Politique
Michel Kafando sur FRI : le Faso ne peut être «à la merci des véreux»
Publié le jeudi 20 novembre 2014 | L`Observateur Paalga
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C’est une exclusivité RFI. Pour la première fois depuis sa désignation, le président de la transition burkinabè, Michel Kafando, s’exprime en entretien. Qui va-t-il choisir comme Premier ministre ? Que va-t-il advenir de Blaise Compaoré ? Que pense-t-il des chefs d’Etat voulant briguer un troisième mandat ? Le nouveau président du Burkina Faso a son franc-parler. En ligne de Ouagadougou, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier. Vu l’intérêt évident de cet entretien, diffusé le 19 novembre 2014, pour nos lecteurs, nous l’avons reproduit in extenso.
Monsieur le président, bonjour. Quel a été votre premier sentiment dimanche soir après votre désignation ?
Michel Kafando : Vous savez, lorsque j’ai été désigné, moi qui étais à la retraite, j’ai vu que j’aurais encore une occasion de servir mon pays. Voilà les sentiments premiers que j’ai eus, en me disant du reste, par rapport à ce que j’ai eu à rendre comme services avant, que, cette fois-ci, c’est une occasion pour moi de me rattraper sur certains sujets où je pensais que je n’avais pas été tout à fait performant.
Vous rattraper sur quels sujets ? Peut-être sur le sujet du combat contre la corruption et l’impunité, un point sur lequel vous avez insisté pendant votre exposé de dimanche ?
Effectivement, je crois que c’est sur ces deux points-là, essentiellement, que notre pays ne peut pas être laissé comme ça, entre les mains d’individus véreux qui font des détournements et qui ne sont pas punis. Donc, effectivement, je travaillerai à relever les défis : lutter contre la corruption, sévir sur le plan des sanctions.
Dès votre désignation vous avez dit : « J’entrevois l’immensité de la tâche et les écueils qui m’attendent ». Quels sont les pièges qu’il faut éviter ?
Il faut éviter l’écueil qui consiste à stigmatiser ceux qui étaient là, ceux de l’ancien régime. Parce que si vous le faites, les conséquences peuvent être redoutables. Donc, en même temps qu’il faut mettre l’accent sur des sanctions, -par exemple, le jugement de certaines personnes qui ont usagé, dans la prévarication et dans la concussion, des deniers publics-, il faut travailler aussi à la réconciliation nationale.
Donc il ne faudra pas exclure les membres de l’ancien parti au pouvoir CDP du futur Parlement provisoire ?
Non, de toutes les façons, la charte que nous venons de voter prévoit une représentation de ce que nous appelons l’ancienne majorité. Donc, ils ne sont pas exclus. En dehors, évidemment, de ceux que la loi ne peut pas épargner. En tout cas, qui doivent encourir des sanctions.
Quelle sera la place de l’armée ? Le lieutenant-colonel Zida pourrait-il devenir votre Premier ministre ?
Notre armée a joué un rôle essentiel dans la stabilisation que nous connaissons actuellement. Si nous n’avions pas eu de jeunes militaires de leur trempe pour se convaincre du fait que l’armée est une composante de la nation, s’il n’y avait pas eu cette conscience-là de se mêler à la population, de comprendre les problèmes de la population et de se dire : non, les Burkinabè ne doivent pas tirer sur d’autres Burkinabè, peut-être qu’aujourd’hui le Burkina serait encore dans les affres d’une guerre civile.
Je dis bien une guerre civile parce que toutes les projections laissaient dire que la situation que nous avons connue risquait d’être encore pire que celle de la RCA. Donc moi, je dis que l’armée doit avoir sa place.
Je ne serais pas surpris que l’armée puisse être véritablement représentée dans le gouvernement. Déjà, elle est représentée dans le Conseil national de transition (CNT) et je pense aussi qu’elle a sa place dans le futur gouvernement que nous aurons à mettre en place à partir de demain.
Le lieutenant-colonel Zida serait intéressé par le poste de Premier ministre. Seriez-vous prêt à le lui offrir ?
Tout dépend. Ce n’est pas seulement le président qui nomme. C’est vrai, ce sont les prérogatives du président, mais tout dépend aussi des consultations que nous sommes en train de mener. Et moi, personnellement, je ne serais pas contre [le fait] que le lieutenant-colonel Zida, qui a joué un rôle essentiel dans la stabilisation même de ce pays, puisse véritablement avoir une ambition de Premier ministre. Je serais même particulièrement enclin à dire que si telle était son ambition, pourquoi ne pas la prendre en compte ?
