dans certaines villes ou certains pays, vos hôtes sont fiers de vous faire visiter des monuments ou bâtiments datant de l’époque préhistoriques ou du Moyen-âge. Il s’agit de leur patrimoine, c’est-à-dire ce que leur ont légué les générations passées de leurs savoirs, leur ingéniosité, leur savoir-faire et leur savoir-être. En brûlant notre patrimoine, qu’allons-nous léguer comme héritage aux générations à venir. Certains spécialistes disent qu’il faudrait certainement raser le bâtiment actuel de la mairie. Je suis sûr que parmi ceux qui ont incendié la mairie, notre maison commune, et le palais de justice, ils sont nombreux ceux qui ont des remords aujourd’hui. Malheureusement, ils le porteront sur leur conscience pour toujours. C’est encore des cas psychologiques qu’il faudrait surveiller, surtout que plusieurs d’entre eux sont des adolescents. Nous avons détruit, nous allons reconstruire et c’est un gros retard que nous enregistrons inutilement.

AIB: Au lendemain de la révolution populaire, les conseillers municipaux sont-ils encore légitimes et représentatifs du peuple?

DBS: La même question aurait pu être posée pour les députés à l’Assemblée nationale. La logique voudrait que l’on procède à la mise en place de délégations spéciales, surtout que des maires et des conseillers craignent pour leur sécurité aujourd’hui et se cachent.

AIB: Quelles ont été les actions de développement posées par Blaise Compaoré en 27 ans de pouvoir, au profit de Bobo-Dioulasso et toute la région de l’Ouest du Burkina Faso?

DBS: Posée de cette façon, il me sera difficile de répondre à votre question. Voyez-vous, depuis février 1995, le Burkina Faso a engagé le processus de décentralisation qui devrait, en principe, faire de chaque collectivité territoriale un laboratoire de la démocratie et du développement. Il y a eu des élections, et des conseils municipaux gèrent les communes depuis bientôt dix-neuf ans. Qu’ont-ils pu faire pour le développement de la commune et de la région? Qu’est-ce que le gouvernement au niveau central a pu faire pour aider les conseils municipaux dans leur mission? Voici, pour moi, quelques interrogations fondamentales. Pour qu’un conseil municipal soit dynamique et efficace dans l’accomplissement de sa mission, il faut qu’il comprenne d’abord ce que c’est que la décentralisation et les ressorts principiels qui la sous-tendent. C’est certainement là où le pouvoir a vraiment péché. Tout était lié aux partis politiques et Bobo-Dioulasso a toujours eu un conseil municipal à majorité analphabète. Or, un processus de décentralisation sans une observation stricte des principes de la subsidiarité, et donc de la participation et de la responsabilité, de la redevabilité et de la démocratie, est inopérant. Comment mettre en œuvre ces principes de base si soi-même on n’est pas un modèle qui inspire les citoyens. Je crois en ce slogan des évêques du Mali «jette tes béquilles et marche». L’archevêque émérite de Bobo-Dioulasso, Anselme Titianma Sanon, quant à lui disait que: «à celui qui ne veut rien faire pour lui-même, on ne peut rien faire pour lui». Que ce soit le pouvoir de Blaise Compaoré ou tout autre pouvoir, tant que les Bobolais et les fils de la région ne vont pas prendre en main leur destin, on ne pourra rien faire pour eux. «On ne développe pas, on se développe» disait feu le Pr Joseph Ki-Zerbo. Le développement ne peut qu’être endogène. Et ça j’y crois de tout mon cœur.


Agence d’information du Burkina

Interview réalisée le 18 novembre 2014 par

Wurotèda Ibrahima SANOU
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