L’intervention militaire au Nord-Mali serait-elle en passe de devenir une quadrature du cercle ? L’on ne peut en tout cas s’empêcher de s’interroger, voire de s’inquiéter, face à un assaut tant souhaité et tellement annoncé, mais qui se plait finalement à jouer l’arlésienne. L’espoir de voir les envahisseurs du Nord du Mali décamper était passé de petit à moyen pour atteindre son paroxysme avec l’idée d’une résolution onusienne qui avait l’air bien prometteur. Cet optimisme, quoiqu’émoussé par la résistance d’une tendance pacifiste qui ne jurait que par la méthode douce, avait repris du poil de la bête quand ces mêmes « disciples invétérés » du Mahatma Gandhi ont fléchi leur position en nuançant leur démarche pacifique.
Il n’est alors plus question d’opter pour le tout-dialogue, mais plutôt pour une prise de langue avec seulement ceux qui sont disposés à envisager des concessions utiles par ce canal a priori privilégié. Ainsi naquit l’idée de garder deux fers au feu en négociant avec les groupes modérés, tout en peaufinant la stratégie de guerre contre les mouvements qui s’inscrivent dans une logique inflexible de résistance. S’il est un truisme de dire que cette dernière option fait l’unanimité dans les rangs des acteurs de la résolution de la crise malienne, il n’est cependant pas évident d’en cerner les véritables contours. Les négociations ont, certes, été engagées avec les « moins cinglés » des rebelles, mais il est, par exemple, difficile de savoir exactement quand pourrait avoir lieu l’ouverture des hostilités contre les « barbus écervelés ». Même les chefs d’Etat du Conseil de l’entente réunis le 17 décembre dernier à Niamey dans le cadre du premier sommet de l’organe rénové y perdent tout leur latin.
Au point que même ceux qui réclamaient une intervention armée dans les plus brefs délais se surprennent à se comporter en prophètes de la non-violence. Qui aurait cru que Mahamadou Issoufou, l’hôte dudit sommet, en arriverait jusqu’à envisager le dialogue avec le MNLA et Ansar Dine ? Le doute semé aux Nations unies par son Secrétaire général, Ban Ki-moon himself, sur l’opportunité d’une opération armée au Nord-Mali a peut-être contribué à amener les Africains à réviser à la baisse leurs ambitions interventionnistes. Ce n’est donc pas superflu que ces derniers explorent d’autres voies supplémentaires en attendant le soutien extérieur. Il faut cependant s’assurer que l’objectif du dialogue entamé avec les mouvements dits modérés soit perçu et partagé par tous les acteurs. Il est impérieux de dégager une ligne directrice claire dans le schéma de sortie de crise, et sur laquelle toutes les parties prenantes au dialogue devront aligner leurs actions. Cela éviterait de naviguer à vue en multipliant des rencontres sans but précis, toute chose qui finirait par lasser tout le monde et blaser les partisans du dialogue. Toute négociation censée servir la cause du peuple malien devra avoir pour finalité de déconnecter les groupes modérés des islamistes fanatiques et autres terroristes et narcotrafiquants, en vue de faire en sorte que ces repentis servent de supplétifs à d’éventuelles forces internationales.
En clair, le dialogue ne vaut la peine d’être poursuivi que si, au lieu de servir de prétexte à un éternel ajournement de l’intervention militaire, il œuvre à en faciliter la préparation et en garantir le succès. Or, jusque-là, l’on ne sait pratiquement pas vers où entendent mener les tractations et hésitations onusiennes d’une part, et les pourparlers avec le médiateur de la CEDEAO, d’autre part. Œuvrent-ils dans le sens d’aboutir à une seule tactique, soit de dialogue, soit de guerre, ou s’emploient-ils à rechercher la paix au Mali à travers la double démarche de négociation et d’action militaire ? Leurs discours semblent de toute évidence privilégier la méthode double. Leurs actions, notamment leurs louvoiements, ne font qu’intensifier le scepticisme quant à leur volonté réelle d’affronter pour de vrai le MUJAO et ses complices. Cette guerre est pourtant inévitable, et plus on la remet à plus tard, arguant la nécessité de mieux se préparer, plus elle se complexifie, l’adversaire ayant aussi la latitude d’améliorer ses techniques et de renforcer ses moyens. Les dirigeants maliens eux-mêmes ne semblent malheureusement pas prendre la vraie mesure de la situation. Ils se sont toujours hâtés très lentement et même pour les décider à accepter une aide militaire dans le cadre de la préparation de l’intervention, il a fallu user de pressions diverses. Peut-être les choses pourront-elles enfin changer avec le récent changement à la tête de l’exécutif. Le nouveau chef du gouvernement, Diango Cissoko, a émis la possibilité, au cas où les communautés africaine et internationale tarderaient à ouvrir le feu au Nord-Mali, d’envisager une intervention basée sur des troupes maliennes mieux préparées. En plus de son intention de ramener le centre du dialogue avec les groupes modérés à Bamako, cette intention de reprendre en main la situation pourrait augurer une volonté politique plus pragmatique. Reste à espérer qu’une résolution onusienne viendra sans tarder pour permettre de débroussailler un tant soit peu le chemin vers la réunification du Mali.