Mais, dans ce cas-là, ne risquez-vous pas de devenir l’otage des militaires ?
Non. Parce que les militaires ont suffisamment démontré, par la décision qu’ils ont prise de se retirer dans les casernes, de laisser la place aux civils, et que s’ils font partie d’un gouvernement, ils pourront aussi accepter notamment de travailler en bonne collaboration, en bonne entente avec les civils. Je ne pense pas que ça puisse vraiment être un problème.
D’ici combien de temps pensez-vous organiser l’élection présidentielle ?
Nous nous sommes fait un point d’honneur d’organiser l’élection présidentielle dans les délais impartis. Ça veut dire qu’à partir d’aujourd’hui, c’est la date d’investiture du nouveau président de la transition, nous avons en principe douze mois francs pour organiser l’élection.
Depuis votre désignation, vous avez reçu beaucoup de félicitations. Avez-vous déjà eu plusieurs chefs d’Etat au téléphone ?
Oui. Hier soir, par exemple, j’ai reçu un coup de fil du président du Mali, que je connais bien. J’ai aussi des appels me disant que le président du Sénégal cherche à me contacter.
A votre avis, Blaise Compaoré peut-il rester en Côte d’Ivoire ou pas ?
Ah ! Vous savez, ça, c’est une question qui concerne les Ivoiriens ! Le président Blaise Compaoré, bon, il a quand même beaucoup d’affinités avec le président Ouattara. Ça, ce sont des problèmes qui concernent, je crois, le président Blaise Compaoré et les autorités ivoiriennes.
Quand vous dites que certains Burkinabè devront passer au jugement, pensez-vous notamment à l’ancien président Blaise Compaoré ?
Non ! N’allons pas vite en besogne ! Mais, moi, je vois surtout des affaires pendantes. Nous avons des contentieux qui traînent depuis près de trois ans ! Personnellement, je ne comprends pas que, si quelqu’un est convaincu de prévarications, si quelqu’un est tacitement sous le coup d’un flagrant délit, son dossier puisse durer deux à trois ans ! Non. Mais, en ce qui concerne le président Blaise Compaoré, n’allons pas vite en besogne parce que nous n’avons que douze mois. En douze mois, on ne peut pas tout régler !
Le fait que la France ait aidé Blaise Compaoré à s’enfuir a été interprété par certains comme une ingérence de l’ancienne puissance coloniale dans vos affaires intérieures. Qu’en pensez-vous ?
Peut-être que la France aussi a pu agir pour des raisons humanitaires ! Tout compte fait, ça a été une bonne chose que le président Blaise Compaoré ait démissionné très tôt. Parce que s’il était resté, certainement nous allions avoir des conséquences incalculables. Donc je me dis que si le président est parti plus tôt en démissionnant, peut-être que ça a sauvé aussi la situation !
Et que répondez-vous à certains qui vous reprochent d’être trop proche de l’ancien régime ?
Eh bien, moi, je leur demanderais d’apporter les preuves ! Lorsque j’ai été contacté par ce que vous appelez l’ancien régime pour aller à New York défendre le dossier, notamment du Liberia et de la Sierra Leone, j’ai bien donné comme conditions que je ne voulais pas qu’il y ait une connotation politique à l’acceptation de ma charge !
Donc, moi, je ne vois pas en quoi j’ai collaboré avec l’ancien régime ! Je n’ai jamais fait partie du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP). Moi, je n’ai jamais appartenu à un parti politique.
Et que pensez-vous des présidents africains qui souhaitent modifier la Constitution de leur pays pour briguer un troisième mandat ?
Ce sont des attitudes, pour moi, qui ne s’expliquent pas. Lorsqu’on a donné son engagement, il faut respecter les choses jusqu’au bout ! En tout cas pour moi, ce n’est pas bon de tripatouiller les Constitutions.
Et pensez-vous, comme [NDLR, l’ancien-ministre burkinabè des Affaires étrangères] Ablassé Ouédraogo, qu’il faudrait introduire les deux mandats maximum dans la charte de l’Union africaine ?
Moi, je suis d’accord avec Ablassé Ouédraogo ! Je crois qu’il faut désormais que dans la charte de l’Union africaine, qui est, pour moi, supranationale, on puisse inscrire qu’aucun président ne devrait aller au-delà de deux mandats.
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